The Cipher (
Brèche vers l'enfer en VF) fait partie de ces livres qui m'ont tellement marquée que je sais que j'y reviendrai nécessairement. En l'espace d'un peu moins d'un an je l'ai abordé deux fois, d'abord en Epub, puis en version audio. Il y a d'autres romans que je relis régulièrement (À rebours de Huysmans,
Monsieur Vénus de
Rachilde, Drawing Blood de
Poppy Z. Brite…), mais je pense que c'est la première fois que je ressens le besoin de me replonger si vite dans un livre.
Comme pour Skin (lu par Suzanne T. Fortin) et Murder of Angels (lu par Matt Godffrey), la version audio est un sans faute et confère un relief supplémentaire au roman. Ici, c'est Joshua Saxon qui assure la narration à la première personne. Sa voix est grave, presque douce, qui se brise parfois, plus grave encore. Saxon a su parfaitement s'adapter au rythme de ce texte à la syntaxe elliptique, écrit pour une part à la manière d'un monologue intérieur. Il ne se contente pas de lire le roman, il lui donne vie. Sa performance, sa manière si juste d'incarner le protagoniste, m'a fait entrer plus vivement encore dans l'histoire que ne l'avait permis la seule lecture du texte.
Le récit démarre au bord d'un trou surnommé en VO the Funhole, conduisant semble-t-il à une autre dimension et qui obsède déjà les protagonistes, Nicholas, le narrateur, et Nakota, son grand amour à sens unique. Dès les premières pages, leur relation, centrale dans le texte et qu'on verra lentement se dégrader, n'est envisagée qu'en rapport avec ce trou, comme si ce gouffre mystérieux était la seule chose qui les liait encore.
Le roman suit une trajectoire simple, linéaire, il va crescendo. le phénomène surnaturel du Funhole et les manifestations imprévisibles qu'il engendre, suscitant dans le texte quantité d'images aussi étranges que dérangeantes (et difficiles à s'ôter de l'esprit), ne sont jamais expliqués ou rationnalisés. À mesure que son influence sur ce qui et surtout ceux qui l'approchent de trop près s'accroît, c'est le monde autour de Nicholas qui s'effondre. le protagoniste sait qu'il n'en réchappera pas, cette chose, ce processus le happe et finira nécessairement par l'engloutir. le lecteur se retrouve tout au long du roman spectateur d'une catastrophe qu'il voit survenir au ralenti, c'est une caractéristique récurrente des premiers romans de l'auteure. L'horreur ici ne surgit pas uniquement en réaction aux manifestations surnaturelles et à leur violence, mais également et peut-être essentiellement face au désespoir absolu qu'elles suscitent.
L'une des réussites de l'auteure, au-delà de l'efficacité du concept et de l'originalité de son traitement, est d'avoir su aborder de façon réaliste l'impact de ces phénomènes inexplicables sur sa galerie de personnages, à la fois individuellement et collectivement, quitte à les montrer sous leur jour le plus sombre. Des cénacles se forment autour de Nicholas, celui par qui l'horreur arrive, à la fois révéré, craint et jalousé ; les amitiés se nouent et se dénouent, les loyautés fluctuent sous l'effet de la terreur ou d'une obsession confinant au fanatisme. Doucement, face à cet abîme, les raisons s'effritent, les personnages perdent pied.
La seule explication au Funhole, à cet enfer auquel il conduirait ainsi qu'aux manifestations qu'il provoque intervient sous la forme d'une citation qui fait suite à une fin en apothéose d'une violence inouïe, brutale autant que choquante, même si on la devinait inévitable ; une métaphore de cinq mots qui donne la clef du livre et permet de revenir sur les événements en les percevant comme son actualisation, une manière pour l'auteure à la dernière seconde de cette lecture d'en redoubler l'horreur comme la tragédie.
Lien :
https://mahautdavenel.wordpr..