Tiburce était réellement un jeune homme fort singulier ; sa bizarrerie avait surtout l’avantage de n’être pas affectée, il ne la quittait pas comme son chapeau et ses gants en rentrant chez lui : il était original entre quatre murs, sans spectateurs, pour lui tout seul.
N’allez pas croire, je vous prie, que Tiburce fût ridicule, et qu’il eût une de ces manies agressives, insupportables à tout le monde ; il ne mangeait pas d’araignées, ne jouait d’aucun instrument et ne lisait de vers à personne ; c’était un garçon posé, tranquille, parlant peu, écoutant moins, et dont l’œil à demi ouvert semblait regarder en dedans.
Il vivait accroupi sur le coin d’un divan, étayé de chaque côté par une pile de coussins, s’inquiétant aussi peu des affaires du temps que de ce qui se passe dans la lune. — Il y avait très peu de substantifs qui fissent de l’effet sur lui, et jamais personne ne fut moins sensible aux grands mots. Il ne tenait en aucune façon à ses droits politiques et pensait que le peuple est toujours libre au cabaret.
Ses idées sur toutes choses étaient fort simples : il aimait mieux ne rien faire que de travailler ; il préférait le bon vin à la piquette, et une belle femme à une laide ; en histoire naturelle, il avait une classification on ne peut plus succincte : ce qui se mange et ce qui ne se mange pas. — Il était d’ailleurs parfaitement détaché de toute chose humaine, et tellement raisonnable qu’il paraissait fou.
Il n’avait pas le moindre amour-propre ; il ne se croyait pas le pivot de la création, et comprenait fort bien que la terre pouvait tourner sans qu’il s’en mêlât ; il ne s’estimait pas beaucoup plus que l’acarus du fromage ou les anguilles du vinaigre ; en face de l’éternité et de l’infini, il ne se sentait pas le courage d’être vaniteux ; ayant quelquefois regardé par le microscope et le télescope, il ne s’exagérait pas l’importance humaine ; sa taille était de cinq pieds quatre pouces, mais il se disait que les habitants du soleil pouvaient bien avoir huit cents lieues de haut.
Tel était notre ami Tiburce.
Tiburce allait rarement dans le monde ; il accueillait très bien ses amis mais ne leur rendait jamais visite…
Les gens superficiels l’accusaient d’insensibilité et les femmes entretenues ne lui trouvaient pas d’âme… Un jour, arrivé au bout de ses moyens de distraction, il se mit à courir les rues ; en marchant, il réfléchit qu’il avait le cœur vide et sentit le besoin de faire une passion.
Il se posa les questions suivantes : aimerai-je une Espagnole au teint d’ambre et aux cheveux de jais ? une Italienne aux lignes antiques et au regard de flamme ? une Française fluette au pied de poupée ? une négresse noire comme la nuit ? Aurai-je une passion blonde ou une passion brune ?
Tous les jours Tiburce allait à la cathédrale et s'abîmait dans la contemplation de sa madeleine bien-aimée, et chaque soir il en revenait plus triste, plus amoureux et plus fou que jamais. - sans aimer de tableaux, plus d'un noble cœur a éprouvé les souffrances de notre ami en voulant souffler son âme à quelque morne idole qui n'avait de la vie que le fantôme extérieur, et ne comprenait pas plus la passion qu'elle inspirait qu'une figure coloriée.
Cela se voit tous les jours; n’avons-nous pas chacun dans notre sphère été aimé obscurément par quelque humble cœur tandis que nous cherchions de plus hautes amour? N’avons-nous pas foulé au pied une pâle violette au parfum timide, en cheminant les yeux bleus baissés vers une étoile filante et froide qui nous jetait son regard ironique du fond de l’infini. L’abîme n’a-t-il pas ce magnétisme et l’impossible sa fascination ?
Il se trouvait face à face avec son rêve secret, avec son espérance inavouée : l'image insaisissable qu'il avait poursuivie de toute l'ardeur d'une imagination amoureuse, et dont il n'avait pu apercevoir que le profil ou un dernier pli de robe, aussitôt disparu
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe.
La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska.
Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale
Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique
Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production
Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation
Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design
Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix
Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques
Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac
Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836
Maison de Balzac, BAL 1990.1
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac
Orfèvre le Cointe, 1834
Maison de Balzac, BAL 186
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne
Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976
Maison de Balzac, B2290
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature
Théophile Gautier, 1830
Maison de Balzac, BAL 333
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac
Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835
Maison de Balzac, BAL 972
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 252
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 253
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg
Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky)
Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin)
Louis Hersent, 1824
Musée de l'Histoire de France
© Palais de Versailles, RF 481
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