Je me suis intéressé à deux des sept textes que contient ce recueil : le tableau et Scène à quatre. Ces deux textes représentent la part intimiste de l'oeuvre de
Ionesco ; dans les deux cas l'action se déroule dans un lieu unique avec un nombre limité de personnages, la durée elle-même est limitée, il s'agit de textes courts. Voici donc, deux saynètes sans excès, presque sobres, on pourrait même dire sages qui explorent les pulsions élémentaires de l'homo sapiens moyen. Ces deux textes sont en quelque sorte une contribution aux recherches en psychana ou en psycolo. Il y avait l'école freudienne, jungienne, lacannienne, eh bien voici maintenant, l'école ionescienne.
LE TABLEAU :
Trois personnages : Un gros monsieur, un peintre déguenillé et une vieille femme laide et aveugle. le gros monsieur semble physiquement puissant, en tout cas il est très autoritaire et parle fort. Il est content de lui et exprime son autosatisfaction sur tous les tons. Ce qu'il apprécie tout particulièrement en lui, c'est sa réussite personnelle dans les affaires, c'est un self made man qui adore se donner en exemple. On pourrait dire qu'il manque un peu de modestie et de discrétion.
Le peintre lui, timide plutôt fluet, est inconsistant. Il ne parvient pas à réellement formuler une phrase. Faut dire, pour sa décharge, qu'il n'est pas chez lui, mais chez le Gros monsieur, auquel il cherche à vendre une de ses toiles. La position de solliciteur engendre toujours un sentiment de gêne ou de faiblesse.
Alice ,on l'a dit, est vieille, laide et aveugle, la vie ne l'a pas gâtée, en plus, comble du raffinement dans l'horreur, son frère n'est autre que le gros monsieur. Car celui-ci, outre les qualités sus dites, est totalement dénué de compassion, et semble même prend positivement plaisir à la maltraiter.
Cette pièce est en deux mouvements. Dans le premier, les trois personnages sont réunis, le Gros monsieur est le maître de la situation, il exige, les deux autres obéissent. Cette séquence est un marchandage, à quel prix sera cédée la toile du peintre? Or ce peintre est un si piteux commerçant qui non seulement ne parvient pas à vendre sa toile, mais qui en plus accepte de payer une location pour l'espace que le tableau occupera sur le mur de la maison du gros monsieur.
La seconde séquence s'ouvre par la sortie du peintre. Dès que le peintre a disparu une rupture complète s'opère. le tête-à-tête entre le gros monsieur et le tableau modifie le comportement de ce dernier, sans doute est-ce dû au sujet de la toile : il s'agit d'un portrait très majestueux d'une reine. La présence de cette femme peinte semble le mettre dans une joie tout à fait puérile. Alice, de son côté, subit également une modification brutale de son caractère, de soumise qu'elle était elle devient tyrannique et de sa canne d'aveugle elle frappe le gros monsieur, pour qu'il cesse de regarder la souveraine peinte. Tristement il se remet au travail à son bureau et compte, compte, compte tout l'argent qu'il a gagné par millions. Grâce à la litanie des chiffres et des nombres il parvient a endormir sa terrible soeur. Il va pouvoir, ainsi, se livrer au vice, et au stupre avec la belle, la grande majesté accrochée au mur. Malheureusement le plaisir qu'il prend avec cette image de femme réveille sa soeur. Elle se jette sur lui et le frappe à tour de bras, mais il parvient à se dégager, à saisir un pistolet et à en vider le chargeur dans le corps de sa soeur. Merveille des merveilles Alice au lieu de s'effondrer dans une flaque de sang, se métamorphose en sosie du portrait. Tout joyeux le gros monsieur tire des coups de pistolets partout dans sa maison qui au fur et à mesure des détonations se transforme en palais forain.
Maintenant une petite devinette psychanalytique, parmi les personnages de la pièce, qui est le Moi, le Sur-moi, le Ça et où se trouve le Fantasme ?
SCÈNE À QUATRE:
« Mesdames, messieurs, je suis parfaitement d'accord avec vous. Ceci est tout à fait idiot. » telle est la conclusion de cette saynète d'une dizaine de minutes. Cette déclaration est d'ailleurs le seul propos sensé de ce texte, le reste n'est que vide et agitation. Toutefois vide et agitation sont deux caractéristiques fondamentales de l'équilibre cosmique, de la plus grande à la plus petite échelle. Dans le cas qui nous occupe il s'agit d'un atome, constitué d'un noyau autour duquel tournent d'abord deux puis trois électrons. Nommons ce noyau bouquet de fleurs et respectivement Dupont, Durand et Martin les électrons ; étant de charge négative les trois électrons se repoussent avec énergie et mauvais humeur. Leur seule convergence c'est le désaccord, quel est la nature de ce désaccord, cela demeure encore un mystère, qui peut donner, par exemple, la nature de la Force gravitationnelle? Enfin quoi qu'il en soit les trois électrons dialoguent ainsi :
« MARTIN, à Dupont : Vous non plus, mon cher Dupont.
DUPONT, à Martin : Vous non plus, mon cher Martin.
DURAND, à Dupont : vous non plus, mon cher Dupont. ….. »
Ils contredisent, démentent, refusent, rejettent, réfutent les deux autres de plus en plus violemment et de plus en plus rapidement ils tournent autour du pot de fleurs. C'est affolant, on ne les voit déjà presque plus tant leur vitesse est importante, bientôt ils vont disparaître. Mais voilà que pénètre dans l'atome un joli petit proton, doté d'une charmante charge positive, nous appellerons ce nouveau corps, la Dame. Toute cette positivité provoque une réaction immédiate chez les électrons : ils s'arrêtent, se jettent sur le pot de fleur, en arrachent les fleurs qu'ils offrent à la Dame. Mais, mais, mais un proton pour trois électrons c'est trop peu, il y a risque de dislocation du proton ; car les électrons tout en étant solidement ancrés au proton continuent à se repousser violemment entre eux. C'est ainsi, que le mignon petit électron est d'abord déshabillé puis démembré.
Ionesco a été l'un des tous premiers à comprendre les dangers de l'énergie nucléaire !