Citations sur L'annonce (74)
On avait peu à dire quand il fallait, d'abord, vivre ensemble, le matin le soir, se toucher, s'attendre, se craindre, s'apprendre.
Elle n'avait rien connu d'autre et comprit à Nevers en novembre et plus encore en janvier qu'il faudrait tout inventer. Les corps aussi, les corps surtout.
Nicole et les oncles étaient d'une autre eau. Eussent-ils perçu le plus mince écho des affres violentes traversées par cette femme et ce garçon dont Paul imposait la présence en leur pré carré qu'ils se fussent battus, becs et ongles, sans merci ni répit, pour expulser les créatures étrangères, les corps impurs, et conduire à résipiscence le frère égaré, Paul, le maillon faible. Une guerre couvait, qui, pour rester sourde, n'en serait pas moins longue et difficile, guerre d'usure et de patientes tranchées.
À quarante ans il s'était réveillé, calme et résolu. Résolu à ça, à cela seulement, il aurait une femme à Fridières, une femme avec lui, à son côté pour les jours et les nuits pour vivre et durer. Il était Paul, on ne l'empêcherait pas; on, les autres, personne ne l'empêcherait. Cette femme, Anette, de Bailleul, du Nord, écoutait ; elle était pour lui.
Le maître avait demandé aux élèves d'écrire en un seul mot précédé du verbe faire ce qu'ils voulaient devenir plus tard, il avait répondu, de son écriture lente et ronde, heureux. Faire heureux; Toute l'école s'était régalée de ce mot; Annette et sa mère avaient été fières, et rassérénées peut-être de deviner, derrière les silences d'Eric, désir, douceur, et confiance mêlés , noués, pas éradiqués ni ravagés encore, en dépit du patent désastre paternel.
En juin le pays était un bouquet, une folie. Les deux tilleuls dans la cour, l’érable au coin du jardin, le lilas sur le mur, tout bruissait frémissait ondulait; c’était gonflé de lumière verte, luisant, vernissé, presque noir dans les coins d’ombre, une gloire inouïe qui, les jours de vent léger, vous saisissait, vous coupait les mots, les engorgeait dans le ventre où ils restaient tapis, insuffisants, inaudibles. Sans les mots on se tenait éberlué dans cette rutilance somptueuse. C’était de tout temps, cette confluence de juin, ce rassemblement des forces, lumière vent eau feuilles herbes fleurs bêtes, pour terrasser l’homme, l’impétrant, le bipède aventuré, confiné dans sa peau étroite, infime. (p19-20)
On ne gratterait pas les vieilles plaies de solitude et de peur, on n'était pas armé pour ça, pas équipé : on s'arrangerait autrement
Rien ne devait déborder de la masse grumeleuse des peines anciennes et des humiliations incrustées
Annette regardait la nuit. Elle comprenait que, avant de venir vivre à Fridieres elle ne l'avait pas connue.La nuit de Fridieres ne tombait pas, elle montait à l'assaut, elle prenait les maisons les bête et les gens, elle suintait de partout à la fois, s'insinuait, noyait d'encre les contours des choses, des corps, avalait les arbres, lespierres, effaçait les chemins, gommait, broyait........
Elle avait senti au long d'elle le soir dans le lit sourdre de Paul cette tension nourrie des mille obstacles de chaque jour qu'il déposait comme il l'eût fait d'un vêtement usé.