Qu'est ce qu'une petite fille peut savoir des adultes qui l'entourent quand ceux-ci se déchirent, se trompent, s'adorent ou se haïssent, et se mentent sans cesse?
Maisie est la fille unique d'un couple désuni qui finit par divorcer en pleine époque victorienne, ce qui n'était pas si courant. La mise en place d'une "garde alternée" de six mois chez l'un et six mois chez l'autre ne satisfait personne et les parents qui ont l'un et l'autre refait leur vie n'éprouvent aucun besoin de s'occuper d'une fillette qu'ils ne paraissent pas du tout aimer. Leur seul but parait être d'utiliser leur enfant pour se venger l'un de l'autre.
Mais voici que les deux pièces rapportées, beau-père et belle-mère, s'attachent à la petite qui crée entre eux un lien qui va déboucher sur une nouvelle double séparation.
A notre époque, on applaudirait en parlant de famille recomposée et d'intérêt de l'enfant, mais les temps ne sont pas les mêmes et dans l'Angleterre du 19ème siècle, les situations conjugales sont examinées à l'aune d'une morale étriquée et la vieille gouvernante de Maisie, Mrs Wix, tente de protéger l'enfant de "l'immoralité " dans laquelle baigne sa vie quotidienne.
Avec une remarquable finesse, les tribulations des personnages sont relatées du point de vue de l'enfant et on peut constater que rien ne change au fil des années, les petits souhaitent toujours être aimés de leurs parents qu'il désirent admirer et quand ils s'attachent à un beau-parent, c'est de façon exclusive.
La pauvre Maisie est prise à partie et sommée de choisir comme cela devient souvent le cas dans les procédures actuelles où les enfants interrogés par le juge doivent décider du parent chez lequel ils vont vivre et elle se trouve déchirée par des conflits de loyauté dus à ses attachements successifs et complémentaires.
La pauvre petite finit par se dissimuler derrière une prétendue stupidité pour se protéger des attentes excessives des adultes.
Ce roman est remarquable car il est précurseur des écrits sur les problématiques de séparation concernant les enfants et l'analyse pointue des sentiments de la petite fille révèle chez l'auteur une sensibilité admirable.
Décidément en venant vivre en Angleterre,
Henry James a vraiment adopté l'esprit des lieux car dans ce texte grave qui reste triste et émouvant, l'humour n'est jamais absent , cet humour décalé bien noir et cynique qui est quasiment la marque de fabrique des écrivains d'outre Manche.
Une lecture qui devrait ravir les professionnels de l'enfance et ceux qui travaillent au quotidien avec les familles désunies.