C'est un roman que je n'aurais certainement pas acheté, donc lu, s'il ne m'avait été offert. Drôles de circonstances... le site Babelio (une véritable mine d'or pour lecteur affamé, et dont je suis membre depuis quelques temps déjà) est partenaire d'une opération en collaboration avec les éditeurs : Masse critique (https://www.babelio.com/massecritique.ph)
Bref, voilà environ 3 semaines, je recevais ce roman dans ma boîte aux lettres...
Habituellement, j'aurais plutôt tendance à éviter ce genre de lectures, avec souvent trop de préjugés (roman sûrement trop noir pour moi, je n'en retirerai rien de bien intéressant...). Purs prétextes, car je sais très bien ce qui, au fond, me fait peur : je risque de me retrouver face à une réalité que je préfère la plupart du temps de pas voir, face à des vies trop durement malmenées. Des colombiens, j'en ai connus quelques uns. Il y a quelque chose que l'on retrouve dans leur regard, qui ressemble un peu à de la peur, sinon de l'inquiétude. Et c'est en eux, tout le temps. Je sais maintenant exactement pourquoi.
Ce roman est magnifique, et pourtant terrible "…ça ne va pas être un roman noir. […] Ce sera plutôt un roman d'amour". Oui, on peut voir les choses ainsi... ou inversement ! J'ai aimé, dès les premières pages, l'écriture de
Santiago Gamboa, qui nous emmène avec lui dans une spirale infernale. Peu de répit dans ces pages, sinon les courts récits décalés d'Inter-Nette, qui arrivent toujours étrangement et qui, à mon avis, n'apportent pas grand chose à cette histoire, et la rencontre de Juana avec le vieux français, que j'ai trouvé succulente.
Dans un autre roman, j'avais lu qu'"un bon livre est un livre que l'on regrette d'avoir terminé". Alors oui : je viens de terminer un très bon livre !
Je ne peux résister de partager avec vous un passage un peu long, peut-être, mais que j'ai trouvé fascinant et qui vous donnera aussi envie, je l'espère, de vous plonger dans cette lecture...
"Quand le vieil homme, qui s'appelait monsieur
Echenoz, s'est rétabli, nous avons commencé à parler. Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi de rester en Colombie, un pays sous-développé et si violent, dont tout le monde veut partir, il m'a répondu mais non, et toi, tu veux partir ? Je lui ai dit que oui, si je le pouvais, je partirais tout de suite, avec mon frère. Et pour aller où ? N'importe où, n'importe quel endroit au monde doit être mieux qu'ici, j'aimerais aller en Europe, dans un pays civilisé. Il m'a regardée sans me juger, le drap couvrait la moitié de sa poitrine, des poils blancs sortaient des boutonnières de son pyjama. Un pays civilisé ? il a dit. Non, tu ne veux pas quitter
la Colombie, ce que tu veux c'est t'éloigner de quelque chose que tu n'aimes pas, mais que tu risques de retrouver n'importe où, disait-il moi je connais bien le monde, l'Afrique surtout, où j'ai travaillé quand j'étais jeune pour des compagnie pétrolières française, au Zaïre et au Rwanda, des pays durs, mais aussi magnifiques. Je peux dire la même chose de l'Asie. Malgré les difficultés, la vie y est beaucoup plus belle que dans les endroits "civilisés", d'ailleurs que signifie
la civilisation ? En Europe, il n'y a pas de futur. c'est un continent fatigué et grincheux qui veut apprendre à vivre aux autres, mais à force de se regarder dans un miroir, l'Europe s'est figée. Tu fais des études de sociologie ? L'Italie e la France sont gouvernées par des clowns, que signifie être de gauche là-bas ? Pas grand-chose : lire la presse de gauche, avoir un vieux CD de
Manu Chao, des tee-shirts du Che et du sous-commandant Marcos, se soucier de l'écologie et des droits de l'homme dans un pays lointain, guère plus. L'Europe, comme toute société opulente, est sur la pente descendante. Comme un individu qui a tout : il est amoureux de lui-même et il s'admire, c'est ce qui se passe là-bas, mais ce que ne savent pas les Européens, c'est qu'ils ne sont l'avenir de personne. Tout au contraire : l'avenir, c'est la périphérie. Pourquoi dire que ce pays est sous-développé et violent, comme si c'était une valeur essentielle, raciale ou culturelle d'une nation et pas d'une autre ? Ce qu'il y a, c'est que
la Colombie est un pays jeune, très jeune, qui cherche encore son langage. Ce que tu vois en Europe, cette paix d'aujourd'hui, a coûté deux mille ans de guerre, de sang, de torture et de cruauté. Quand les nations d'Europe avaient l'âge de
la Colombie, elles étaient ennemies et chaque fois qu'elles s'affrontaient, des fleuves de sang coulaient, des lagunes, des estuaires, des baies de sang. La dernière guerre européenne a fait cinquante quatre millions de morts. Tu trouves que ce n'est pas violent ? Ne l'oublie jamais. (...) de la violence naissent les sociétés et les périodes de paix, c'est comme ça depuis la nuit des temps,
la Colombie est à mi-chemin de ce processus et je t'assure qu'elle va y arriver plus rapidement, et avec moins de sang qu'en Europe."