La Vie symbolique : Psychologie et vie religieuse

Lorsque nous parlons de Dieu, c'est de notre image traditionnelle de Dieu que nous parlons; jamais il n'est plus important de le souligner que dans la discussion sur la privatio boni. Nous ne produisons pas Dieu par une parole magique ou en le représentant par l'image. Le mot reste encore pour nous un fétiche, et nous présupposons qu'il produit la chose dont il est en fait simplement l'image. Ce que Dieu est en lui-même, nul humain ne le sait; (...). Il est donc hors de portée pour l'homme de poser des assertions valables sur la nature divine. Si, présupposant une connaissance de Dieu que nous ne pouvons pas avoir, nous ne tenons pas compte de l'insuffisance de l'esprit humain, nous nous empêtrons dans les contradictions les plus insolubles et, essayant de nous en libérer, nous usons des pires sophismes, (...). En outre, notre foi enfantine en la toute-puissance du mot est un obstacle sérieux pour notre pensée. C'est là la raison historique pour laquelle se sont accumulées un nombre considérable de contradictions qui donnent une prise facile aux ennemis de la religion. C'est pourquoi je plaiderais avec énergie pour une révision de nos formulations religieuses à la lumière des acquis de la psychologie. (...)
Cela seul est vivant qui se transforme et se développe ; ce qui est statique au contraire est synonyme de mort de l'esprit.

Mais la loi essentielle du christianisme m'impose de porter et de comprendre non seulement mon frère schismatique, le protestant, mais encore mes frères d'Arabie et d'Inde. Eux aussi, ils ont reçu des messages étranges mais tout aussi respectables, que j'ai le devoir de comprendre.

Le Soi ou le Christ est présent a priori en chacun de nous, mais en règle générale, au début à l'état d'inconscience. Et assurément, lorsque ce fait devient conscient, c'est dans l'existence une expérience tardive. On ne peut pas accéder réellement à cela par la doctrine ou la suggestion. Ce n'est une réalité que lorsque la chose arrive, et elle ne peut arriver que lorsqu'on retire ses projections d'un Christ extérieur, historique ou métaphysique et qu'ainsi l'on éveille le Christ intérieur. Ceci ne veut pas dire que le Soi inconscient serait inactif, mais seulement que nous ne le comprenons pas. Le Soi (ou le Christ) ne peut devenir réel et conscient sans le retrait des projections extérieures. Un acte d'introjection est nécessaire, c'est-à-dire la découverte du fait que le Soi vit en nous et non pas dans une figure extérieure, séparée et différente de nous. Le Soi est depuis toujours notre centre le plus profond et notre périphérie, notre scintilla et notre punctum solis, et le restera.

D'une façon générale, je fais une distinction entre "religion" et "profession de foi", dans l'intérêt du profane, parce que c'est lui surtout qui lit mes livres, et non l'universitaire érudit. Celui-ci ne s'intéresse pas à l'esprit du profane. (...)
Je dois le répéter encore une fois : je suis psychologue, et donc je m'intéresse en premier lieu à l'âme humaine, bien que je sois avide des vérités que le spécialiste amène au jour. Le profane identifie la religion avec une "confession", c'est-à-dire avec les "choses qui sont faites à l'église". Ainsi, l'islam, le judaisme, le bouddhisme, etc., sont des religions, tout simplement, comme le christianisme.
Qu'il existe une vie intérieure authentique, un lien qui s'établit avec des puissances transcendantes, la possibilité d'une expérience religieuse, on ne le sait que par oui-dire. Aussi bien les Eglises ne sont-elles pas précisément bien disposées à l'égard de la conception subjective individuelle. Pour elles, c'est la communauté qui compte en premier lieu, ce qui les conduit à négliger totalement le fait que plus les hommes sont nombreux ensemble, moins il y a de place pour l'individualité.

Les observations que j'ai pu faire m'ont appris que l'inconscient de l'homme moderne a tendance à produire un état psychologique que l'on rencontre parfois dans la mystique médiévale. On rencontre des choses semblables ches Maître Eckhart; on en rencontre beaucoup dans le gnosticisme. Il s'agit là d'une sorte de christianisme ésotérique. On rencontre en chaque homme l'idée de l'Adam Kadmon, du Christ en nous. Le Christ est le second Adam; la même chose est exprimée dans les religions orientales par l'idée de l'Atman ou de l'homme total, de l'homme primordial, de l'homme "tout rond" de Platon, représenté symboliquement par un cercle ou par une figure à motifs circulaires. On rencontre toutes ces idées dans la mystique médièvale, on les rencontre partout dans la littérature alchimique depuis le premier siècle après Jésus-Christ. On les rencontre dans le gnosticisme, on en rencontre évidemment beaucoup dans le Nouveau Testament, chez Saint Paul. Il s'agit là du développement tout à fait logique de l'idée du Christ en nous -non pas du Christ historique, mais du Christ en nous.