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François Mathieu (Traducteur)
EAN : 9782864243755
201 pages
Editions Métailié (16/02/2001)
4.19/5   16 notes
Résumé :
Christoph Hein signe ici un texte éprouvant, de ceux qui crissent autant que la craie sur le tableau noir parce qu'on y trouve des vérités plus que malheureuses à entendre. À travers une narratrice à la vie indifférente et terne, est mis en scène le type d'existence que mènent ceux qui ont choisi de vivre selon l'un des tristes proverbes allemands dévoilé par l'auteur : "Ce qui vous fait peur vous détruit, alors pourquoi s'en occuper ?" Mais à se détourner des ombre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Der fremde Freund
Traduction : François Mathieu avec la collaboration de Régine Matthieu

Extraits
Personnages


Bien que ce soit lui qui, en 1982, ait apporté le succès à Christoph Hein, ce n'est pas "L'Ami Etranger" que je conseillerai de lire pour faire connaissance avec cet auteur. "Der fremde Freund" est en effet l'étude, glacée quoique impeccablement détaillée, de la vie d'une petite fonctionnaire de la santé, dans l'ancienne R. D. A. Mais attention : si le système politique de la République Démocratique Allemande brille par sa froideur et sa volonté, typique du totalitarisme, de déshumaniser l'humain, on peut dire que, avec Claudia, l'héroïne ou plutôt l'anti-héroïne de ce roman, il n'a pas eu à se donner beaucoup de mal pour la faire correspondre au modèle rêvé du parfait citoyen est-allemand. Par nature, Claudia ne s'intéresse qu'à elle et, en dépit de la profession qu'elle a choisie - médecin - elle n'attache pratiquement aucune importance à l'Autre.

Sa relation, éphémère et dissoute dans la Mort, avec Henry, l'un de ses voisins, semble un temps parvenir à la rattacher à la vie normale par le biais de la jalousie. Mais elle se reprend bien vite : Claudia ne veut avoir aucun problème et, après tout, Henry est encore marié.

Le titre* du livre indique d'ailleurs suffisamment que son amant lui demeurera étranger jusqu'au bout. Il y a, chez cette femme à la personnalité pourtant affirmée - en apparence tout au moins - une véritable et tragique angoisse à l'idée de se démarquer de la masse, de se faire remarquer. Sa phrase favorite - sa règle d'or - qui apparaît de plus en plus au fur et à mesure que défilent les pages, c'est : "Ce n'est pas mon problème." Et, l'ayant prononcée ou pensée, elle se recroqueville sur elle-même dans son minuscule appartement où elle amasse des milliers et des milliers de photographies qu'elle prend et développe elle-même. Des photos de ruines ou de végétaux, en général rabougris ou desséchés : jamais un seul portrait, jamais un seul être vivant.

Claudia est-elle née ainsi ou son incapacité à "voir" l'Autre tel qu'il est, à s'intéresser à lui, à s'ouvrir à lui, est-elle le résultat de la pression exercée, sur elle et sur sa génération, par la société dans laquelle elle a vu le jour et où elle a toujours vécu ? Une société où, dans les écoles et dans les milieux étudiants, on conseille de rapporter à qui de droit les propos tendancieux ou "contraires à l'esprit socialiste" ? Une société où cet espionnage est chose courante dans tous les milieux, certains y sacrifiant par conviction, d'autres parce que la Stasi les tient d'une façon ou d'une autre ?

Hein n'évoque pas ainsi le problème. Il choisit de nous dépeindre la vie au jour le jour de Claudia - et c'est épouvantable. L'annonce de la mort, pourtant inattendue, de son amant la trouble à peine. Oh ! on sent bien que cela la touche tout de même un peu mais, presque instantanément et comme si sa propre vie en dépendait, elle transforme l'émotion ressentie en une forme de soulagement : maintenant qu'Henry l'a quittée sans aucun espoir de retour, maintenant qu'elle vient de fêter ses quarante ans, elle ne court plus aucun risque, elle peut, en toute tranquillité, se replier dans son cocon. Loin des problèmes. de tous les problèmes.

Le style de Hein est toujours aussi riche : l'homme aime à raconter. Mais le contraste entre ce style et ce qu'il nous dépeint - la routine glacée, les réflexions mesquines, l'égocentrisme affiché de son personnage - a quelque chose d'implacable. le lecteur se cramponne pourtant à l'histoire, bataille, cherche avec désespoir à y trouver quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Mais rien, il n'y a rien. Et si l'on pressent, à la page finale, que toute cette satisfaction d'une femme qui se retrouve enfin seule dissimule un degré d'amertume au moins égal à son égoïsme, on ne peut s'empêcher de se dire que c'est peut-être un effet de notre imagination ...

* : le titre est-allemand. En République Fédérale, le livre sortit sous celui de "Le Sang du Dragon", par référence à la "carapace" que l'héroïne se construit pour vivre et à laquelle elle fait référence comme un procédé similaire à celui employé par Siegfried dans les "Niebelungen", lorsqu'il se plonge dans le sang du dragon qu'il vient de tuer. A notre humble avis, le titre ouest-allemand est mieux approprié. ;o)
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Claudia ... Une femme qui ne veut pas appartenir à un homme, qui ne veut pas qu'un homme lui appartienne ... une femme qui ne voulait se sentir responsable que d'elle même ... une femme cuirassée contre elle même, volontairement exiler dans sa propre vie, n'acceptant d'en partager que d'insignifiants sur petits morceaux .... et pourtant malheureuse, immensément vexée quand elle apprend que l'homme avec lequel elle accepte de passer de temps en temps de courts moments intimes est marié ... un malaise insoutenable qui la ramène à se souvenir d'autres trahisons.

Claudia ... Une femme qui n'a pas pu supporter d'être a un moment de sa vie dépossédée d'elle même, d'être devenue "une couveuse qui doit porter à terme, la nourrice pour son embryon" ... une femme à laquelle on n'avait rien demandé, qui n'avais pas pris part à une quelconque décision ... une femme devenue objet porteur d'une autre vie qu'elle n'avait pas désirée ... un moment de sa vie qui allait décider pour elle de son avenir en aliénant sa liberté.

Claudia ... une femme qui s'est baignée dans le sang du dragon et qu'une feuille de tilleul s'est toutefois, comme dans le mythe fondateur germanique des Nibelungen, posée sur son esprit pour laisser passer un brin d'humanité, pour qu'elle puisse "sortir de l'épaisse cuirasse de mes angoisses et de mes méfiances" pour retrouver le simple sentiment de l'amitié.

Un texte profondément humain, sensible, ambitieux pour essayer de nous faire comprendre la profonde déchirure d'une génération est allemande sacrifiée malgré la chute du mur et la réunification de l'Allemagne.
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Début des années 80 à Berlin-Est, en RDA donc. Claudia, la narratrice, est à l'aube de la quarantaine. Elle vit seule. Elle travaille dans une clinique, comme médecin, mais elle n'a aucune ambition. Elle a un amant, un voisin qui habite le même immeuble, mais elle n'aspire pas à l'amour. Elle garde ses distances avec tout le monde, tout particulièrement avec sa famille. Elle préfère les paysages abandonnés qu'elle photographie compulsivement pendant ses temps libres. L'ami étranger est une plongée dans la psyché d'une femme qui s'est construit une carapace. Rien ne semble la toucher, et pourtant... J'ai adoré ce roman.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Le matin même de l'enterrement, j'étais encore indécise, me demandant si je devais y aller. Et ne sachant pas quelle serait à midi ma décision, je sortis de l'armoire mon manteau de demi-saison. C'était un manteau bleu foncé à col de lapin qui pouvait passer pour un manteau noir. Ce n'était certainement pas un vêtement à mettre un jour d'été, mais je n'avais aucune envie de me promener toute la journée en tailleur sombre. Et si je devais me décider à aller au cimetière, il me semblait qu'il ne serait pas convenable de m'y montrer en costume clair. Mon manteau était un compromis. Dans le cas où je me déciderais vraiment à y aller. Je le pris sur le bras, puis fermai la porte de mon appartement à clef.

Je dus attendre devant l'ascenseur. L'officier qui habitait chez madame Rupprecht était déjà là, entre les deux portes de la cage d'ascenseur. Il n'arrêtait pas d'appuyer sur les deux boutons. Il avait lui aussi le manteau plié sur le bras, une sorte d'imperméable militaire. Peut-être n'était-il pas militaire, mais policier. Je suis incapable de faire une différence entre les uniformes. Sous son manteau pointait une serviette, un attaché-case. Lorsqu'il m'avait vue, il avait fait un léger signe de tête, puis, sans un mot, il s'était à nouveau tourné vers les boutons de l'ascenseur. Avec la pointe de la botte, il battait le rythme, nerveusement.

J'entendis quelque part, venant du fond de la cage, la vibration d'un câble d'acier, la promesse d'une modification désirée, une espérance qui rend patient. Puis la lumière apparut derrière la petite fenêtre vitrée. L'officier tira la porte et entra dans l'ascenseur. Il y avait déjà plusieurs personnes. Mon manteau sur le bras m'encombrait. Suivant l'officier, je me frayai un passage. Les visages immobiles se firent plus hostiles. Un voyage silencieux dans les profondeurs. L'ascenseur s'arrêta deux fois, mais personne n'en sortit et personne n'y entra. Sans dire un seul mot, je fixais ces regards si proches qui me dévisageaient aussi directement et silencieusement que moi. Une manière de faire connaissance avec l'autre par le biais de tous les sens : imposée et qui vous agresse l'odorat. ... [...]
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[...] ... On frappe la femme comme on frappe un chien, en passant, distraitement. De nécessaires mesures éducatives qui profitent à celui qui est battu. L'étreinte peut suivre immédiatement les coups. En fin de compte, ce n'est pas de la haine, mais une remise en ordre.

Le sentiment qui porte les hommes à battre une femme est un sentiment qu'on leur a inculqué pendant des siècles, un sentiment presque inné d'une supériorité. Il y a toujours pour l'homme le plus cultivé, le plus ouvert, un instant où il cède à la pulsion de sa supériorité. Ils en sont ensuite eux-mêmes effrayés. Etonnés par un acte qui concorde si peu avec leurs "véritables" attitudes. Habituellement, ils s'excusent tout de suite, ils sont rongés de remords et font une auto-analyse qui leur semble une explication suffisante. Un jour, Hinner [= l'ex-mari de Claudia] s'excusa en disant qu'il s'était laissé aller et il se mit en colère après moi parce que je m'étais mise à rire. Mais il avait raison. Il s'était laissé aller. Le rapace apprivoisé qui, tout à coup, déchiquette sa bien-aimée sans qu'on s'y attende et qu'on puisse expliquer pourquoi. Ils se sentent, pour le moins inconsciemment, supérieurs à nous, et les coups qu'ils donnent, pour autant qu'ils leur font peur, ont une valeur éducative, constituent un acte de divine pédagogie. Intellectuellement parlant, ils sont aptes et prêts à considérer la femme comme leur égale, leur semblable.

Au plus profond d'eux-mêmes les domine, sans qu'ils se l'avouent, le sentiment masculin de leur propre valeur, un mélange de complexes et d'orgueil. ... [...]
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On se regarda en silence ; sourire retenu, regards interrogateurs dans ma direction. Il y a quelques années encore, j'aurais fait l'effort de dire quelque chose, une remarque banale pour rompre l’oppression du silence. Je sortais alors une quelconque idiotie qui, après coup, me mettait en colère. Tout ça pour éviter que les silences pèsent sur la conversation. C'est fini. Je me suis déshabituée de cette faiblesse. J'ai appris à ne plus sortir des situations désagréables par la fuite dans l'insignifiance.
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Nous ne sommes plus que des voyeurs, dit-il, et nous ne sommes artistes que si nous sommes des voyeurs. Tout autre art est mort, fini, de la merde bourgeoise. Le seul sujet en art qui vaille la peine, c'est l'asocial, le marginal. Pendant des siècles ont prévalu les points de vues et les problèmes de la petite bourgeoisie. De la fausse musique de table destinée à faire mieux digérer à des parasites leurs petits bobos de l'âme. Mais l'art, c'est l'anarchie. C'est le fouet de la société. La seule vraie esthétique, c'est la terreur [..]
Il nous faut devenir asociaux, pour savoir qui nous sommes, d'où nous venons, ou nous allons. La merde, c'est le message que je vous lance.
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Est-ce de la sensibilité. Ou de l'hystérie. Une peur du contact physique. Une idiosyncrasie. Et d’où vient le besoin de donner un nom à cela. C'était pourtant très simple : je n'avais pas envie de la toucher. Je ne le voulais pas, un point c'est tout. Pourquoi chercher des explications, pourquoi mettre en œuvre le vocabulaire de la psychiatrie. Une conséquence de notre époque scientifique. La vie considérée comme un état clinique : des mots, des gestes, des sentiments jugés exclusivement comme une déviance du comportement au regard de la terminologie d'une norme abstraite qui prétendrait tout expliquer.
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