Publié en 1939, soit à une époque où rien n'était cachée de l'horreur du régime nazi, qui persécutait les Juifs depuis 1933,
Giraudoux manifeste dans Pleins pouvoirs une admiration certaine pour les régimes dictatoriaux de l'époque, et une xénophobie qui s'alimente essentiellement d'antisémitisme. Était-ce banal à l'époque ? Je ne me souviens pas avoir lu de « bons mots » antisémites chez Mauriac, ou
Gide... et ces « bon mots » s'étendent sur bien plus de « deux pages », contrairement à ce qu'on lit sur la p. Wikipédia de
Giraudoux, verrouillée par ses délateurs, qui éliminent ceux qui tentent tout simplement de dire la vérité.
L'objectif de ce
t essai est de dire « ce que je crois être le vrai problème français », écrit l'auteur (p. 13), obsédé par le déclin démographique de la France, quand il le compare à la vitalité des autres nations européennes (p. 46). Dépeuplée, la France accueille des étrangers : « Notre hospitalité est provocatrice qui procure aux exilés – exceptons ceux d'Argelès ou de Thiers – une espèce de Terre promise » (p. 25). La saignée de 14-18 a aggravé ce phénomène, mais pas seulement : « L'avortement sévit impunément, diminuant de moitié » (rien que ça !) « le nombre de nos naissances » (p. 48).
Giraudoux se demande alors : « N'y a-t-il pas en dehors des traités, qui sont artifice, en dehors des conventions, qui sont des trêves mensongères, un moyen de sauver la race ? » (p. 43). En effet, « le seul problème (…) c'est le problème du nombre et de la qualité des Français » (p. 43). Il y aurait des solutions, mais « Le sport, qui doit donner à la race sa qualité, est en jachère. le certificat prénuptial, qui doit lui donner sa santé, n'est gratuit que dans un seul département : l'Aisne » (p. 48).
La pensée de
Giraudoux frise l'eugénisme : « On oublie aussi, dans un pays de courtoisie, que la politesse suprême, c'est encore d'être bien portant et beau » (p. 54). Vive les Lebensborn ! En 1939, Hitler avait déjà résolu le problème des malades mentaux... Hélas, « le Français devient rare » (p. 56). « Certes, l'étranger abonde en France » (p. 58). La faute à la guerre, on l'a vu : « Au lendemain de la guerre, qui avait coûté un million de morts, deux millions de mutilés, et détruit l'élite de plusieurs générations, il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir chez nous l'irruption en masse » (p. 59). La France est « devenue le seul pays civilisé d'immigration » (p. 60). Il existe donc d'autres pays, non civilisés.
Giraudoux énumère alors le nombre d'immigrés venant des pays de l'Est ou d'Italie. : « Il s'agissait, en la distribuant sur les points de la France où les appelait sa déficience même, de remédier à notre manque d'hommes. (…) Mais il s'agissait aussi, par un choix méthodique, par une surveillance impitoyable, de refouler tout élément qui pouvait corrompre une race qui doit sa valeur à la sélection et à l'affinement de vingt siècles » (p. 62). Il exprime une mystique de la race française qui fait fi du fait que la France ne s'est construite que par l'amalgame de quantité d'autres ethnies nullement francophones au départ : Bretagne, Corse, Savoie, Occitanie pays Basque, Flandres, Alsace... Il admet l'accueil de nos voisins : « Par l'invasion, l'infiltration, l'appel, elle a admis chez elle, outre nos frères suisses et belges, la race anglo-saxonne, la scandinave, la germanique, la latine. Des races qui ne peuvent rien pour sa race, elle a su fort bien se débarrasser dès leur première insistance. Poitiers l'a débarrassée des Arabes et des Noirs ; Châlons, des asiatiques. (p. 64).
Giraudoux omet que la France s'est tout de même assez intéressée au Arabes et aux Noirs en les colonisant pour les exploiter, ce que
Gide a courageusement dénoncé dans son « Voyage au Congo » et son « Retour par le Tchad »... Mais pour
Giraudoux, l'entreprise colonisatrice française ne saurait qu'être porteuse de nos lumières.
Il va alors longuement dénoncer, p. 65 à 76, son rejet des mauvais immigrés que sont les Juifs, avant d'exprimer son admiration pour Hitler :
« Entrent chez nous tous ceux qui ont choisi notre pays, non parce qu'il est la France, mais parce qu'il reste le seul chantier ouvert de spéculation ou d'agitation facile, et que les baguettes du sourcier y indiquent à haute teneur ces deux trésors qui si souvent voisinent : l'or et la naïveté. Je ne parle pas de ce qu'ils prennent à notre pays, mais, en tout cas, ils ne lui ajoutent rien. Ils le dénaturent par leur présence et leur action. Ils l'embellissent rarement par leur apparence personnelle. Nous les trouvons grouillants sur chacun de nos arts ou de nos industries nouvelles et anciennes, dans une génération spontanée qui rappelle celle des puces sur un chien à peine né.
Entrent chez nous, sous le couvert de toutes les révolutions, de tous les mouvements idéologiques, de toutes les persécutions, non pas seulement ces beaux exilés de 1830 ou de 1848 qui apportaient là où ils allaient, États-Unis, Europe Centrale, Afrique du Sud, le travail, la conscience, la dignité, la santé, mais tous les expulsés, les inadaptés, les avides, les infirmes. Sont entrés chez nous, par une infiltration dont j'ai essayé en vain de trouver le secret, des centaines de mille Askenasis, échappés des ghettos polonais ou roumains, dont ils rejettent les règles spirituelles, mais non le particularisme, entraînés depuis des siècles à travailler dans les pires conditions, qui éliminent nos compatriotes, tout en détruisant leurs usages professionnels et leurs traditions, de tous les métiers du petit artisanat : confection, chaussure, fourrure, maroquinerie, et, entassés par dizaines dans des chambres, échappent à toute investigation du recensement, du fisc et du travail.
Tous ces émigrés, habitués à vivre en marge de l'État et à en éluder les lois, habitués à esquiver toutes les charges de la tyrannie, n'ont aucune peine à esquiver celles de la liberté ; ils apportent là où ils passent l'à-peu-près, l'action clandestine, la concussion, la corruption, et sont des menaces constantes à l'esprit de précision, de bonne foi, de perfection qui était celui de l'artisanat français. Horde qui s'arrange pour être déchue de ses droits nationaux et braver ainsi toutes les expulsions, et que sa constitution physique, précaire et anormale, amène par milliers dans nos hôpitaux qu'elle encombre.
En ce qui concerne les migrations provoquées par lui-même, notre État n'a pas eu plus de prévoyance. Il n'a jamais été guidé que par des considérations matérielles. D'abord, alors qu'il pouvait choisir parmi les races les plus voisines de la nôtre, il a favorisé l'irruption et l'installation en France de races primitives ou imperméables, dont les civilisations, par leur médiocrité ou leur caractère exclusif, ne peuvent donner que des amalgames lamentables et rabaisser le standard de vie et la valeur technique de la classe ouvrière française. L'Arabe pullule à Grenelle et à Pantin.
Un vieil ami de régiment, bien français (il répond même au nom de Frisette), est venu, les larmes dans les yeux, me demander mon aide pour sauver de l'expulsion ses voisins. Il m'en fit, malgré son enthousiasme, une description tellement suspecte que je décidai d'aller les voir avec lui.
Je trouvai une famille d'Askenasis, les parents, et les quatre fils, qui n'étaient d'ailleurs pas leurs fils. Ils n'avaient, naturellement, aucun permis de séjour. Ils avaient dû pénétrer en France soit en utilisant les uns après les autres le même permis, par cette resquille qui nous servait, lycéens, à voir les matches Carpentier, soit en profitant des cartes de l'exposition, soit grâce à l'entremise d'une de ces nombreuses agences clandestines qui touchent de cinquante à mille francs par personne introduite, qui s'arrangent même pour dénoncer leurs clients à la police, les faire expulser, afin de les réintroduire à nouveau et toucher une seconde fois la prime.
Le soi-disant père avait pu aussi s'engager comme ouvrier agricole, et, admis sous ce titre, se gardant bien de rejoindre la campagne, il s'était installé avec sa famille au centre de Paris. Et ce bon M. Frisette, qui a des enfants, des neveux qui étudient, et dont certains cherchent vainement une place, venait me supplier d'obtenir l'équivalence de droits avec ses enfants, ses neveux, pour ces étrangers dont déjà on devinait qu'ils seraient leur concurrence et leur saignée.
L'assortiment était complet. C'en était comique. On devinait celui qui vendrait les cartes postales transparentes, celui qui serait le garçon à la Bourse, puis le courtier marron, puis Staviski ; celui qui serait le médecin avorteur, celui qui serait au cinéma d'abord le figurant dans Natacha, puis
M. Cerf, puis M. Natan. Il y avait même, excuse et rédemption qui ne laissait pas de me troubler, celui, à regards voilés, qui pouvait être un jour
Israël Zangwill.
Aucun papier, que des faux. Ils étaient là, noirs et inertes comme les sangsues en bocal ; mais ni M. Frisette, ni Mme Frisette, émus de leur sort, et qui imaginaient leur neveu et leur petite-nièce ainsi abandonnés dans un pays étranger, ni la concierge, qu'ils avaient achetée par un col en faux putois, ne se résignaient à les voir quitter la ville de Henri IV et de Debussy.
Concluons. Dans l'équipe toujours remarquable des hommes d'État qui prétendent à la conduite de la France, le seul qui aura compris, celui auquel il conviendra de tresser plus tard des couronnes aussi belles qu'au ministre de la paix, sera le ministre de la race (...).
le pays ne sera sauvé que provisoirement par les seules frontières armées : il ne peut l'être définitivement que par la race française, et nous sommes pleinement d'accord avec Hitler pour proclamer qu'une politique n'atteint sa forme supérieure que si elle est raciale, car c'était aussi la pensée de Colbert et de Richelieu. »
Notons que
Giraudoux dénonçait la pratique de l'avortement, que seul le « médecin juif » semble pratiquer. Être « pleinement d'accord avec Hitler » en 1939 soulève quand même le problème de l'adhésion de
Giraudoux à ses actes.
Plus loin, il compare les piètres grands travaux des démocraties à ceux qui ont été réalisés dans l'Allemagne sous Hitler, en Italie sous Mussolini et même en URSS, pour faire l'éloge des ces derniers : « Alors que certaines nations, la France, l'Angleterre, les États-Unis, ne virent dans les grands travaux qu'un remède au chômage (…) les nations tyranniques en firent l'auxiliaire et la base d'une politique nationale frénétique. Russie, Allemagne, et à un moindre degré l'Italie, au lieu d'une simple embauche, convièrent la nation à une fête gigantesque du travail. Ces peuples ruinés et épuisés par la guerre, ils les provoquaient à une mobilisation forcée de paix. Ils les invitaient, les forçaient à se livrer sur leur pays de toute la force de leur imagination, de leur passion, à une série d'embellissements, de perfectionnements qui devaient non seulement en faire les pays les plus modernes du monde, mais surtout ne pas permettre à la nation que le travail fût un repos ou une distraction du délire politique. Par des plans quinquennaux ou décennaux, ils créaient des programmes destinés à harceler l'attention, l'orgueil, à obtenir la communion de ceux qui n'en étaient pas eux-mêmes les ouvriers. Tout un système artériel nouveau était créé pour la nation, dans le gigantesque, dans le dédain des difficultés matérielles ou financières. Malgré les obstacles naturels, malgré l'absolue pénurie de crédits étrangers, dix mille kilomètres de canaux allemands devenaient des canaux pour les péniches de deux mille tonnes, alors que la France n'a qu'un tronçon de 30 kilomètres où celles de mille tonnes puissent s'aventurer. ; (…) onze mille kilomètres d'autostrades étaient créés, avec des largeur jusque là inconnues en Europe ; les marais Pontins devenaient des villes ; tous les souvenirs ancestraux étaient dégagés ; dût-on détruire des quartiers entiers, pour qu'il fût bien établi qu'il s'agissait là d'un délire, d'un avivement national (…) La ville russe qui construisait une maison de pierres, à étages, en six jours, était citée à l'ordre. » (p. 131-133).
Giraudoux n'a pas un mot pour dénoncer l'asservissement des populations de ces « nations tyranniques », qui ont été contraintes de travailler en esclaves pour ces réalisations devant lesquelles il s'extasie et ne voit pas que ces travaux accompagnaient une économie de guerre...