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La fille surexposée », ce sont toutes ces femmes disponibles sur cartographie, ou offertes à la prostitution par le sort de la misère, à ces hommes, ces colons, venus au Maroc ou sur ces autres terres, lorsque la France et ses consoeurs, décidaient que leurs frontières devaient pas se limiter à leurs seules frontières. Et forcément, ces femmes d'ailleurs, et tous les clichés photographiés ou mentaux qui les accompagnaient, que l'on nourrissait, firent de ses femmes rien des machines à fantasmes. Des odalisques offertes aux poitrines dévoilées, aux sexes qui promettaient tout l'exotisme des amours clandestines, avec toute la panoplie associée à ces femmes, des costumes jusqu'aux décors, des bijoux, maquillage jusqu'aux poses qui semblaient inviter le mâle à des délices inattendus, là où ces femmes se vendaient, certes pas pour leur plaisir, mais parce qu'elles avaient été répudiées, ou s'étaient sauvés d'un mariage qui n'était qu'une prison où s'enterrer vivante.
Ces femmes, elles sont partout, dans le quartier du Maroc, où elles officient, sous la « protection des autorités administratives », et qui s'appelle le Bousbir, elles sont dans l'imaginaire des hommes, des autochtones comme des étrangers, elles font fantasmer les garçons d'avant la puberté, et d'après leur virilité découverte. Elles sont partout car leurs chairs habitent bien plus les hommes que les hommes ne les possèdent, et pourtant, véritablement, elles sont nulle part. Nul ne soucie d'elles, nul ne les connait, nul ne cherche à les connaître, car les hommes n'ont à coeur que d'obéir aux envies pulsionnelles de leur sexe, et si tous veulent ces femmes, ce n'est que pour leur plaisir ; alors, ces femmes n'existent pas.
Leur vie, leur destin, leur personnalité, leur devenir, leur manque de devenir, tout ce que ne s'offre pas et ne s'ouvre pas pour quelques billets, n'est qu'anonymat pour l'homme. Même leur prénom est gommé, même les photos truquent leurs origines en les faisant Tunisiennes, Marocaines ou d'ailleurs… Et cet anonymat, cette insignifiance imposées à des femmes pourtant si prégnantes dans les vies masculines qui ne les croisent que pour les basculer,
Valentine Goby en fait un cri de colère. Elle s'insurge contre cet état de faits, et lorsqu'Isabelle, son héroïne, récupère la photo d'une de ces femmes, c'est une plongée dans l'univers de ces femmes oubliées d'avoir été si exposées, que l'auteure nous offre.
La photo, elle provient de son grand-père, du temps, où il étaient un jeune militaire français, et qu'il s'offrait une femme pour son réveillon, alors que sa maîtresse obligeante, car obligée, ne s'exécutait qu'en espérant qu'elle gagnerait, en plus de sa subsistance, une place de cinéma, afin d'y voir sur grand écran la vie de Jeanne d'Arc, la femme qui a conduit une armée d'hommes pour les résultats que l'on sait.
Dans ce texte, il y a aussi Miloudi, un photographe amoureux de son art depuis l'enfance. Il a tenté Paris, mais Paris ne l'a pas compris, car Paris ne voulait pas comprendre les autres-côtés de la Méditerranée, ce que Paris voulait, c'était les fameux clichés qui donnent du sel à leurs fantasmes stéréotypés, et Miloudi n'est pas des machines à les fournir. Il est un enfant du Maroc, il a connu le Bousbir, il sait le secret des femmes « surexposées », il partage la colère d'Isabelle, et il se sert de son art pour le crier et le revendiquer. Isabelle et lui se croiseront le temps de quelques mots, d'un regard et d'une poignée de mains partagés sur le sol marocain, mais l'essentiel sera dit ; ils sont de la même étoffe. de celle qui fait de
Valentine Goby l'auteure d'un roman qui claque à l'âme et nous crie de ne pas oublier celles que l'on dénude trop pour les voir.