C'est presque impossible de parler des "Misérables" parce que ce roman, celui de tous les superlatifs, est une oeuvre tellement gigantesque, tellement totale que toutes les analyses, toutes les exégèses, toutes les envolées ne suffiraient pas pour en capturer ne serait-ce qu'un reflet, un éclat.
"
Les Misérables" nous éclaire et nous aveugle. Nous passionne et étanche notre soif en s'assurant qu'on aura toujours besoin de son eau.
Il y a dans ce roman qu'il faut lire et relire et relire encore toute la littérature et tout ce que la littérature a fait de meilleur, mais rien n'y est figé, malgré la grandiloquence de la langue: "
Les Misérables", c'est l'humanité et la vie, surtout. Ce sont les mots qui deviennent chair et sang, les phrases qui s'incarnent et qui envahissent chaque page.
C'est peut-être ça qui confère à cet ogre tant de modernité, tant d'énergie, ça et le souffle épique qui habitait et possédait
Victor Hugo quand il écrivait; Fiévreusement, il n'a pu écrire que fiévreusement.
On pourrait gloser des heures entières sur les personnages du roman. Ils sont tous devenus immortels et à raison, ils sont tous grands jusque dans leur noirceur. Tellement profonds.
Plus jeune, j'avais un faible pour Fantine et Cosette, que je trouve un peu trop lisse aujourd'hui. Plus tard, c'est Jean Valjean qui a remporté tous mes suffrages et qui les emporte encore. Cependant, aujourd'hui, au crépuscule de ma dernière lecture, je me découvre une affection sincère pour Éponine, dont le destin tragique, grandiose me brise le coeur et pour Javert, ténébreux Javert.
J'ai l'air changeante, pas vrai? Pourtant, et pour ma défense, je suis fidèle aussi: il y a Fantine, Cosette, Marius, Jean Valjean, Javert, que je redécouvre à chaque lecture et il y a celui que j'ai l'impression de toujours connaître, que j'ai toujours plaisir à retrouver.
Il y a
Gavroche. le moineau. L'Antée dans le pygmée. le môme des pavés avec ses airs de lutin, d'elfe, de Peter Pan, puisque comme lui
Gavroche ne grandira jamais.
Après avoir disserté sur les personnages qu'on pleure d'avoir quitté après la dernière page, on pourrait parler de l'engagement de
Victor Hugo, de sa conscience douloureuse du peuple, torrent grondant et désespéré, à qui il donne la parole et dont il se fait le prophète, le poète, le philosophe, le père. Cette implication c'est ce qui fait battre le coeur et qui nourrit si bien les 1800 pages de ce roman, fleuve et monument, fleur et barricade, dont pas une page n'est à retrancher.
Et cette écriture... Si je donne volontiers tous les royaumes que je n'ai pas pour une pièce de
Shakespeare et un roman de Dumas, je donnerais l'empire que je n'aurais jamais pour une page de Hugo. Rien de moins.