Des nouvelles, fluides prenantes. L'auteur a le goût du monde rural et le respecte. Avec cette écriture travaillée, Charles Julliet m'entraîne sans problème dans son monde .
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Attente en automne
Martine s'est levée et a disparu dans le débarras dont une autre porte donnait sur le jardin. J'étais terriblement déçu. Si elle avait brisé si brutalement l'atmosphère particulière que mes mots avaient créée, c'est qu'elle y avait été insensible. Désireux de lui trouver une excuse, j'ai voulu croire qu'elle s'était absentée pour aller voir une vache qui allait faire son veau. Elle partie, je n'avais plus rien à dire.
Un long silence s'est établi que j'ai été incapable de rompre.
Lorsqu'elle est revenue, une bouffée d'air froid a envahi la pièce. Des gouttes de pluie glissaient sur ses cheveux, son visage, mais j'ai vite détourné mon regard, de crainte qu'elle n'y lise mon dépit. J'ai brusqué les adieux. J'aurais voulu leur dire encore quelques mots, mais je n'ai pas pu. J'ai embrassé Mme Baud, serré longuement la main de M. Baud, embrassé Michèle et tendu à Martine une main vite retirée. Curieusement, c'est en caressant Dora que j'ai senti que je perdais pied.
Dehors, après avoir fait quelques pas, je suis resté un long moment sous la pluie, incapable d'avancer.
Quand j'ai voulu ouvrir ma porte, j'ai remarqué qu'elle était entrebâillée. Comme les gens du hameau, je ne la fermais jamais à clé quand je partais. Je l'ai poussée vivement, ai allumé, jeté un regard circulaire sur la pièce. Rien n'y manquait. J'ai aperçu une feuille sur la table. Elle avait été arrachée à un cahier d'écolier. Ces mots y avaient été tracés à la hâte :
cette blessure dans ton regard
ne pars pas ne pars pas
tout ce que tu as
bouleversé en moi
Martine
J'étais trop abattu pour céder à la joie qui aurait dû m'envahir. Mais avant même que j'aie eu le temps d'arrêter ma décision, mon esprit cherchait fébrilement à imaginer la manière dont j'allais m'y prendre pour annoncer que je ne partais plus.
p.53-54
Attente en automne
Face à Martine, je me sentais vieux. Non point en raison de notre différence d'âge, mais à cause de cette désespérance qui m'empêchait de pleinement de participer à la vie. Cette désespérance, sans doute avait-elle son origine dans mon enfance, mon adolescence, mais il ne m'échappait pas qu'elle était aggravée par la conscience que j'avais du triste monde dans lequel nous vivons. Les forfaits, les abjections, les crimes de toutes natures, les tragédies collectives, les atrocités dont nous sommes chaque jour informés, ils me blessaient, me plongeaient dans la honte, me contraignaient à m'interroger sur moi-même, et à la fin, après d'épineux débats intérieurs, je ne ressentais que fatigue, ennui, découragement.
Je n'avais pas à hésiter. Il me fallait partir. Et sans tarder.
p.47
Attente en automne
La quatrième nuit, l'attente se prolongeait. La vache avait fait les eaux mais le veau n'apparaissait pas. J'allais et venais ou m'asseyais près de Martine sur une botte de paille. Je ne savais que dire et ce silence, si contraire à tout ce qui bouillonnait en moi, me mettait profondément mal à l'aise. Je m'éloignais d'elle, la regardais à la dérobée et son beau visage soucieux redonnait vie en moi à des bribes du Cantique des cantiques dont je ne savais plus qu'elles dormaient dans ma mémoire :
Tu es ma belle, ma bien-aimée,
sans tache aucune…
Le miel et le lait
sont sous ta langue…
Ouvre-moi ma sœur, mon amie,
ma colombe, ma parfaite,
car l'amour est fort comme la mort…
p.39
J'errais d'un livre à l'autre, brûlant du désir de découvrir le secret qui m'aurait aidé à vivre... (p.31)
Je savais aussi que l'être humain est bien souvent insatisfait, amer, en conflit avec lui-même, et il me venait la crainte d'être de ceux qui ne parviennent jamais à se dépêtrer de leur mal de vivre. (p.87)
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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