L'auteur passe en revue plusieurs saints qui se sont soutenus l'un l'autre: homme-homme, femme-homme, femme-femme. Alors que nous sortons d'une période où les amitiés particulières étaient suspects d'homosexualité, nous voyons ici, que l'amitié peut conduire aux plus hautes expériences spirituelles.
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Elle est très rare parce que exigeante, et périlleuse autant qu'exaltante. Je vois en elle un triple défi. D'abord, une amitié spirituelle entre un homme et une femme n'a rien de conventionnel, elle s'élève bien au-dessus des relations de camaraderie joyeuse, d'agréable collaboration ou de séduction qui existent ordinairement entre eux. Ensuite, ce lien tendre et intense qui n'est ni amoureux, ni conjugal, ni familial doit se confronter au paradoxe qu'il représente : vivre l'intimité des âmes sans vivre l'intimité des corps. Enfin, il requiert entre les deux amis une égalité parfaite et reconnue par chacun sur le plan de la connaissance spirituelle : il n'y a pas un maître à penser et une disciple ignorante ou obéissante...
Ce triple défi ne peut être relevé qu'en s'arrimant en Dieu ou en faisant passer avant toute autre considération terrestre le désir d'absolu, l'amour du Beau et du Bien. Autant dire que l'amitié spirituelle entre homme et femme exige des êtres libres, entiers et non en manque, et des êtres d'exception. Il faut une grande force intérieure jointe à une limpidité d'âme pour traverser et surmonter les différents obstacles sur le chemin : le jugement des autres, la suspicion et la calomnie devant une relation peu banale (Jérôme, Pierre de Bérulle, Fénelon, entre autres, en ont lourdement pâti) ; l'irruption de la passion, le désir d'un rapprochement plus étroit entre les deux personnes qui partagent l'essentiel, l'appel à une union amoureuse (Teilhard de Chardin en est un très bon exemple, à son corps défendant) ; la tentation, pour l'un ou pour l'autre, d'avoir raison, de diriger l'autre, d'instaurer un rapport de force là où la confiance mutuelle s'était établie (Madame Acarie, Anne-Catheriene Emmerich, malmennées ou rabrouées par celui qui se disait leur ami).
Certes, les deux amis peuvent d'emblée dresser leurs propres barrières pour éviter de tomber dans un des pièges : ils peuvent vivre éloignés l'un de l'autre et se voir rarement, invoquer un statut de prêtre ou de femme mariée (ce qui n'a jamais protégé de la passion amoureuse), jouer avec une grande différence d'âge susceptible d'instaurer un lien filial, ou encore par volonté et ascèse réprimer tout désir, toute sensibilité au charme de l'autre, retenir tout élan du coeur qui risquerait d'entraîner trop loin... les deux amis spirituels sont reliés par le haut - un Haut invisible et impalpable -, mais ce sont des êtres humains, de chair et de sang, non de purs esprits. Et des individus au contact du monde, même s'ils sont moine ou nonne.
Le véritable solitaire est un être libre, qui ne dépend ni du jugement ni de l’approbation des autres, et un être qui aime la profondeur et l’intensité. Comme il n’est pas en manque ni en demande, il apprécie les relations de qualité, les rencontres qui ont lieu sous le signe de la gratuité et de la grâce. Ainsi, ses amitiés ne sont pas suspectes ni intéressées parce qu’elles ne sont pas dictées par le besoin, par l’ambition, par le désir de convaincre l’autre et d’avoir raison. Une vie solitaire ouvre tout l’espace intérieur, elle permet ainsi que l’autre trouve sa place et l’amitié ne peut apparaître sans ce dégagement préalable, sans ce retrait de soi.
On ne dira jamais assez combien la conversation est non seulement le charme mais aussi la nourriture d'une relation authentique. La conversation, avec ce qu'elle suppose d'écoute, de présence, de silence et d'attention, de risque aussi. A l'opposé du bavardage superficiel et indifférent. Les véritables amis ont à coeur de partager ces instants précieux et uniques qui jamais ne se reproduiront et qui rendent hommage à la gratuité et à la grâce des relations humaines.
Si la femme semble mettre en danger l'amitié spirituelle, ce n'est pas, comme on le répète sottement, par la séduction de son corps, mais bien par l'émotion, la passion voire l'excès qu'elle met en toute relation. Elle paraît gêner l'idéal de sérénité et d'apatheia que recherchent beaucoup d'hommes de Dieu. D'une façon générale, c'est comme si la femme animait la relation - au sens du souffle, animus, qui peut se faire brise légère ou bien tempête -, tandis que l'homme essaie de la modérer, de la contenir voire de la contraindre.
Le propre de l’amitié est d’ouvrir des fenêtres, de bondir par-dessus les frontières, afin de rencontrer et d’accueillir l’autre dans sa singularité. Sans vouloir le changer ni le convertir. Ce dialogue n’est possible que si la liberté de chacun est respectée et même chérie et que la valeur des son expérience spirituelle est prise au sérieux au lieu d’être contestée ou minimisée.
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Le Temps de la bonté : le livre de Tobit
Jacqueline Kelen
Éditions du Cerf
« À vrai dire, depuis des années, ce récit que l'on date du troisième siècle avant notre ère, ce livre me fait rêver, me questionne, m'enrichit. On a entendu parler de Tobit, père et fils. Il y a une histoire de poisson. On se souvient plus ou moins. Il y a le petit chien aussi qui fait partie de l'aventure. On se doute que ça finit bien. Peut-être que l'on sait que l'ange Raphaël qui est très présent dans le récit, puisque c'est le guide du jeune homme vers la lumière, vers la renaissance spirituelle... »
Jacqueline Kelen, pour la librairie La Procure
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