Le roman de l'écrivain sud-africain
Damon Galgut « La Promesse » qui vient de remporter le Booker Prize 2021, débute avec un enterrement dans une famille Afrikaner, les Swart, à Pretoria, où l'auteur lui-même grandit. La mère Rachel , juive, vient de mourir assez jeune , laissant derrière elle un mari protestant calviniste, une ado de treize ans, une autre de seize et un garçon de 19 ans au service militaire. Sont présents la belle soeur qui la détestait, le mari qui semble affligé, ses enfants hagardes....et non présente , car non autorisée, Salomé la servante noire, la quarantaine, acquise avec la ferme et ses terres par le grand-père paternel. Ce même Salomé qui a soigné Rachel durant sa longue maladie, et à laquelle Rachel a fait une Promesse, et fait promettre aussi à son mari qu'il réalisera cette promesse dont est témoin Amor, la plus jeune des filles .
On est en 1986, et Amor n'a aucune idée du pays où elle vit, ni de la famille dysfonctionnelle dont elle fait partie, alors que l'Apartheid bat son plein ! Neuf ans plus tard quand on les retrouve, le 30 juin 1991 l'Apartheid a été aboli, les donnes ont changé. Quand le fils voit à l'hôpital un patient noir couché à côté du lit de son père, il ne peut s'empêcher de penser, « L'Apartheid est déchu, comme tu vois on meurt maintenant côte à côte . C'est juste sur la partie du vivant qu'il faudrait encore y travailler. »*
Un livre d'apparence simple, mais au fond très complexe. Difficile de cerner ces personnages membres d'une même famille mais qui semblent s'aimer si peu, voir pas du tout. S'y ajoute un contexte extérieur encore plus complexe, avec la ségrégation de races et de religions, le tout dans une atmosphère qui change toutes les quatres décennies où le récit se déroule à travers quatre enterrements. Quatre enterrements différents, juif, protestant calviniste, catholique et le dernier, crémation sans service religieux. Quatre enterrements différents de quatre membres au premier degré d'une même famille , intéressant non ?
La prose de
Galgut est très naturelle, simple et sèche, avec un zeste d'ironie,cool comme dirait les anglais, que j'aime beaucoup (« Hurt me baby, I can take it **», l'attitude du fils aîné, alors que l'avocate séduisante inconnue de lui semble être sur le point de dévoiler le contenu du testament du père avec une pointe de cruauté ). Il y va avec talent d'une économie de mots, dont la justesse lui permet d'aller au plus profond d'un état d'âme, d'un geste, d'une situation….,« Return is the only solution. Not if, but when. » (Le personnage a de gros problèmes financiers, le retour est sa seule solution / Pas si, mais quand. Une toute petite phrase de 4 mots résume la situation ). Il n'y va pas aussi de main morte avec la religion quelle que soit la confession; j'adore quand un des personnages secondaires catholique, qui a couché avec une femme mariée protestante, lui déclare que allant se confesser il devient exempt de tout péché, « même de celui-ci ? » demande-t-elle fascinée, « oui , mas pas tout de suite » , réponde-t-il 😁. Il y en a d'encore meilleurs mais que je n'oserais citer ici de peur d'offenser des âmes sensibles, donc vous laisse découvrir.
Tout les personnages sans exception, sont peu sympathiques, et d'une façon ou d'une autre semblent flotter dans une vie où ils n'y décernent aucune attaches sentimentales et morales, de valeurs et de sécurité , semblable à l'image d'un pays qui flotte aussi, pris dans le piège de l'indépendance , à la recherche d'une égalité sociale et financière, qui n'existe, encore actuellement qu'écrit noir sur blanc sur un bout de papier signé.
Quand au titre du livre, il se réfère aussi bien à la promesse faites à la servante noire par la mère peu avant de mourir de lui léguer la misérable maison où elle habite avec son fils, qu'aux promesses faites à la chute de l'Apartheid pour une société plus équitable. Promesses non réalisées, (« Quand les Blancs se battent, dit sa mère, sans une once d'évidence rationnelle, c'est toujours à cause des droits de propriété »), dont
Galgut nous en parle en ces termes : « La question des terres, qui en sont les propriétaires, qui en étaient, qui en seront, est le sujet central des préoccupations de la vie politique actuelle de l'Afrique du Sud. »
Un livre brillant , simple d'apparence, riche et puissant dans le fond, racontant la petite histoire dans la grande Histoire complexe de l'Afrique du Sud, qui sera prochainement publié en français en mars 2022 par les éditions de L'Olivier, sous le titre La Promesse. Ne passez pas à côté !
*« Apartheid has fallen, see, we die right next to each other now, in intimate proximity. It's just the living part we still have to work out. »
**Vas-y ma chère tu peux me blesser, je le supporterais »
*** When white people fight, her mother declares without a scrap of rational evidence, it is always over property!