En 1999, en plein cours d'histoire de prépa, je suis tombée amoureuse de la Russie.
Là où mes camarades de classe ne voyaient que barbarie je voyais des destins fantastiques, là où ils ne faisaient que subir les cours d'histoire géopolitique assommants, je me repaissais des tsars, de l'empire soviétique, de mots à la sonorité trébuchante tels que Politburo, Perestroika ou Glasnost, là où ils assimilaient les Russes à des baudruches emplies de vodka appartenant tous à la mafia, j'imaginais des histoires merveilleuses sur fond de températures glaciaires, de chapka, de balades en calèche autour de la Place Rouge.
Combinez mon amour naissant pour la Russie et mon amour naturel pour la littérature et vous comprendrez aisément que je me suis plongée avec délectation dans les livres de
Fédor Dostoïevski,
Léon Tolstoï,
Ivan Tourgueniev et
Alexandre Pouchkine.
Il y en a un par contre que je n'ai jamais ouvert, plus par manque d'occasion que par goût, c'est
Gogol.
Les puristes me répondront que
Gogol n'était pas russe.
Effectivement,
Nicolas Vassilievitch Gogol est né urkrainien mais est considéré par ses pairs comme un écrivain d'expression russe. N'a-t-il d'ailleurs pas eu comme maître l'illustre
Pouchkine et son recueil de nouvelles le plus connu ne s'intitule-t-il pas "
Nouvelles de Petersbourg"?
Ce trou dans ma culture littéraire russe est donc en train d'être comblé on m'a offert récemment "
Le Portrait" de
Gogol, nouvelle issue du recueil dont je vous parlais un peu plus haut.
Ce Faust à la soviétique n'est pas sans rappeler l'excellent "Portrait de Dorian Gray" d'
Oscar Wilde, écrit pourtant quelques 50 ans plus tard.
Si des similitudes apparaissent bien évidemment entre ces deux histoires (le destin d'un jeune homme lié à celui d'un portrait, le fantastique qui en découle, la relation existant entre la nature, l'art et
l'âme humaine, la noirceur des sentiments et la perte de la raison), l'oeuvre de
Gogol est beaucoup plus noire, beaucoup plus fantastique que peut être celle
De Wilde.
Gogol croyait intimement à l'existence du diable et le fait qu'il le faisse ainsi prendre vie dans son oeuvre illustre bien les tourments dont il a pu être l'objet durant toute sa vie. En effet,
Gogol, de son vivant, était plus connu pour ses crises morales et mystiques que pour la qualité de ses écrits.
C'est un destin épique que celui de
Gogol et de sa relation à ses propres manuscrits, manuscrits qu'il tentera plusieurs fois de détruire par les flammes ("Hanz Küchelgarten" en 1829 ou "
les Ames Mortes" en 1852).
Le peintre du Portrait ne serait donc qu'un reflet de l'auteur, tentative d'exorcisme de la part d'un esprit exalté...
Car c'est en faisant s'incarner l'Antéchrist dans un portrait poussiereux déniché par un peintre modeste des faubourgs de Petersbourg que
Gogol nous renvoie à l'histoire séculaire de la tentation du diable et de son commerce d'âmes humaines.
J'ai conscience de vous parler ici avec les mots d'une fanatique de la littérature et de l'histoire de la Russie, je me contenterais donc pour conclure de vous apprendre que "
Le Portrait" est une nouvelle d'une trentaine de pages qui se dévore en un trajet de métro, je vous conseille sincèrement de vous y intéresser et promis, il n'est même pas obligatoire d'embrayer sur "
Crime et Châtiment" pour pouvoir l'apprécier :)