Resituer les questions d'aujourd'hui dans le temps et dans l'espace est toujours bénéfique à la compréhension de notre monde en nous aidant à nous libérer de nos évidences de pensée et à bouleverser nos points de vue. le livre de M. Grataloup y contribue sans nul doute.
En quelques mots ce que j'en retiens :
La géo-histoire de la mondialisation commence au moment de l'apparition de l'homme, a priori dans l'est de l'Afrique, et de son expansion à la surface de la terre, entrainant la mise à distance et la séparation des groupes humains qui durant des millénaires ont ignoré leur existence respective... l'inverse de la mondialisation. D'ailleurs, le Monde n'existait pas vraiment.
La croissance démographique a conduit progressivement à réduire la distance géographique entre les hommes ( plus ou moins selon les régions) et à multiplier les échanges entre eux.
Pendant des millénaires également, les conditions matérielles de vie à la surface de la terre ne présentaient pas d'écart notable, même entre des civilisations qui s'ignoraient : entre les Mayas, les royaumes chinois, le royaume du Zimbabwe ou l'Europe médiévale .
Puis les choses ont changé, au bénéfice de l'Europe occidentale, partie prenante d'un vaste système-monde, allant de la Méditerranée au Japon et où les interrelations étaient déjà importantes. La date clé est celle de de 1492. le fait clé a été la découverte de l'Amérique, c'est à dire d'un vaste espace très peu peuplé qui a constitué un réservoir de richesse et un terrain d'expansion pour les Européens, alors que ceux-ci étaient souvent dominés et contrecarrés dans leurs projets commerciaux que ce soit en Afrique ou en Asie.
A l'époque d'Henri le navigateur, un marin chinois ZHENG HE se lance aussi dans des expéditions maritimes, mais à bord de jonques conçues pour la navigation en régime des moussons, donc inaptes aux longues traversées vers l'Atlantique ou le Pacifique. Comme dit l'auteur " pour arriver, il fallait partir". Les marins chinois ne sont pas partis ... ils n'ont donc pas trouvé l'Amérique. La face du monde en aurait été changée. Les raisons évoquées par l'auteur sont climatiques techniques mais aussi politiques : les empereurs chinois, menacés par les Mongols, se sont mobilisés pour leur défense à l'intérieur des terres. Leur puissance leur a permis d'interdire toute tentative dissidente. A l'autre bout du système-monde, l'Europe était éclatée et divisée, permettant du coup aux initiatives individuelles de se développer, soutenues par tel roi ou tel autre ou encore par les cités état italiennes.
Les Européens de la fin du Moyen Age étaient devenus friands de produits qu'ils ne pouvaient cultiver chez eux; comme le sucre qu'ils partiront chercher au bout du monde ou qu'ils cultiveront en Amérique grâce à l'importation de main d'oeuvre esclave. Ce fut la première colonisation qui permis un enrichissement massif et un bouleversement des modes de vie.
A partir du XIXème et de la révolution industrielle, la dissymétrie de développement et de richesse a conduit à la domination de l'Europe également en Afrique et sur une partie de l'Asie. Cette domination a conduit à une phase de mondialisation associée à la révolution industrielle qui se terminera dans les guerres et les atrocités du "court XXeme siècle", dans un monde où le système économique est mondial mais les nationalismes si virulents " qu'ils peuvent maintenir pendant 4 longues années des millions d'hommes dans l'enfer des tranchées "
Pour l'auteur, le monde d'aujourd'hui n'est pas si différent de celui qui s'est achevé dans les guerres du XX ème siècle : avec des échanges économiques larges et des identités locales d'autant plus ancrées et revendicatrices que la dilution dans la mondialisation fait craindre la perte de soi ( au point qu'on reconstruit parfois le "soi" comme le montre l'auteur lorsqu'il explique la création des traditions vestimentaires, culturelles et et culinaires des régions françaises au cours XIXeme siècle).
Les mouvements vers la mondialisation sont eux divers : certains mouvements altermondialistes lorsqu'ils oeuvrent pour une mondialisation différente mais aussi les firmes multinationales, les institutions ou certains mouvements islamistes qui sont aussi une contestation de la mondialisation occidentale prônant une autre échelle du monde transcendant les frontières.
Pour finir, l'auteur reconnait que sa propre analyse est forcément enserrée dans les cadres de pensée forgés par l'Occident et que ceux-ci ne sont pas universels....
Une lecture riche et passionnante qui brosse un tableau brillant de la mondialisation, avec les limites inévitables de la rapidité, certainement des simplifications. Une histoire du monde en 267 pages seulement... forcément ...
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Il peut paraître paradoxal que l’Europe du début du XXe siècle présente deux caractères profondément contradictoires : le libéralisme économique le plus général qui ait jamais existé, moteur de la "première mondialisation", et une marqueterie de nationalismes si virulents qu’ils peuvent maintenir pendant quatre longues années des millions d’hommes dans l’enfer des tranchées. Ce paradoxe n’est qu’apparent et on a là les deux faces du même processus. Cette double dynamique plonge ses racines dans le polycentrisme européen dont le rôle avait déjà été essentiel dans la concurrence pour les Grandes Découvertes et, surtout, dans la possibilité pour le capitalisme de s’autonomiser.
Les sociétés européennes n’ont pu produire dans leurs propres territoires un certain nombre de biens découlant d’agricultures ou de cueillettes de plantes de milieux chauds. Si les Européens sont partis au XVe siècle et surtout, à la différence des Chinois, ont persévéré, ce fut d’abord pour trouver le chemin de ce qu’ils appelaient des "épices".
L’unité de l’écoumène face à une invasion d’extraterrestres, telle que le cinéma hollywoodien en raffole, étant peu probable, ne reste qu’une perspective pour combiner niveau mondial économique et régulation sociale, ce qui suppose une prise de conscience forte de l’identité à l’échelle de l’écoumène, le sauvetage de notre unique maison, la planète Terre.
Que les Européens aient diffusé dans le Monde entier cette configuration géographique particulière qu’est l’Etat-nation ne doit pas faire oublier combien elle représente une forme spécifique d’organisation de l’identité et d’articulation à l’espace qui a une histoire délimitée chronologiquement, et qu’elle n’est donc pas inévitable.
Rencontre avec Christian Grataloup autour de Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre paru aux éditions des Arènes, et de L'Atlas historique de la terre (Les Arènes).
Christian Grataloup, né en 1951 à Lyon, agrégé et docteur en géographie, successivement enseignant du secondaire, professeur de classes prépas, formateur d'instituteurs puis de PEGC, maître de conférences à l'université de Reims et finalement professeur à l'université Paris Diderot. Les recherches et les publications de Christian Grataloup se sont toujours situées à la charnière de la géographie et de l'histoire. Une grande partie de ses travaux concernent la didactique, en particulier par la mise au point de «jeux» pédagogiques. Il a notamment publié: Atlas historique de la France (Les Arènes, 2020), L'invention des continents et des océans. Comment l'Europe a découpé le Monde (Larousse, 2020), Cabinet de curiosité de l'histoire du Monde (Armand Colin, 2020), Atlas historique mondial (Les Arènes, 2019), Vision(s) du Monde (Armand Colin, 2018), le Monde dans nos tasses. Trois siècles de petit-déjeuner (Armand Colin, 2017), Introduction à la géohistoire (Armand Colin, 2015).
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20/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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