De vieilles dames, maîtresses dans l'art des accouplements légitimes ou illégitimes, se seraient senties justifiées dans leur passé et leurs errements à réussir celui-là. Certaines le cherchaient dans la beauté parfaite, d'autres dans la perfection morale ou spirituelle. L'une d'elles avait presque fini par le convaincre et l'amener à penser à certaine jeune fille, sur laquelle tout le monde s'accordait, et il l'avait vue, et il avait été séduit, et le soir du jour où il allait lui parler, la vieille dame avait appris qu'elle entrait le lendemain au couvent...
Elle eut le sentiment que depuis quelques heures tout se préparait pour avilir cet être candide qui continuait à lui parler des nids dans les arbres, en elle tout ce qu'on appelle les démons, l'appétit, la chair, le désir de la tromperie, en Reginald tout ce qu'on appelle les archanges, la fidélité à une image aimée, le repos divin hors du travail et des hommes, et par cette collaboration du suprême mal et du suprême bien, à laquelle s'ajoutait la collaboration des taxis rapides, Nelly eut la certitude, elle ne l'avait pas encore eue, elle était jeune, qu'en ce bas monde toute grande infamie est toujours admirablement prête, admirablement préparée, dans la même hypocrisie, par les puissances maudites et les puissances bénites, et dans le cas présent, que l'amour avait tout merveilleusement combiné pour avilir l'amour. L'amour si pur de Reginald d'un côté, l'amour si merveilleux de Gaston d'un autre.
Il éprouvait une fraternité réelle pour tous, méchants et bons. Il avait de la réussite, et pas d'orgueil, du courage, et pas de vanité. Il lui était arrivé à chaque instant ces aventures qui sont uniques dans les autres vies : il avait sauvé des enfants, il était entré le premier dans une ville conquise, il avait annoncé à un roi qu'il fallait abdiquer dans la minute, il avait annoncé d'un balcon à un peuple qu'il était libre, il avait arrêté le cheval emballé du char à bancs d'un pensionnat de jeunes filles, il avait été fusillé et laissé sur place. Sous ses pas, toute cette vie qui découle des autres comme une sueur, se prenait en épisodes. Partout où il passait, il y avait tendance à le prendre pour un roi en exil, pour un président de conseil en exercice : il n'était qu'un homme en exercice ; il était vis-à-vis des dons du monde civilisé ce que les sauvages sont vis-à-vis de la nature.
Elle dormait profondément, tout le sommeil était sur elle, mais soudain, comme il partait, Gaston avait vu dans le miroirses deux yeux s'ouvrir larges et lui lancer un regard. C'étaient des yeux secs, clairs, des yeux qui n'avaient évidemment pas dormi de la nuit. C'était un regard d'une dureté de bête de proie. Puis ils s'étaient refermés, et quand Gaston était revenu sur la pointe des pieds au bord du lit, il n'avait osé dire un mot ou toucher cette femme que le sommeil changeait en statue, cet étrange sommeil qui laisse les yeux libres de démentir par un regard toutes les promesses que la vie et les événements viennent de vous faire. Jamais depuis il n'y avait fait allusion. Il y avait à ce regard une seule explication ; à cela il ne pouvait se tromper ; il avait vu ce regard dans l'œil du premier fiancé de Nelly, quand il la lui avait prise : la haine.
Et Nelly avait juré ! Et Gaston, comprenant la peine de Nelly devant cet obstacle, avec l'instinct de la jalousie, l'avait amenée peu à peu à un parjure insensible sur la tête du père mort, jusqu'au jour où il avait lui-même douté. Et Nelly, –car les femmes ont un tel besoin d'un secours, d'une place libre dans leur coeur pour la vérité, – avait été amenée à la chercher ailleurs, et l'avait trouvée dans son fils. A côté de ce père qui lui permettait les mensonges et l'aidait à mentir, elle avait voulu un fils qui ne le lui permît pas. Quand viendrait ce fils ? D'où viendrait-il ? Peu importait. Il serait peut-être le fils de ce Gaston auquel il fallait mentir. Mais il existait déjà en elle, pur, inattaquable, lumineux.
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Les Jeux olympiques de littérature
Louis Chevaillier
Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. »
Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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