Le fond l'irrationalité qui gouverne l'enfance correspond bien à cet état approximatif dans lequel se forme la fiction, faite de mots qui arrivent d'on ne sait où et viennent prendre leur place, à notre insu.Quand on est enfant, on ne s'étonne pas que le monde soit incompréhensible, on devine qu'existe à tout cela un sens qui nous échappe, et l'on pense que les grands connaissent l'ordre de ce qui nous apparaît comme un vaste chaos.
En littérature, c'est un peu la même chose, on pressent qu'il y a une cohérence cachée dans les mots qui tiennent sous notre plume, mais on conserve le sentiment de ne pas maîtriser ce qui surgit.Cela nécessite d'avoir gardé l'humilité de l'enfance, et d'accepter d'être un instrument, un vecteur plutôt qu'un acteur.
( Stock, 2007, p.163)
Pourtant je suis très sensible à l'élégance et à la beauté. J'apprécie les belles maisons, les belles femmes, les beaux jardins, les beaux tableaux, les belles robes, les beaux tissus, mais à la manière de quelqu'un qui serait assis sur le bord de la route et qui regarderait passer le cortège.Admiratif. Admiratif mais pas impliqué.
( Stock,2007, p.85)
En écrivant, je pouvais m'évader, et ouvrir des brèches aussi grandes que me le permettait mon imagination. Il m'est vite apparu qu'écrire des livres était un bon moyen de découvrir le monde, car vous l'inventez au fur et à mesure qu'il vous entraîne. Cette solution assez commode correspondait à ma nature hésitante et passive. Par la suite j'ai beaucoup voyagé et couru ça et là, mais dans le temps de mes dernières années d'enfance, j'ai surtout exploré les territoires de la feuille de papier, blanche ou imprimée. En attendant que surgissent les occasions, on pouvait toujours créer le spectacle soi-même.
( Stock, 2007, p.118)
Je lisais beaucoup, absolument tout ce qui passait à ma portée. C'était une activité que je pouvais mener à ma guise, bien que souvent l'on m'obligeait à lâcher mon livre parce qu'il fallait :- venir à table, - partir à l'école,-aller se coucher, et la banalité consternante de ces prétextes me donnait à penser sur la manière dont les adultes manoeuvraient le monde, sans la moindre exigence ni le plus petit effort d'imagination.Les livres, eux, offraient un contrepoids à la monotonie de la vie quotidienne, dont on dit qu'elle plaît aux enfants.Je ne suis pas si convaincue qu'ils raffolent du train- train et de la régularité. Ils préfèrent à mon sens la fantaisie, l'imagination, le rêve, les voyages, la rencontre de personnages fabuleux, l'aventure, l'émotion, ainsi que les réponses à certaines questions
essentielles.Exactement ce que l'on trtrouve dans les livres...
( Stock, 2007, p.54)
Je lisais déjà pas mal, mais je me suis jetée sur les livres.Je lisais tout ce qui me tombait sous la main, moins dans l'idée de trouver une réponse à mes questions que pour masquer le trouble qui m'avait envahie, différer l'étonnement et réduire un peu le mouvement de la machine qui s'était mise en route dans mon esprit et qui n'allait cesser de m'importuner des années durant.Inconsciemment je devais pressentir que certaines réponses se trouvaient dans les livres, mais ce que cherchais surtout et davantage, c'était un abri, une cachette, un endroit où me réfugier.
( Stock,2007, p.28)