«
le Président » de
César Aira traduit de « El Presidente » par
Christilla Vasserot (2022, Christian Bourgois Editeur, 128 p.) est un court roman qui traite de la vie nocturne d'un étrange promeneur dans les rues de Buenos Aires. Comme si les déambulations nocturnes du Président de la République étaient l'apanage de l'Argentine. Comme si l'homme qui habite la Casa Rosada était à la recherche de l'homme qu'il fut autrefois que les ors du pouvoir ont éloigné de la vie réelle.
« Ce n'est pas seulement dans les contes orientaux que ces choses se sont produites. Au coeur de l'Occident, et dans un pays aussi incrédule à la magie et au mysticisme que l'Argentine, son président sortait incognito la nuit, pour se mêler aux gens et vivre en personne leurs joies et leurs peines ». Cela commence comme dans un conte des mille et une Cela se termine d'ailleurs pareillement. « Il voulait être Président comme la goutte d'eau veut être la mer ». Bon, il faut meubler entre la phrase initiale et la finale. César Aria sait bien le faire, à un très bon niveau. Il y a tout de même une centaine de pages, moins si on décompte les pages blanches de fin des 16 chapitres.
« Passé minuit, une petite porte s'ouvrait à l'arrière de la Casa Rosada, le palais présidentiel, et une ombre furtive se faufilait et s'éloignait d'un pas rapide à travers les rues sombres, longeant banques et ministères, des bâtiments déserts et fermés à cette heure tardive, pour se rendre dans les quartiers populaires, là où la vie ne s'arrêtait pas en dehors des heures de bureau ». A Paris, l'Elysée dispose de la grille du Coq, ainsi appelée car surmontée d'un coq doré. C'est par là que Marguerite Steinheil a hâté la « perte de connaissance » de
Félix Faure en 1899. Mais c'était il y a deux siècles d'ici. Depuis c'était en voiture que
le président allait rendre visite aux laitiers et éboueurs.
Donc
le président sort et déambule sous un humble déguisement, en fredonnant une mélodie « qui berce les rêves de ses concitoyens ». Mais il a des chaussures orthopédiques. « Il «ne tirait pas le moindre profit politique, n'en cherchait pas non plus et gardait cette activité secrète. Sa motivation, parfaitement étrangère à la politique, était l'amour. Lorsqu'il se trouvait dans sa sphère d'influence, ce sentiment l'immunisait contre les ardeurs de ses opposants qui, pendant que lui laissait son coeur s'enfoncer dans la nuit des humbles, conspiraient sans fermer l'oeil pour que son mandat prît fin avant terme et cherchaient dans les archives des preuves de corruption ou de comptes secrets à l'étranger. Tard dans la nuit, le sommeil des âmes avait raison de la division des pouvoirs ». D'ailleurs, il prend soin de laisser une lampe allumée « de vingt-cinq watts était suspendue au plafond », sans doute pour économiser, et faire croire qu'il travaillait ».
En fait, il a plusieurs secrets. En chantant ainsi,
le président se souvient de son ami d'enfance, le Petit Birrete. Un ami qui a disparu et dont la vie sacrifiée l'a inspiré à commencer son chemin politique. Mais qui a aussi ouvert les portes du doute en lui. le Petit Birrete n'est plus là, devenu fou ou mort. « La démence s'empara de lui, avec tous son poids de confusion et de tristesse ». pourquoi ce nom de birrete, qui signifie plutôt barrette de cardinal.
Critique discrète du système social, quoique le reste du roman, exclu une prise de position politique ou une revendication sociale précise. Tout est dilué lors de ses obsessions quotidiennes. Il n'y a pas non plus chez lui de volonté de modifier la réalité au profit ou au détriment de ses gouvernés.
Il y a aussi Xenia, une ancienne petite amie dont
le président voudrait bien connaître les secrets de son indépendance affective. « Xenia la pratique. Xenia l'autonome » Il existe pour cela « l'Unité Présidentielle » au sein de « l'Hôpital Argerich ». Un vaste bâtiment, doté de tous les systèmes de sécurité possibles Où même
le président ne peut entrer ou faire entrer quelqu'un. « Si l'on ne parvenait pas là-bas à localiser et à déchiffrer le Guide Pratique caché dans le cerveau de Xenia, alors personne n'y parviendrait nulle part ».
Xenia, à qui il confie la gestion d'un petit garde-manger dans un quartier périphérique. Ils se réunissent tous en groupe ou semblent tel un complot d'enlèvement. « Elle traversait la forêt obscure du capitalisme en trouvant son chemin, jamais perdue, toujours bien nourrie, même si cela portait atteinte à sa silhouette »
Enfin, il y a la Rabina, son initiatrice au sexe qui possède, selon lui des pouvoirs surnaturels. Un personnage exotique, une sorte d'amazone. « Une autre, à une étape antérieure de sa vie, l'avait entrainé dans des régions couvertes de nuages bas, de landes pluvieuses et de végétation sous-marine ».
Roman finalement assez crépusculaire. Un trio de personnages qui tourne autour du personnage principal, forment ses principales préoccupations. Un ami d'enfance ayant sombré dans la folie, une petite amie qui a joué l'initiatrice, et une autre qui l'intrigue par son indépendance. Au centre, un personnage, finalement assez falot, qui n'a pas changé e vêtements ou de chaussures depuis sa prise de fonction. « C'était de la réalité, mais en même temps, paradoxalement, tout le monde voulait s'évader de la réalité, que la pauvreté rendait insoluble... Les riches, au contraire, vivant dans un monde de fantasmes, aimaient la réalité ».
César Aira soutient qu'il s'agit d'une « littérature littéraire », c'est-à-dire d'une oeuvre qui peut utiliser tous les thèmes, toutes les langues et tous les paysages toujours et seulement si elle sert la littérature elle-même. A priori, cette définition me convient mieux que roman politique lu social. C'était sans doute le cas pour ses tout premiers romans. «
Ema la Captive », écrit en 1978 et publié en 1981, puis traduit par
Gabriel Iaculli (1994, Gallimard, La Nouvelle Croix du Sud, 224 p.) est un livre à la gloire de l'Argentine et des gauchos, à la façon du «
Martin Fierro » mythe argentin issu du long poème de
José Hernandez (1872-1880), qui scelle la formation de la nation argentine. Voir le récit de
Jorge Luis Borges et surtout «
Les Aventures de China Iron » de
Gabriela Cabezón Cámara, traduit par
Guillaume Contré (2021,
Editions De l'Ogre, 256 p.). La tétralogie du lièvre, est de la même veine et comprend les quatre titres publiés en 4 ans chez le même éditeur. Soit « La liebre » (1991, Emece Editores, 254 p.), « Embalse » (1992, Emece Editores, 222 p.), « La guerra de los gimnasios » (1993, Emece Editores, 168 p.) et « Los misterios de Rosario » (1994, Emece Editores, 224 p.). Pourquoi cette tétralogie ? A l'origine un rêve apocalyptique ou plutôt un cauchemar de
César Aira. Dans ce rêve le « lièvre légibrérien » marque la fin des temps.
Puis, il y a les livres spécifiques sur la ville, que ce soit Buenos Aires, où il vit ou Coronel Pringles où l'auteur est né en 1949. Ce sont «
le Tilleul » (2021,
Christian Bourgois, 120 p.) et son complément «
Esquisses musicales » tous deux traduits par
Christilla Vasserot (2021,
Christian Bourgois, 120 p.). Ensuite sur Buenos Aires, et sur son quartier de Florès, avec «
La guerre des gymnases » (2000, André Dimanche Editeur, 116 p.) ou «
Les Nuits de Florès » tous deux traduits par
Michel Lafon (2005,
Christian Bourgois, 147 p.). Ce dernier est un roman sur la crise en Argentine, vue par le « petit peuple ».
César Aira soutient qu'il s'agit d'une « littérature littéraire », c'est-à-dire d'une oeuvre qui peut utiliser tous les thèmes, toutes les langues et tous les paysages toujours et seulement si elle sert la littérature elle-même. Ce qu'il y a de compliqué chez
César Aira, c'est que souvent plusieurs livres se correspondent ou s'entremêlent. C'est le cas, flagrant de la « Tétralogie du Lièvre », mais c'est plus subtil quand il compare les schémas des villes, comme Coronel Pringles et le quartier de Florès à Buenos Aires dans «
le Prospectus », «
La Guerre des Gymnases », «
le Manège » ou «
Les Nuits de Florès ». Tous ces livres sont à lire, non pas en même temps, mais à la suite, pour comprendre comment l'architecture de la ville modèle la société qui y habite. C'est en cela que
César Aira est politique.
César Aira écrit beaucoup, depuis ses 18 ans, cela fit plus d'une centaine de titres. de loin pas tous traduits, depuis « La Luz Argentina » (1983, Centro Editor de América Latina, Buenos Aires, 130 p.) et «
Canto Castrato », un livre sur les castrats écrit la même année et traduit plus tard (1992, Gallimard, 352 p.).
« Et la Lune, pendant ce temps, marquait les heures en avançant ».