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EAN : 9782757899717
216 pages
Points (25/08/2023)
3.36/5   199 notes
Résumé :
Entre 1942 et 1944, des milliers d’enfants juifs, rendus orphelins par la déportation de leurs parents, ont été séquestrés par le gouvernement de Vichy. Maintenus dans un sort indécis, leurs noms transmis aux préfectures, ils étaient à la merci des prochaines rafles.

Parmi eux, un groupe de petites filles. Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d’internement en foyers d’accueil, de Beaune-la-Rolande à Paris. Cloé ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (50) Voir plus Ajouter une critique
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sur 199 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 39 °°°

« Certaines histoires sont comme des forêts, le but est d'en sortir. D'autres peuvent servir à atteindre des îles, des ailleurs. Qu'elles soient barques ou forêts, elles sont faites du même bois. Je ne sais pas de quelle sorte est celle qui commence ici. Un jour, ma soeur a sonné à la porte d'un immeuble qui se trouve juste en face de chez elle, à Paris. Une voix de femme lui a répondu. Ma soeur a prononcé son nom dans l'interphone et, sans rien demander de plus, la femme lui a dit : Montez. »

Cette femme, c'est Madeleine Kaminsky, benjamine de trois soeurs, toutes rescapées de la Shoah, témoin des dernières années de trois soeurs Korman, cousines du père de l'auteure, assassinées elles à Auschwitz. Andrée, Jeanne, Rose Kaminsky + Mireille, Jacqueline, Henriette Korman, six enfants juives que la tragédie a rapproché au point d'en faire des « presque soeurs » au bout de la nuit génocidaire.

Cloé Korman reconstitue les différentes étapes de leurs arrestations, incarcération et internements dans la France de Pétain, interrogeant sur le legs, immense et invisible, que constituent ces enfants morts, héritage douloureux pour la France, pour les Juifs de France et pour sa famille d'origine juive polonaise, elle dont le père a été avocat des parties civiles durant les procès Klaus Barbie et Alois Brunner, elle dont les grands-parents paternels se sont exilés en Suisse pour éviter les rafles.

Pour faire revivre cette généalogie sous Vichy, Cloé Kormann mène l'enquête en rencontrant les derniers témoins et en partant sur les lieux où ont été commis ces crimes : Montargis où les presque soeurs sont raflées le 9 octobre 1942 après leurs parents en juillet, puis le camp de Beaune-la-Rolande, toujours dans le Loiret ; les différents foyers franciliens pour enfants juifs gérés par l'UGIF ( Union générale des Israélites de France ) où elles sont séparées, ballottées ; puis le camp de transit de Drancy d'où les soeurs Korman sont déportées le 31 juillet 1944 avec 1314 autres Juifs français dont 300 enfants.

A l'heure où certains manipulent l'histoire en soutenant que Pétain à protéger et sauver les Juifs français, ce récit complète pertinemment le travail salutaire de l'historien Laurent Joly ( La rafle du Vel d'Hiv', paru en juin 2022 ), rappelant l'implication et le zèle du gouvernement Laval à déporter les enfants juifs, bien avant que l'ordre allemand n'ait été donné. Cloé Korman met également en lumière les Justes parmi les nations qu'ont côtoyés les enfants, comme la médecin Adelaïde Hautval déportée à Birkenau en tant qu'amie des Juifs.

Du point de vue factuel, les chapitres qui m'ont le plus frappée sont ceux consacrés à la vie des enfants dans les foyers parisiens une fois que leurs parents ont été déportés, en attendant leur tour. Tout au long de leur internement, les soeurs Kaminsky et Korman sont autorisées à aller et venir chez des proches ou des amis de la famille, sans aucun obstacle du moment que ces derniers promettent leur retour en fin de journée … occasion pour certains d'organiser une fugue définitive.

Je ne suis pas particulièrement férue du procédé narratif, de plus en plus utilisé dans les documentaires et enquête journalistiques, consistant à mettre en scène l'écrivain-narrateur avec un « je » égocentré très présent, dans un parallèle présent / passé parfois un peu artificiel. Certains passages sur la vie intime de l'auteure, ainsi insérés, ne m'ont pas totalement convaincue dans les résonances du passé sur son présent de jeune mère ; bien que la sincérité de l'auteure ne fasse aucun doute, je les ai trouvés quelque peu maladroits, en tout cas nettement moins intéressants que les captivants passages sur les années 40.


Malgré cette réserve, le récit m'a happée, notamment par sa capacité à faire naitre des émotions très fortes, comme lorsque Cloé Korman étudie les ravages psychologiques générés par le parcours génocidaire. de façon très modianesque, la déambulation dans un lieu fait émerger des sensations que l'auteur transforme en mots et réflexions :

« Je me demande ce qu'elles éprouvent à former ce groupe d'enfants qui se perdent et qui se quittent sans arrêt, alors que leurs parents ont disparu. On dirait des poupées gigognes auxquelles on enlèverait successivement toutes leurs enveloppes, qui flottent dans un espace sans arrière-plan. Enlevées à des familles qui n'existent plus, elles se recomposent en groupes successifs qui s'égarent et disposent à nouveau, dans ces lieux vidés de leur usage normal, et dont on peut les retirer d'un jour à l'autre. »

La qualité d'écriture de l'auteure excelle à ressusciter l'enfance volée juste par la force des mots. Elle redonne vie aux fillettes en offrant à chacune un visage, un corps, une tenue vestimentaire, une sensibilité. Certaines sont ainsi terrorisés à l'idée de grandir loin de leurs parents et que ces derniers ne les reconnaissent plus, le traumatisme psychologique allant jusqu'à bloquer la croissance physiologique des corps. C'est dans ces scènes du quotidien que Cloé Korman bouleverse, comme lorsqu'elle évoque la montre aux bras de Mickey offerte par ses parents horlogers à la petite Jacqueline, repère à laquelle se raccroche la fillette pour supporter l'angoisse de la séparation dans un contexte d'une rare précarité.

Ou lorsqu'une des soeurs, venant d'arrivée dans le village fantôme de Beaune-la-Rolande ( les 19 baraquements ayant été « vidés » ), se demande à qui appartenait cette poupée abandonnée ou qui a dormi dans un des châlits. le lecteur est ainsi totalement propulsé dans le récit qui oscille entre factuel incontestable sur les traces concrètes de Vichy dans la France d'aujourd'hui et émotions qui nous assaillent par vague.

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« Certaines histoires sont comme des forêts, le but est d'en sortir. D'autres peuvent servir à atteindre des îles, des ailleurs. Qu'elles soient barques ou forêts, elles sont faites du même bois. »


Si l'auteur est entrée dans la forêt obscure, sur les traces des enfants morts de la Shoah, c'est sur l'invitation de sa soeur Esther, qui, s'étant découverte voisine d'un témoin des faits, avait commencé à reconstituer l'histoire de leurs trois petites cousines, mortes en déportation à la toute fin de la guerre. Cloé Korman s'est alors lancée dans une enquête qui, du Loiret à Paris, l'a menée pas à pas là où la France de Vichy a fait passé les soeurs Korman – Mireille, Jacqueline et Henriette – et leurs « presque soeurs » – Andrée, Jeanne et Rose Kaminsky –, toutes les six raflées à Montargis en 1942, internées dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, puis plusieurs fois séparées et réunies au hasard de leurs affectations dans différents foyers d'accueil parisiens où, recensées sur les listes juives des préfectures, elles attendirent que leur sort, apparemment encore indécis, se scellât au bon vouloir des autorités.


Aussi chaotique que le parcours de ces fillettes ballottées de lieux en lieux puissent paraître, le récit mène pourtant à un constat implacable : en fait de tergiversation quant à leur destin, il n'y eut jamais qu'une question d'organisation et de logistique. Si les enfants ne furent pas déportés dès le début avec leurs parents, restant orphelins à la charge d'un Etat français impatient de s'en débarrasser, ce fut uniquement pour ne pas encombrer les camps de travail en attendant que la machinerie d'extermination nazie eût atteint le niveau capacitaire requis. Alors, dans l'intervalle, on les casa, peu importe comment, dans des lieux d'attente, puisant dans leurs listes pour optimiser les convois d'adultes lorsqu'ils étaient incomplets… Pour les soeurs Korman, l'heure du départ fatal sonna en 1944, dénotant, de la part des responsables français, un « acharnement à faire des victimes alors que la défaite nazie était acquise ».


Nous faisant « prendre la mesure des mensonges putrides dont est capable un État jusqu'à assassiner ceux dont il a la protection avec la bonne conscience qui s'autorise des tampons de commissaires, et la respectabilité des signatures de sous-préfets ayant l'honneur de s'adresser à leur préfet, ou de préfets déférant à leur ministre avec des listes de noms d'enfants », établissant tristement le rôle « de mise à feu du génocide » joué par la France, la narration s'éclaire aussi fugitivement des actes individuels de révolte, des coups de pouce rencontrés ça et là qui ont pu renverser la fatalité et sauver des vies, comme celles des soeurs Kaminsky, enfuies après six tentatives manquées. Ainsi, sur les « presque soeurs » promises au même destin par la barbarie des hommes, trois auront pu emprunter une traverse vers la vie...


Moins introspectif et, du coup, peut-être moins chargé émotionnellement que la bouleversante Carte postale d'Anne Berest, le livre de Cloé Korman n'en frappe pas moins l'esprit en abordant la Shoah sous un angle demeuré méconnu : le sort très hypocritement réservé par la France de Vichy aux orphelins laissés par les adultes juifs déportés. Aussi soigneusement documenté qu'admirablement écrit, le récit très concret a de quoi ébranler profondément le lecteur, aussi averti soit-il déjà de la part de responsabilité de l'administration française dans le génocide. Et puis, déjà horrifié par le sujet dans son ensemble, comment ne pas rester songeur face aux bifurcations du destin, qui d'une pichenette condamne ou sauve, à partir de situations strictement identiques… Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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L'autrice fouille la mémoire de sa famille pour retrouver la trace de ses aïeuls durant la seconde guerre mondiale. Famille de juifs venue de Pologne, si les parents sont vite liquidés par les nazis, les enfants subissent le parcours imposé par la France de Vichy. Les camps dans le Loiret , les foyers à Paris. Et toute l'abomination qui va avec.

Il y a des livres qu'on ne rencontre pas et celui là en fait partie. J'en ai presque honte , vu la gravité du sujet, mais c'est comme ça.

L'histoire est d'une tristesse sans nom, le sort de ces enfants irrespirable mais je n'étais pas venu lire un documentaire . alors , comme cela nous est arrivé à tous, je m'empare de la technique éculée de la diagonale qui est censé me faire gagner du temps, me faire aller à l'essentiel de l'essentiel mais qui en contrepartie me sort du plaisir de la lecture .
Bien sûr, la chronologie de la rafle jusqu' au foyer parisien en passant par le Loiret est intéressante , la quête de ses racines par l'autrice aussi , mais voilà, parfois cela ne fonctionne pas.

A la sortie , je repars avec un lien entre la Chine et Montargis , ce qui ne devait pas être le but de l'autrice :).
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« Certaines histoires sont comme des forêts, le but est d'en sortir » annonce Cloé Korman en préambule de son récit d'investigation sur le destin de ses cousines, les soeurs Korman, sous le régime de Vichy.
Ces forêts sont comme des histoires dans lesquelles les malheurs s'enchevêtrent, l'écriture, le témoignage sert alors d'exutoire, il est un moyen de reconstruire ce qui a été détruit, c'est la clarté de la parole contre l'obscurité du chaos.
Celles qu'elle aurait pu rencontrer ont malheureusement péri après une des rafles fréquentes dans cette noire période de l'histoire française entre 1942 et 1944 dans laquelle les dénonciations et la haine contre les israélites font rage.
Ils sont dépouillés de tout, leurs biens, leurs droits, leur vie, tout court, et cela sans scrupule avec l'aval largement consenti d'une administration sans visage et sans pitié pour les victimes.
Les survivantes pourront témoigner de l'indicible, c'est avec un zèle étonnant qu'elles accueillent la narratrice à travers ses pérégrinations pour aller à la rencontre d'un passé triste, douloureux et peu glorieux.
Dans ce témoignage quasi objectif, basé sur du ressenti mais aussi en grande partie sur des faits, Kloé Korman a fait de nombreuses recherches, ne cherche pas à forcer les choses.
C'est notre libre arbitre qui est mis en jeu, à nous de penser, de juger, de ressentir, d'imaginer.
On est tantôt révolté par le zèle d'une administration complice de crimes contre l'humanité, on s'apitoie tantôt sur le sort des jeunes victimes et de leurs familles, de toutes ces personnes menées tout droit à l'abattoir. On est aussi crispé par les dénonciations tantôt gratuites tantôt intéressées, on tue pour se saisir d'un morceau de viande, un magasin, une maison, un immeuble, par haine raciale aussi. L'être humain n'a plus la place qu'il devrait occuper, dans ce chaos tout est permis.
« L'Enfer c'est les autres » bien sûr ! Ceux qui portent l'étoile jaune doivent être écartés et faire leur chemin de croix.
Un livre qui s'engage à témoigner sur les dégâts du nazisme et de la collaboration avec ses dommages collatéraux sur les familles, les enfants qui en sont les cibles.
A travers son témoignage, Cloé Korman exhume l'histoire de sa famille mais aussi celle de tout un peuple pour que nous puissions aller à leur rencontre, les connaître et reprendre conscience de ce que des humains peuvent faire subir à leurs semblables.
Les histoires individuelles, comme c'est souvent le cas, rejoignent la grande Histoire.
Dans la période trouble que nous vivons actuellement, ce récit est plus qu'utile.
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Très courte critique : D'une manière pudique , l'auteure redonne vie à six fillettes dont trois périront à Auschwitz : , elle cherche à retrouver à partir de bien maigres indices les traces de Mireille, 10 ans , Jacqueline , 8 ans, Henriette 3 ans déportées en 1942 à Beaune la Rolande , puis raflées en 1944 , au sein du foyer De Saint -Mandé , avant d'être exterminées aussitôt arrivées à Auschwitz, en juillet 1944.

Le même sort pour l'ensemble des enfants débarqués là - bas …

Tout finit par se mêler et se confondre: l'historique, le passé ,le présent , l'intime , les lieux d'aujourd'hui et d'hier , ces soeurs des années 40 et celles ,de leurs lointaines cousines des années 2020.
D'une écriture délicate , sans pathos excessif , l'auteure conte , à hauteur d'enfant des détails : dînettes , crayons, cahiers ,chansons .
Elle entrelace , le destin de ces trois fillettes à leurs trois jeunes amies de Beaune la Rolande , retrouvées au fil de pérégrinations : Rose, Jeanne et Andrée .
Celles - ci , miraculeusement survivront .
Ces «  six presque soeurs » passeront sept mois ensemble.

Récit lumineux et digne d'une mémoire ressuscitée, réinventée , «  Ce présent perpétuel des enfants » comme le souligne l'écrivaine .
Récit pudique , troublant …..Cloé K redonne vie et sourire à ces presque soeurs .,,entre détresse et rire dans les détours bouleversants d'une éternelle enfance .
Tragédie des 11104 enfants de moins de 16 ans déportés depuis la France sous l'occupation, selon les travaux de Serge Klarsfeld .
Un livre troublant , hésitant entre tragédie , révolte et génie n'appartenant qu'a l'enfance !
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critiques presse (5)
Telerama
20 novembre 2023
[Un] troublant et pudique récit qui nous perd entre sourire et détresse dans les méandres d’un royaume d’éternelle enfance.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaLibreBelgique
16 janvier 2023
Les Presque Sœurs, c'est l'histoire de six petites filles dans la France de Vichy. Trois d'entre elles, Mireille, 10 ans, Jacqueline, 5 ans, et Henriette, 3 ans portent le même nom que l'écrivaine. Ces trois enfants sont les filles du frère du grand-père de Cloé Korman. Elle les appelle ses "petites-cousines"....
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Culturebox
24 octobre 2022
Cloé Korman, troisième génération, redonne avec ce texte sensible non seulement vie aux disparus, mais fait saillir d'une écriture sobre l'horreur inouïe perpétrée par l'Etat français avec la complicité d'une partie de la population, dans une atmosphère de normalité insoutenable.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Marianne_
19 octobre 2022
Sur le « legs des enfants morts », Cloé Korman écrit avec douceur, avec ténacité, et c’est le plus bel hommage qu’on puisse leur rendre.
Lire la critique sur le site : Marianne_
LeMonde
14 octobre 2022
La grande réussite de ce texte à la fois sobre et délicat, qui veut faire résonner des noms trop longtemps tus, est précisément sa façon de rendre sensible une expérience vécue à hauteur d’enfant. Non que l’autrice brode ou invente de toutes pièces des scènes ou des dialogues.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
Mes trois petites-cousines font partie de la rafle de Saint-Mandé avec les autres filles de la rue Grandville, ainsi que Thérèse Cahen. Le 30 juillet, Thérèse écrit à son élève Jacques Leguerney une dernière lettre depuis la cité de la Muette. Elle est au courant que les autorités juives du camp ont bataillé pour demander des conditions améliorées lors du prochain convoi, dont on sait qu’il comptera plus d’enfants qu’il n’y en a jamais eu. Elle ironise : « En route demain pour une déportation d’enfants modèles avec bonbons, petites paillasses et docteur dans chaque wagon. »
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Mes grands-parents voulaient adopter les trois petites filles. (…)
Dans le monde où elles deviennent ses sœurs, mon père n’existe pas. Il nous l’a toujours dit. Il en est certain parce que mes grands-parents avaient déjà une fille, Annette, du même âge que Jacqueline. Ça leur aurait fait quatre enfants et, étant eux-mêmes des commerçants laborieux et sans fortune, mes grands-parents n’en auraient pas désiré un cinquième. Mon père ne serait donc pas né en décembre 1946.
Je ne suis pas convaincue par cette idée. Je pense que les enfants naissent à leurs parents suivant des raisons qu’ils maîtrisent autant qu’eux, c’est-à-dire pas beaucoup, et rien ne dit que mon père n’aurait pas fait son apparition malgré tout dans ce chœur de fillettes. En nous disant cela il nous parle moins de lui, je crois, que de la douleur du deuil. Les mots « je ne serais pas né », dans leur répétition, sonnent comme une formule accompagnant un sacrifice, et qui aurait le pouvoir de l’inverser : moi au lieu d’elles, c’est elles au lieu de moi. Surtout, cette formule décrit son statut de survivant. Elle nous parle de la matière dont nous sommes faits, lui, ma sœur et moi, de notre sentiment d’exister dans un taillis de possibilités horribles et étranges. Dans cette non-naissance je me reconnais. Je reconnais le désintérêt parfois insupportable de mon père pour ce qui l’entoure, mais aussi quelque chose qu’il nous a donné et qui nous libère de la pesanteur, notre commune étourderie, notre capacité d’adhésion assez intermittente à la réalité. « Je ne serais pas né » fait naître dans un rêve éveillé.
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À quoi peut ressembler un lieu où vivent trois mille enfants sans parents, presque sans adultes, un camp en rase campagne où il n’y a presque pas d’installations sanitaires, presque pas de nourriture ? Le tumulte de la cour de récréation d’une école primaire dans une grande ville compte environ trois cents ou quatre cents enfants. Ici, c’est dix fois plus. Pourtant il n’y a pas de bruit. Les quelques assistantes sociales qui sont sur place racontent comment les enfants ont vu partir leurs parents, comment les parents ont été arrachés à leurs enfants. Elles écrivent dans leur journal qu’ils crient, pleurent, au début, mais qu’au bout d’un moment ils ne parlent plus. (…)
Elles racontent l’impossibilité de porter secours. Des enfants de tous les âges, certains d’à peine un an, jusqu’à treize, quinze ans, atteints de dysenterie et subissant les épidémies de rougeole, la diphtérie, ainsi que l’impétigo, une bactérie qui attaque la peau en laissant des plaies suppurantes. Ils mangent de l’herbe, demandent encore où sont leurs parents puis ne demandent plus rien. Vomissent. Se grattent la peau irritée par les poux.
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Pendant les deux mois où elles sont internées à Beaune-la-Rolande, quatre convois, numérotés 40, 42, 44 et 45, partent de Drancy et arrivent à Auschwitz-Birkenau – faisant plus de quatre mille morts. Pendant qu’elles sont à Lamarck et à Guy-Patin, entre février et mars 1943, il n’y a pas moins de huit convois, c’est-à-dire plus de huit mille morts, parmi lesquels leurs onze camarades de chambrée arrêtées le 11 février, et peut-être d’autres qu’elles connaissaient. Andrée me dit : « Il y avait constamment des rafles. Voilà, et c’étaient des Français qui venaient nous chercher en général. En fait ils venaient compléter les wagons, avec des enfants. C’était ça, le truc. Et j’en ai vu, donc, j’ai vu des rafles d’enfants à Lamarck, j’en ai vu à Guy-Patin, à Vauquelin. » Pendant l’été 1943, quand Andrée et ses sœurs ne vivent plus dans les mêmes foyers, partent encore trois convois, qui font à nouveau plus de trois mille morts.
Andrée ne voit pas ces quinze mille morts, seulement le temps qui passe, et les enfants qui disparaissent. Le 13 août, elle écrit dans son journal : « Quant à moi, c’est décidé, je ne resterai pas. » Et aujourd’hui encore, à moi qui la regarde en cet été 2020 par-dessus les albums de photos, les ouvrages d’archives, les lettres et les devoirs d’école : « Y a des moments, il faut se remuer. »
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À partir de juin 1944 et du débarquement en Normandie, Brunner a peiné de plus en plus à arrêter des juifs et à former des convois de mille personnes qu’il pourrait déporter. C’est à ce moment-là, à l’approche de la libération de Paris, qu’il a décidé de mettre la main sur tous les enfants qui restaient dans les centres de l’UGIF. Deux nuits sont nécessaires pour faire le tour de tous les centres, à Paris et en banlieue.
Dans certains récits et témoignages de la rafle du 21 juillet, Alois Brunner est présent dans un des deux bus qui maraudent. Il est là en personne pour aller chercher les enfants, mais cette information n’est pas tout à fait sûre. Il n’y a pas eu de compte-rendu de la rafle, et les témoignages ne sont pas tous concordants. Qu’il soit présent sur place pour récupérer les enfants matérialise une autre réalité, qui elle est incontestable : son acharnement à faire des victimes alors que la défaite nazie est acquise.
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Videos de Cloé Korman (12) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Cloé Korman
Dans son récit Les Presque Soeurs, Cloé Korman enquête sur le destin de six petites filles, menées de camps d'internement en foyers d'accueil en 1942, alors que leurs parents ont été déportés. Elle reconstitue leur parcours dans un roman à la fois historique et intime, en détaillant ses recherches pour retracer l'errance et le destin poignant des trois cousines de son père et de leurs amies. le récit alterne avec des chapitres saisissants qui donnent à voir l'horreur à hauteur d'enfants. Pour évoquer la dimension mémorielle de la littérature et l'histoire d'une rafle qui incarne l'atrocité de la Deuxième Guerre mondiale, Cloé Korman sera en discussion avec Laurent Joly, historien spécialiste du régime de Vichy et auteur de la Rafle du Vél d'Hiv. Dans cet essai paru en 2022, il analyse l'arrière-plan administratif et logistique d'une opération policière emblématique et monstrueuse.
Cloé Korman est l'autrice des Hommes-couleurs (Seuil, prix du Livre Inter 2010), des Saisons de Louveplaine et de Midi (Seuil, 2013 et 2018). Elle a également publié un essai en 2020, Tu ressembles à une juive.
Directeur de recherche au CNRS, Laurent Joly est l'auteur de plusieurs livres sur l'antisémitisme et la Shoah en France dont La Solution finale (Grasset, 2006), L'antisémitisme de bureau (Grasset, 2011) et La Falsification de l'histoire (Grasset, 2022). Son essai La Rafle du Vél d'Hiv a obtenu le prix François Mauriac 2022.
Retrouvez notre dossier "Effractions 2023" sur notre webmagazine Balises : https://balises.bpi.fr/dossier/effractions-2023/ Retrouvez toute la programmation du festival sur le site d'Effractions : https://effractions.bpi.fr/
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