Une écriture limpide, une regard neuf, une façon de parler d'amour rare ! Un livre qui sans cesse nous pousse à vivre nos désirs, nos joies et nos peines... Et qui nous rappelle que les risque est nécessaire à la joie !
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Un beau livre portant à l'éveil, il dérange et sécurise à la fois.
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De la connaissance de soi qui affranchit des entraves temporelles et individuelles, on est tombé dans l’amour de soi qui est enfermement, indifférence à l’autre ou utilisation d’autrui.
Toutes les flatteries d’amour-propre invitent à rester à la maison, plus exactement dans la prison. Or, comme Platon l’a admirablement décrit dans le mythe de la Caverne, au septième livre de sa République, la plupart des mortels préfèrent rester entravés et captifs mais à l’abri, plutôt que de s’arracher aux reflets, aux illusions du monde, afin de contempler la source de Lumière. Voilà pourquoi ils restent des mortels.
L’éveil est un arrachement, une coupure irréversible. Le prisonnier de l’apologue platonicien qui, seul, s’est retourné vers le Réel en refusant l’emprise de l’habitude et de l’ignorance, et qui s’est détaché du groupe des captifs, sera à jamais marqué par une déchirure qui est sa noblesse et sa singularité, qui signe aussi l’accès à l’Être. Ce retournement et cet éveil de conscience le séparent du commun des mortels, de la mortifère inconscience commune. Aussi est-il traité de fou ou de malade par ceux qui le croyaient des leurs. Non, il n’est plus leur semblable, leur congénère, il ne fait plus partie de ces gens qui se croient heureux, qui s’estiment tranquilles, il est un homme libre allant vers la Source, un esseulé allant vers le Solitaire. Il est marqué à vie car vive est la blessure de l’éveil.
[…]
Celui qui s’est évadé de la prison et qui s’est coupé de la chaude communauté des mortels n’est pas à la fin de ses épreuves puisque, au contraire, la quête commence. L’homme blessé, en marche, se voit exposé à toutes les rencontres, à d’autres déchirures. Il se retrouve libre et seul, immensément fragile, à l’abri de rien parce qu’en quête de tout. Avançant sur le chemin, il aimera de plus en plus sa vulnérabilité qui n’est pas faiblesse, sa sensibilité qui est chant du cœur. C’est une fragilité qui n’a pas besoin d’être protégée, c’est une blessure qui ne réclame nulle guérison. Cette fragilité est la musique de l’être, sa nudité essentielle et indestructible.
La blessure sauve l’homme de toutes les tentatives d’asservissement que représente le besoin compulsif d’être indemne et protégé de tout, elle le sauve de tous les remèdes qui veulent euphoriser ou tranquilliser son existence et d’abord sa pensée. Elle rappelle la précieuse précarité de l’être humain, la fragilité cristalline de l’âme immortelle qui requiert tous nos soins. Et la brisure du vase n’ensevelira jamais la pureté du chant qui en jaillit.
La compassion commence par un seul geste, celui de se pencher, de regarder, d’écouter autrui. Elle est discrète et attentive, elle ne fait pas d’éclat, mais offre toute la chaleur dont un individu est capable. Elle est d’abord un élan qui porte vers l’autre, le fameux prochain, quel qu’il soit, à la Facon dont on pratiquait l’hospitalité dans l’Antiquité grecque : on accueillait l’étranger sans même lui demander son nom, ni les raisons de son passage. C’est l’élan premier –la voix du cœur- qui fait spontanément tendre la main à une personne âgée, qui relève quelqu’un qui vient de tomber. Au fond, un seul geste compte et c’est celui qui coûte le plus : prendre l’autre dans ses bras, le serrer sur son cœur. Cela suffit, souvent, à apaiser de grandes douleurs, cela dépasse toutes les thérapies savantes et bavardes. Mais peu d’hommes savent offrir cette élémentaire chaleur d’humanité.
Diverses attitudes masculines montrent un profond rejet du Féminin qui est, au fond, la véritable blessure de l'homme. Plus l'homme abaisse et renie la femme - en ses divers visages de mère, de soeur, d'amante, d'épouse -, et plus il aggrave sa propre blessure, son manque essentiel.
Si la femme peut être insultée, avilie, la Dame ne peut jamais être souillée ni atteinte de blessures parce qu’elle figure l’éternelle, l’immuable dimension de l’Esprit. Et en toute créature féminine il y a, souveraine, une Dame qui surmonte et sanctifie les blessures faites à la femme. Ainsi la Dame oint et referme les plaies de la femme offensée en son corps, en son cœur ou en sa dimension sacrée.
Jamais la Dame ne peut être détruite ni endommagée, mais elle endure de terribles souffrances à se sentir si éloignée, si peu recherchée des mortels. Ainsi, Raymond Lulle met en scène, dès le prologue de L’Arbre de la Philosophie d’Amour, une belle jeune femme qu’il rencontre « dans un beau pré, au milieu duquel il y avait un grand arbre et une belle fontaine ». La dame est gracieuse et richement parée mais se répand en pleurs déchirants. S’approchant d’elle, le narrateur la salue humblement, il lui demande son nom et la raison de son chagrin. La dame se présente comme Philosophie d’Amour, dont la sœur Philosophie de Savoir reçoit tous les suffrages des hommes qui préfèrent les « sciences de l’entendement et de la vérité à celles de l’amour et de la bonté ». Ainsi parle la belle dame désolée : « Ce ne sont pas la jalousie ni l’orgueil qui me font gémir ; je pleure parce que la plupart des hommes ne savent pas aimer ; s’ils savaient aimer aussi bien qu’ils savent comprendre, grâce à moi et à ma sœur le monde entier serait dans un ordre parfait. »
Depuis le mois d’octobre 1298, date à laquelle Raymond Lulle termina, près de Paris, son magnifique ouvrage, on ne peut guère avancer que les choses aient changé dans le cœur des hommes. Philosophie d’Amour demeure inconsolée.
Voilà pourquoi toute femme au cœur libre et aimant a mal à l’Amour en ce monde, pourquoi les mystiques au cœur transpercé souffrent des blessures réitérées que les mortels portent à l’Amour en l’ignorant ou en le rabaissant à leur misérable niveau. La Dame d’Amour déroule sa longue plainte dans le silence des cœurs fermés. Didon, Héloïse, la religieuse portugaise, et toutes celles que Rilke nomme les « grandes amoureuses » parce qu’elles ouvrent à l’homme l’espace illimité de l’Amour au lieu de restreindre celui-ci au cercle clos de leurs bras.
pp. 291-292
En certains instants illuminés, la blessure qui marque toute existence n'est plus une douleur, une honte, mais un honneur, une visitation. La Beauté et l'Amour viennent au plus près de l'être par un souffle puissant, par des traits acérés, en ce lieu du coeur où toute séparation est levée, où s'abolit en un éclair la distinction entre la déchirure et la grâce.
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Le Temps de la bonté : le livre de Tobit
Jacqueline Kelen
Éditions du Cerf
« À vrai dire, depuis des années, ce récit que l'on date du troisième siècle avant notre ère, ce livre me fait rêver, me questionne, m'enrichit. On a entendu parler de Tobit, père et fils. Il y a une histoire de poisson. On se souvient plus ou moins. Il y a le petit chien aussi qui fait partie de l'aventure. On se doute que ça finit bien. Peut-être que l'on sait que l'ange Raphaël qui est très présent dans le récit, puisque c'est le guide du jeune homme vers la lumière, vers la renaissance spirituelle... »
Jacqueline Kelen, pour la librairie La Procure
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