Le sous-titre du livre précise « un portait subjectif » , et nous aurons notre part du subjectif, mais compte tenu du peu que nous savons, en particulier sur la vie de
Shakespeare, c'est de toutes les façons inévitable. Dans un premier temps,
Eugène Green évoque l'aspect biographique, avec le peu de données objectives, en le replaçant dans le contexte, en particulier historique. Dans un deuxième temps, et c'est une partie un peu plus longue, il analyse l'oeuvre. Enfin en Appendice, il nous donne quelques compléments, sur des sujets connexes, comme par exemple la question de la traduction, de la prononciation, de la mise en scène. le livre aborde donc
Shakespeare un peu sous tous les aspects, dans à peine 300 pages.
Peu de données incontestables concernant la vie de
Shakespeare nous sont parvenues, ce qui a donné lieu, comme le souligne à de nombreuses reprises
Eugène Green, à des interprétations parfois quelques peu fantaisistes. Lui-même insiste beaucoup sur l'appartenance supposée de la famille de
Shakespeare et de lui-même au catholicisme ; malgré des éléments qu'il donne, il me semble qu'en l'état peu fourni de nos connaissances, il ne peut s'agir que d'une supposition, mais pas d'une certitude. Il faut se résoudre à ce que l'homme
Shakespeare reste un mystère et à ce que l'oeuvre soit surtout interprétée en fonction d'elle-même.
Dans la deuxième partie, consacrée aux oeuvres et à leur lecture,
Eugène Green développe un certain nombre d'idées, en particulier sur la façon dont il envisage le théâtre. Pour lui, le théâtre dans l'antiquité était un rituel : un personnage admirable mais coupable d'une faute grave est puni, ce qui permet de rétablir l'ordre cosmique que son méfait a perturbé. Dans la comédie, la faute est moins grave, le dérèglement concerne surtout l'ordre social, et la punition donc moins grave. le sacrifice du personnage de théâtre purifie la communauté. le théâtre de la renaissance, qui cherche à imiter le théâtre antique se trouve donc également confronté à cette question de rituel et de purification. Mais l'époque est placée dans la situation qu'
Eugène Green appelle « l'oxymore baroque » : la contradiction entre le développement d'une mentalité rationnelle, avec une approche de plus en plus scientifique pour expliquer le monde et agir sur lui, et d'autre part la croyance dans une présence divine, réalité suprême. L'homme, et l'artiste baroque, essaie donc de concilier les deux, à priori inconciliables.
Cela amène
Eugène Green à rejeter la classification habituelle de certaines pièces en tragédies et
comédies, parce que l'aspect perturbation-sacrifice-rétablissement de l'ordre ne s'y retrouve pas , et à les placer plutôt du côté de la tragicomédie, un genre mixte, qui a y son heure de gloire, y compris en France, au point d'être sur le point de supplanter la tragédie.
Comme toutes les clés de lecture systématiques, cela fonctionne de façon plus ou moins satisfaisante, même si cela peut être intéressant parfois et susciter la réflexion. Ces interprétations ne deviendront pas, sans aucun doute, canoniques, elles sont trop personnelles, subjectives, comme le précisait le sous-titre du livre.
Eugène Green voue sans aucun doute une grande passion à
Shakespeare, mais comme la plupart d'entre nous, il va y chercher ce qui l'intéresse, et privilégie certains aspects et certaines lectures, a ses préférences. Il ne s'en cache pas, mais le livre va surtout passionner ceux qui partagent ses partis pris.