Une analyse visionnaire, claire de ce qu est devenue notre société à force de renoncement et de pusillanimité politique.
Guilluy, qui s est toujours dit chevènementiste (donc de gauche), dresse un diagnostic dure mais juste de notre monde, qui court à la perte.
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Le récit national de Sarkozy [en 2007] est apparu comme un récit protecteur, un discours adressé à ceux qui subissent l'insécurité sociale et culturelle de la mondialisation libérale. Ce récit a eu revanche peu séduit les grandes métropoles, celles qui bénéficient le plus de la mondialisation. Ces territoire se reconnaissent désormais dans un « récit mondialisé » où l'histoire ne s'écrit plus à l'échelle de la Nation mais à celle du monde. Ce « récit mondialisé » est partagé par la majorité des habitants des grandes villes, des ville centres embourgeoisées aux banlieues précarisées. Territoires de la mobilité sociale et résidentielle, les métropoles concentrent de facto les populations qui se projettent le mieux dans le mouvement historique de mondialisation. Les couches supérieures comme les catégories populaires de banlieues y participent naturellement. Dans ces grandes aires urbaines mondialisées progressistes, la Nation est perçue au mieux comme un construction anachronique, au pire comme un carcan liberticide. Cette forme de désaffiliation nationale » qui se confond de plus en plus avec une désaffiliation républicaine contribue à l'émergence d'un modèle métropolitain où la mondialisation se conjugue désormais avec le communautarisme. Dans ce modèle de développement ce n'est plus la Nation mais le monde qui « fait société » et qui construit le « commun ». Ce constat, qui souligne potentiellement la forte intégration des populations banlieusardes aux nouvelles dynamiques économiques, révèle a contrario les difficultés d'intégration des catégories populaires périurbaines et rurales.
"L'élection présidentielle de 2007 a révélé à quel point la cohésion nationale était désormais fragile. Malheureusement, ce constat n'a pas suscité beaucoup de commentaires. Ce silence est encore plus surprenant si on le compare avec la surréaction médiatico-politique due à l'arrivée de Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2002. 16 % d'électeurs lepénistes de 2002 représentaient apparemment un danger plus important pour la cohésion nationale qu'un majorité d'électeurs choisissant son candidat en fonction de critères culturels. Il est vrai qu'il est plus facile de résister à un péril fasciste qui n'existe pas que de s'interroger sur les effets réels de la mondialisation et du séparatisme au sein des millieux populaires. Cette technique d'occultation du réel n'est d'ailleurs pas nouvelle. En 1975, Pasolini expliquait que la manipulation de l'opinion passerait dorénavant par la création d'un "antifascisme facile, qui a pour objet un fascisme archaïque qui n'existe plus et qui n'existera plus jamais." Trente ans plus tard, Lionel Jospin, candidat malheureux de 2002, confessera que la la lutte antifasciste contre le FN n''était que du théâtre" et que le Front national n'avait jamais été un parti "fasciste". Le théâtre plutôt que le réel.
Contrairement aux images positives associées au développement métropolitain, la transformation sociale des grandes villes n'a en réalité rien d'un processus "soft". Conformément aux logiques du marché, il consiste à organiser l'appropriation radicale par les catégories supérieures de territoires et d'un parc de logements destinés hier aux plus modestes. L'image sympathique du "bobo-explorateur" arrivant en terre "prolo-immigrée" dissimule la réalité d'une violente conquête patrimoniale. L'euphémisation de ce processus est emblématique d'une époque "libérale libertaire" où le prédateur prend le plus souvent le visage de la tolérance et de l'empathie.
L'invocation de l'idéal républicain et égalitaire apparait de plus en plus comme une rhétorique dont l'objet est de masquer l'intégration rapide de la société française à modèle mondialisé, en contradiction avec les principes de la République. La notion d'égalité associée à celle de l'assimilation inéluctable, auxquelles il était encore possible de croire il y a vingt ans, ont laissé la place au développement d'un séparatisme social mais aussi culturel. Contrairement à ce qu'une « pensée magique républicaine » laisse entendre, la France n'a pas résisté à la mondialisation libérale et au multiculturalisme. Comme dans les autres pays développés, un ordre social inégalitaire et communautariste s'impose peu à peu.
F. Taddeï interviewe le géographe sur son dernier livre écrit sous le double patronage d'Orwell et London.