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4,06

sur 1199 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Le grand cahier" est le premier tome de "la Trilogie des jumeaux". Je conseille à ceux et celles qui veulent se lancer dans cette lecture de n'acheter, au départ, que le premier tome afin de se faire une idée. Pourquoi dis-je ça, moi qui aime toujours avoir les séries complètes sans même les avoir lues ? Tout simplement parce que ce livre est dur, violent, et ne laisse pas le lecteur indifférent. Impossible de ne pas réagir face à cette avalanche de cruautés, de monstruosités en tout genre. Nous sommes à des milliards d'années-lumière de la Comtesse de Ségur et des bêtises de tous ses personnages.On lui avait reproché un certain sadisme d'ailleurs. Mais ce n'est rien à côté de ce que vous allez lire ici. Quant à ceux qui ne supportent pas le style de Jean Teulé, le considérant comme trop cru dans ses propos, inutile d'ouvrir ce roman. Car Teulé à côté, c'est gentillet !

Alors vous allez me dire que ce n'est pas la première fois que vous lirez quelque chose de choquant. Certes. Mais là, ce qui fascine et révulse à la fois, c'est que toute cette violence touche des enfants et lorsqu'on en arrive aux pires instincts, sexuels ou mortifères, on ne peut pas rester de marbre.

Je crois qu'il faut voir là à quel point l'être humain, qu'il soit adulte ou enfant, peut devenir le plus abject possible dans certaines situations. Ici, le décor est la guerre. Mais il ne sert que de prétexte pour mettre en relief les différents tableaux de la déshumanisation.

La narration sert le récit : elle se veut objective, faite par les enfants. C'est également ce qui marque ici.

Personnellement, j'ai apprécié la force de ce roman et je vais acheter les deux autres tomes car bien loin de m'arrêter à quelques scènes terribles, je veux savoir jusqu'où pourront aller ces deux enfants devenus des monstres. Ce livre invite le lecteur à réfléchir et je crois que par les temps qui courent, ce n'est peut-être pas plus mal.

Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Dans un pays en guerre, une femme décide de confier ses deux jeunes garçons, des jumeaux, à leur grand-mère qui vit à la campagne et qu'ils n'ont encore jamais vue. La vieille femme, surnommée par les villageois « la Sorcière » voit d'un mauvais oeil l'arrivée de ces deux nouvelles bouches à nourrir et ne se prive pas pour leur mener la vie dure. Brimades, punitions corporelles, injures, tout est bon pour leur apprendre l'âpreté de la vie. Très vite, les jumeaux, dotés d'une intelligence exceptionnelle, comprennent qu'ils vont devoir travailler pour remplir leur assiette et s'endurcir pour s'adapter à la violence du monde.


Dans un grand cahier, ils consignent leurs journées avec leurs rencontres, leurs observations et leur apprentissage personnel. Ils s'imposent à chacun des exercices extrêmement durs pour renforcer leur résistance à la douleur, au froid et à la faim. Les notions d'amour et de tendresse, jugées parfaitement subjectives et inutiles, sont très vite oubliées au profit du pragmatisme. Pour survivre à la violence quotidienne, les jumeaux vont devoir se créer leurs propres codes. La débrouille et la nécessité l'emportent alors sur la morale…


Quel choc ! Je ne m'attendais vraiment pas à lire un récit sur l'enfance aussi dur et violent ! D'ailleurs, c'est la description de cette enfance qui n'en est pas une qui perturbe autant. le récit, qui prend la forme d'un cahier, est toujours raconté à la première personne du pluriel. Les enfants, bien qu'étant deux, ne forment qu'une seule et même entité et s'expriment exclusivement par ce « nous » omniprésent. On ne connaît ni leur âge, ni leur nom (à moins de lire la quatrième de couverture…), mais on les devine très jeunes (peut-être 8 ou 9 ans) et très en avance sur leur âge. Enfants de la débrouille, ils jugent ce qui les entoure avec un regard particulièrement acéré, qui peut faire froid dans le dos. Leurs actes sont principalement poussés par la nécessité, mais une certaine cruauté demeure, liée à cette absence de morale et au désir de ne plus souffrir et donc de se couper de leurs émotions.


L'horreur est racontée avec beaucoup de froideur, de distance et d'objectivité, comme on décrirait un évènement anodin, ce qui tend à la rendre encore plus sordide. Scènes de zoophilie, de pédophilie, de masochisme et de tortures composent ce grand cahier. le dégoût et la révolte se mêlent à une fascination morbide et un désir de savoir comment les deux enfants vont grandir dans cet univers violent et malsain. Les chapitres sont très courts et se dévorent avec une avidité mêlée de malaise. L'écriture d'Agota Kristof est hypnotique, incisive, fascinante, addictive. On y prend goût, à tel point qu'une fois le premier tome de cette trilogie refermé, on a qu'une envie : se procurer la suite ! Un roman bouleversant, perturbant qui nous livre l'histoire d'une enfance brisée et d'une innocence perdue.
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Un petit chef d'oeuvre que ce court roman (et la trilogie au complète, d'ailleurs). L'autrice y joue avec la forme d'une façon extrêmement travaillée de façon à rendre le fond complètememt immersif.

Aussi, c'est trash. Très trash.

Le Grand Cahier est le journal intime de deux frères à la relation fusionnelle et troublante. Ils vivent chez leur grand-mère, personnages abusifs, pour fuir en campagne la guerre qui gagne la ville (on est quelque part on Europe de l'est, d'où Kritof est originaire). Tout est sale et misérable. Dans le Grand Cahier, les frères travaillent une écriture épurée dont nous suivons le développement au fil de la lecture. Les évènements à glacer le sang y sont raconté sur un ton banal et indifférent. On s'y demande si les frères sont de vrais psychopathes, ou si le cahier est le mensonge qu'ils se racontent pour se faire croire qu'ils tiennent le coup.

Le premier roman se lit très bien tout seul. Je le conseille fortement. Et l'envie de lire les autres vient d'elle même.
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"nous disons: nous ne jouons jamais. Nous travaillons, nous étudions, nous faisons des exercices..."

Je me suis régalé de ces deux jumeaux qui peuvent avoir dix ans dans un pays qui pourrait être la Hongrie à la fin d'une guerre qui serait celle de 40.
Comme il n'y a plus rien à manger leur mère les a menés chez la grand-mère, immonde sorcière, qui pourrait avoir tué son mari et qui les appelle "fils de chienne".

Les habite une incroyable force, une extrême droiture que seuls des jumeaux peuvent concevoir.
Il y a de la retenue, de la densité, comme leurs 'exercices' pour recevoir des coups, des injures, savoir mendier, jeûner, tuer, rester immobile, être sourd, muet ou comme le chantage chez le curé mais juste assez pour que la pauvresse 'Bec-de-lièvre' puisse passer l'hiver.

C'est parfois cru, terriblement vrai, mais c'est géant.
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Formidable premier volet de – La trilogie des jumeaux – que – le grand cahier – d'Agota Kistof !
Ce livre magistral sorti en 1986, outre le fait d'être un chef-d'oeuvre littéraire traduit en 33 langues, transposé au cinéma, joué au théâtre à travers le monde...et récompensé dès 1987 par le Prix littéraire européen d'ADELF, a eu un impact majeur et inattendu - dont vous avez peut-être entendu parler – dans l'actualité de notre pays à la fin de l'année 2000.
Le 28 novembre de cette année-là, Libération titrait : "Prurit puritain à Abbeville autour du – Grand cahier -... un prof poursuivi par des parents à cause d'un livre."
De quoi s'agissait-il ?
Alors que le roman est apparu depuis sa publication au programme de plusieurs lycées et collèges, encouragé en cela par le CNDP ( Centre national de documentation pédagogique ) pour lequel l'oeuvre est un classique, un jeune professeur de français du collège Millevoye d'Abbeville ( ville près d'Amiens )âgé de vingt-six ans, enthousiasmé par le roman d'Agota Kristof, le fait acheter par les parents de ses élèves de 3ème dans l'intention fort pédagogique de montrer à ces jeunes gens "comment la littérature peut dire la guerre".
Tollé, "la bourgeoisie réactionnaire" ( pour reprendre encore des propos de Libé et du Monde ) se rebiffe, porte plainte contre l'enseignant pour "apologie de la pornographie".
Selon le magistrat en charge de la procédure, le contenu en question porte sur trois scènes litigieuses : une scène de zoophilie et deux scènes de fellations...
Le 23 novembe, le professeur escorté par trois policiers est placé trois heures en garde à vue, son logement est perquisitionné.
Commence alors une affaire de portée nationale dans laquelle vont s'affronter les syndicats enseignants, la LDH ( Ligue des Droits de l'Homme ), le FN ( Front National ), la Justice, la police et même l'ex-ministre de l'Éducation nationale...Jack Lang.
Car certains voient dans cette affaire la main dissimulée de l'extrême droite.
L'enseignant est innocenté mais on réclame pour lui une autre affectation...
Ce rappel des faits qui m'a fait penser aux remous causés aux USA par – La Vague – de Tod Strasser ou plus près de nous - avec le terrible dénouement que l'on sait - les "caricatures" proposées comme thème de réflexion par Samuel Paty... pour dire à quel point "le problème avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des "autres"...

Et dans ce roman il est justement question de morale ou comment l'amoralité est nécessairement source d'immoralité...
Dans un pays qui n'est pas nommé ( je l'ai situé en Hongrie ), à une période qui n'est pas datée – mais l'on déduit très vite que nous sommes vers le milieu de la Seconde Guerre mondiale -, une jeune mère fuyant les bombardements de la ville préfère se séparer temporairement de ses deux fils jumeaux d'à peine dix ans, et les confier à sa mère qui vit dans un village à la campagne.
Les deux femmes ne s'aiment pas ; elles ne se sont pas vues depuis dix ans.
La mère promet qu'elle écrira régulièrement et enverra de l'argent.
Sa mère recueille "contrainte et forcée" ses deux petits-fils qu'elle ne connaît pas.
La grand-mère surnommée "la Sorcière" depuis qu'elle est soupçonnée d'avoir empoisonné son mari, est laide, méchante, avare, sale, analphabète, vulgaire et totalement dépourvue d'empathie.
Au lieu de les appeler par leurs prénoms, Claus et Lucas, elle ne va cesser de leur donner du "fils de chienne".
Les jumeaux livrés à eux-mêmes vont devoir s'appuyer l'un sur l'autre pour se défendre et survivre dans un univers qui leur est hostile.
Pour cela, il vont s'efforcer de se construire leur propre système de valeurs fondé sur une absence de morale tout à fait involontaire.
Confrontés à la déscolarisation, à la misère, à la faim, au froid, à la violence, à l'hypocrisie, au mensonge, à la délation, à la lâcheté, à l'antisémitisme,à la perversité et à l'absence de tabous transgressés par la guerre, ils vont apporter à l'âpreté de cette vie dans laquelle ils ont été jetés sans qu'on leur demande leur avis, une réponse sous deux formes.
Un grand cahier et des exercices d'endurcissement censés leur apprendre à supporter la souffrance.
La souffrance physique ? Ils vont se donner des coups jusqu'à ne plus rien sentir.
Les insultes, l'humiliation ? Ils vont se traîter l'un l'autre avec les pires mots jusqu'à devenir indifférents à ces mots avilissants.
La faim ? Ils y répondent par la pratique régulière du jeûne.
La cruauté ? Ils commencent par égorger un poulet...et ce n'est qu'un début...
Ainsi en va-t-il de même pour le vol, le chantage, la mendicité, la cécité, la surdité, le silence etc...
Le "grand cahier" est le complément "théorique" de leurs exercices pratiques.
" Pour décider si c'est "Bien" ou "Pas bien", nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie, Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons.
Par exemple, il est interdit d'écrire : "Grand-Mère ressemble à une sorcière" ; mais il est permis d'écrire : "Les gens appellent Grand-Mère la Sorcière."
Il est interdit d'écrire : "La Petite Ville est belle", car la Petite Ville peut être belle pour nous et laide pour quelqu'un d'autre.
Nous écrivons : "Nous mangeons beaucoup de noix", et non pas : "Nous aimons les noix", car le mot "aimer" n'est pas un mot sûr, il manque de précision et d'objectivité."aimer les noix" et "aimer notre Mère", cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche, et la deuxième un sentiment.
Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s'en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c'est-à-dire à la description fidèle des faits."
Pour compléter leur apprentissage, ils ont un dictionnaire et la Bible. Bible qu'ils apprennent par coeur, non pas que la foi leur a été révélée... ils ne croient que ce qu'ils voient... le dictionnaire vient de leur père, la Bible, ils l'ont trouvée chez leur grand-mère.
"La Sorcière" héberge un officier et son ordonnance. Quelquefois l'officier reçoit son "ami".
À côté de la maison de leur grand-mère vivent une mère aveugle et sa fille affectée d'un bec-de-lièvre et qu'on appelle Bec-de-Lièvre.
Bec-de-lièvre est une gamine privée d'amour. Elle dit : "il n'y a que les animaux qui m'aiment"...
Elle et sa mère sont miséreuses. Pour survivre, la jeune fille emprunte contre caresses de l'argent au curé ou vend sa bouche à ceux qui ne sont pas trop regardants.
Chez le curé, il y a une servante très "serviable".
Alors entre un officier homosexuel masochiste et fétichiste, une gamine que n'aiment que les animaux et une servante prête à servir deux angelots mineurs, les jumeaux vont découvrir la zoophilie, le masochisme, l'ondinisme, la pédophilie.
Se focaliser sur ces moments-là du roman est à mon sens une grave erreur de lecture.
C'est la guerre, et dans la guerre il n'y a plus de tabous.
Comment des parents ont-ils pu s'offusquer et parler d'apologie de la pornographie quand dans ce roman on torture, on déporte, on assassine, que les charniers s'amoncellent et qu'un régime que l'on suppose être celui des nazis va être remplacé par son frère jumeau que l'on se représente comme étant stalinien ?

Comme je l'ai dit pour commencer, ce roman est un très grand roman.
C'est le roman du NOUS contre le monde entier.
C'est un roman sur l'enfance dans la guerre... sur ce que la guerre peut faire des enfants de la guerre.
Les sortir de l'enfance pour en faire...
Glaçant par les faits évoqués, glaçant par le choix d'une écriture glacée, - le grand cahier – est ue histoire bouleversante en cela qu'elle montre comment deux jeunes enfants beaux, sains, intelligents, jetés dans la tourmente de la guerre peuvent à leur corps et à leur âme défendant devenir l'image de la guerre.
C'est bouleversant, dérangeant, intrigant, questionnant, envoûtant...
C'est un livre terrible et magnifique !
PS: j'ai commandé les deux derniers volets de - La trilogie des jumeaux -...

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Il y a des textes que l'on lit les yeux fermés, tendu, en éveil, pour ne pas voir afin de tout comprendre, et l'inverse. Surtout l'inverse, plus facile.
Voilà ce qu'offre ce texte brut, au cordeau, sec jusqu'à l'os, sans échappatoire. Même pas celle des artifices de la langue puisque c'est l'oeuvre d'une auteure d'origine hongroise qui nous fait l'offrande d'un français nu, né de son exil.

C'est la guerre. La Mère confie ses jumeaux à la Grand-Mère, qu'on dit sorcière pour sa méchanceté, qui vit en dehors du monde des hommes, repliée sur ses griffes. Elle prend les enfants et les laisse pousser, sans soins.
Et ils poussent, seuls. Ils regardent le monde et les agissements des hommes qui les entourent, ils étudient, ils comprennent. Ils apprennent par coeur, seuls, des passages de la Bible, seul livre en leur possession. Ils s'adaptent, ils s'endurent à oublier la mère, ils survivent. Ils mentent, ils volent, ils tuent. Ils ne jouent pas, ils ne demandent pas, ils ne prient pas.

Dire que ce livre est dérangeant est insuffisant, il faut aller plus loin. Il s'achève sur une suite que je vais m'empresser de lire, autant pour savoir où l'auteure veut en venir que pour tester mes limites dans un univers dénué de toute morale convenue.

En attendant, la force de frappe de ce court livre me fait encore très mal au ventre.
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EPOUSTOUFLANT !
Dans la Grande Ville la guerre fait rage. Pour l'éviter, une femme dépose ses deux jumeaux chez leur grand-mère à la campagne. Celle-ci, vieille femme méchante, sale et avare, les admet tout juste chez elle. Les deux enfants, livrés à eux-mêmes, apprendront à surmonter le froid, la faim et les cruautés quotidiennes dans un pays dévasté.
Le « Grand Cahier » est celui dans lequel les deux enfants s'astreignent à rédiger avec la plus grande objectivité possible leurs découvertes et leurs apprentissages.
Par exemple, « Il est interdit d'écrire : « la Petite Ville est belle », car la Petite Ville peut être belle pour nous et laide pour quelqu'un d'autre ».
Les deux enfants, monstrueux et fascinants, rejettent ainsi toute morale voire toute valeur et, bien malgré eux, se construisent les leurs.
Ce récit froid et factuel projette de plein fouet le lecteur dans la réalité de la guerre.
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Impression rare de lire quelque chose qui ne ressemble à rien de déjà lu. D'abord, tout est raconté par un nous, deux jumeaux qui ne se distinguent jamais l'un de l'autre, comme s'ils ne formaient qu'une seule personne, qu'une seule voix, double et une. Puis, tout est décrit sans le moindre écart émotif, sans le moindre effet pathétique, sans le moindre sentiment exprimé. Cela pourrait être froid. Cela ne l'est pas. L'humanité de ces deux sauvages d'enfants recueillis par une grand-mère, sorcière qui perd petit à petit, sans crier gare, son hostilité et sa rudesse, nait au fil des pages, sans que leur cruauté et leur cynisme ne disparaissent, revenant même dans toute leur splendeur à la toute fin du bouquin. le climat ignoble de la guerre et de la terreur totalitaire (on devine qu'on se trouve à la fin de la Deuxième Guerre mondiale quelque part dans un pays de l'Est) est rendu, naïvement mais d'une naïveté fausse, dans sa plus crue expression. Rien n'est épargné au lecteur, ni les obus, ni les perversions, ni la violence (celle des mots d'abord), ni la pauvreté crasse. Les deux narrateurs, qui se blindent contre toute faiblesse, évitent l'apitoiement dû aux enfants. Ils ne sont pas des victimes, ou plutôt ne se reconnaissent pas comme tels. Ils embobinent tout le monde, jusqu'au lecteur, qui, finalement, ne sait pas quoi penser d'eux (tiens, j'avais écris "deux"...), car, hors de toute morale, ils sont pourtant attachants, renforcés et détruits par la guerre, mystérieux.
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C'est la guerre, la ville est bombardée, le père est absent, une mère qui ne peut plus nourrir ses enfants Klaus et Lucas les confie à leur grand-mère qui vit à la campagne. Les jumeaux se retrouvent alors chez une vieille femme surnommée la sorcière par les autres villageois, elle est dure, radine, et très vite les jumeaux cherchent à apprendre à tout supporter et à s'en sortir par eux-mêmes. le texte est dur, cru, cynique, il montre les dégâts que des situations inhumaines, la guerre ici, peuvent faire sur des enfants. La narration, froide, factuelle comme le cahier des jumeaux, minimaliste, sert totalement le propos. Aucune des émotions des jumeaux ne transparaît. Aucune ? Il faut bien qu'il y en ait eu au départ pour qu'ils cherchent à s'endurcir à ce point. Et pourquoi vouloir punir la servante du prêtre s'ils n'ont pas trouvé odieuse son attitude face aux déportés ? En fait ils sont hors de la société humaine, pas amoraux, mais avec une autre morale, dictée et forgée par l'instinct de survie. Cela fait froid dans le dos, d'autant que c'est tout de même le monde autour d'eux qui en a fait ce qu'ils sont, des monstres qui cependant ne font à aucun moment le mal gratuitement, par plaisir, et cela met le lecteur d'autant plus mal à l'aise car, bien sûr, il est impossible pour autant de leur donner raison. le grand point fort du récit est d'en faire une leçon hors du temps et de l'espace : rien ne permet de situer les pays en guerre ni l'époque de cette guerre. Elle est constamment présente, mais les causes de ce conflit importent peu, ce qu'Agota Christof veut nous dire a une portée universelle et intemporelle. Et c'est réussi, ce récit glacial prend aux tripes.
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Ce court roman est tout à fait étonnant ! Agota Kristof, hongroise exilée en Suisse, faisait partie des auteurs que j'avais très envie de découvrir, et j'ai profité d'une visite à la bibliothèque municipale pour emprunter "Le Grand Cahier", premier tome d'une trilogie consacrée aux jumeaux Klaus et Lucas. Je n'ai pas été déçue, puisque j'ai découvert une oeuvre d'une force insoupçonnée, simple en apparence, mais au contenu particulièrement glaçant.

Ames sensibles, s'abstenir ! Il s'agit d'un roman très dur et sans concession. L'auteur a pris le parti de relater des faits bruts, dans un style dépourvu de toute émotion. Les deux enfants se soumettent mutuellement à de terribles épreuves, se rendent parfois coupables des pires méfaits envers autrui, mais ne portent aucun jugement de valeur sur leurs actes. Leur récit semble presque anodin, les phrases courtes et le vocabulaire simple contrastant avec la dureté du propos. On est frappé par le détachement avec lequel les jumeaux racontent leur enfance meurtrie, qui bascule parfois dans l'horreur la plus complète, avec la guerre, les bombardements et les déportations en arrière-plan.

Agota Kristof dresse le terrible portrait de deux enfants cruels et malfaisants, imperméables à tout sentiment humain, qui se blindent contre les horreurs de ce monde en s'infligeant l'un à l'autre les pires souffrances. Ils se préparent ainsi à surmonter la douleur, ce qui se révélera particulièrement utile lorsqu'ils se verront torturés par un officier à l'occasion d'un interrogatoire "musclé". Remarquablement intelligents, les jumeaux font preuve d'une maturité effrayante, et n'ont rien à envier à leur Grand-Mère en termes de monstruosité (j'ai parfois songé aux charmants petits blondinets du Village des Damnés). Complices en toutes circonstances, ils n'hésitent pas à recourir à la violence lorsque cela leur semble juste, et se montrent en revanche étrangement disciplinés lorsqu'il s'agit de parfaire une éducation académique à leurs yeux encore trop fragmentaire.

De surprenants personnages, donc, qui symbolisent parfaitement les maux de leur époque. Leur inhumanité peut être imputée à des conditions de vie difficiles, ainsi qu'au poids d'un environnement universellement violent. La nourriture se fait rare, et chacun lutte pour sa survie, dans un pays sans nom dont on suppose qu'il pourrait s'agir de la Hongrie. La guerre est synonyme de déracinement, de séparation, et le comportement des jumeaux ne fait que refléter de façon extrême les dérives d'un monde devenu incontrôlable. le roman laisse entrevoir en filigrane les ombres macabres des nombreux destins brisés par le conflit mondial, et aborde de façon remarquablement subtile des thèmes comme le viol, l'exil ou la torture.

J'ai été totalement absorbée par ma lecture jusqu'au dénouement, terrible, qui clôt magnifiquement cette oeuvre poignante, qui fut pour moi une vraie révélation. Je lirai bien sûr dès que possible "La Preuve" et "Le Troisième Mensonge", les deux autres volumes de la trilogie.


Brillant et saisissant. Coup de coeur !
Lien : http://leslecturesdeleo.blog..
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