Comment ne pas être bouleversée par ce livre? Par ce récit autobiographique, étiqueté roman, mais l'auteure elle-même, interviewée, reconnaîtra qu'il s'agit de sa propre vie.
Son étrange soeur, de 19 ans son aînée, dont elle retrace le parcours, on a dit qu'elle était atteinte de débilité, que c'était une handicapée mentale. Née fragile, elle présentera très vite un comportement jugé différent.Le texte se veut distancié, elle est nommée " La soeur", mais à chaque ligne, à chaque page, on sent toute la détresse , la souffrance de la narratrice. Traînée d'hospices ( on est dans les années soixante) en hôpitaux psychiatriques, lorsque ses crises ne permettront plus de la garder à la maison, sa grande soeur s'éteindra peu à peu, abrutie de médicaments et d'électro-chocs, elle qui était si forte physiquement, et pétillante à certains moments.
Le livre ne verse pas du tout dans le pathos, tout est pudeur, retenue, tension. Mais bien sûr l'émotion est palpable, les sentiments ambivalents de la petite soeur aussi: entre amour et rejet, étouffée par le débordement affectif brutal d'une aînée déroutante, tour à tour violente et d'une douceur enfantine. Et qui l'empêche de vivre. L'environnement familial est lourd de non-dits, d'esquives, de la part des parents, dans un quotidien breton marqué par la religion.
Et ce qui permet aussi à cette confession douloureuse de ne pas sombrer dans le noir, c'est la magnifique et lumineuse écriture, tout en nuances et délicatesse. Les deux dernières pages, fort poignantes, mettent à jour une révélation, devinée dès le début.
Un livre qui interpelle, fait frémir et provoque en nous compassion et tristesse. " On ne choisit pas ses sujets, ils s'imposent ." C'est la citation de Flaubert que l'auteure a notée, en exergue. J'espère que les mots ont permis à Marie le Gall d'apaiser un peu un sujet si difficile, qui a pesé sur toute son existence.
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Une soeur (très) aînée, sur laquelle une chape de plomb et de mensonges est posée dans l'histoire familiale. Une soeur différente, qui fait honte et dont on ne parle pas.
La narratrice (puisque ce livre est nommé roman, jouant encore une fois sur l'ambiguïté des récits pseudo personnels) s'aventure en aveugle sur les traces d'un passé silencieux pour comprendre les raisons médicales, le comportement parental, et le parcours de "La Soeur" à la fois si proche et inaccessible.
Cette "innocente", qui va devenir immaîtrisable, et qu'on éloignera pour le bien de tous, à défaut du sien propre.
Les faits se situent dans les années d'après-guerre et la narration se poursuit sur une cinquantaine d'années.. Les souvenirs se mêlent à de possibles interprétations. Car ce qu'on ne sait pas est imaginé, interprété. le récit se fait lyrique dans son approche psychologique, use de nombreuses métaphores. Il en est adouci, moins clinique, mais l'ambiance reste pesante et profondément triste.
À raison ...quand le voile se lève, que les faits semblent étayés et que le choix familial explique les raisons du silence de bretons taiseux.
Au fil des pages apparaît une introspection de la part de la "petite soeur", une véritable analyse de soi, mêlant les sentiments de pitié, de rejet, de culpabilité, de compassion et de désir de rédemption par son assistance contrainte mais assumée dans les dernières années de vie.
Roman puissant, infiniment sombre et remarquablement écrit, ancré dans l'identité bretonne, fière et chrétienne
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Je viens à l'instant de le terminer, et malgré ma pudeur imbécile, les larmes ruissellent.
Je dois faire une critique de ce livre sublime, magnifique, un roman amoureux et en même temps d'Amour..., mais, maintenant, là, tout de suite, presque dans l'urgence.
Ce livre m'a épuisé, lu en a peine deux jours. Épuisée émotionnellement parlant. Il n'aurait pas fallu qu'il y ait 50 pages de plus... . C'est dur, dense et ça percute. On s'en prend plein le coeur, plein l'âme.
C'est poignant. Marie le Gall n'écrit pas, elle hurle, elle crie son amour à cette grande soeur si étrange. le style est incisif, rapide, efficace. On est secoué à chaque page, aucun moment de répit, c'est une lecture quasi addictive, j'aurai aimé tout prendre, tout surligner, d'ailleurs, j'ai publié beaucoup de citations, trop peut être...
C'est très poétique, presque un poème en prose.
La grande Soeur, comme l'appellera toujours l'auteure, car comme elle l'explique, l'article défini LA met comme une distance, a eu une enfance compliquée. Ce ne sont pas des bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau, mais un vieux sorcier (le médecin) qui dira "L'enfant ne naîtra pas vivant". On ne connaît d'ailleurs pas la cause de ce handicap mental que présente très jeune la Soeur.
L'enfant naîtra vivant, mais handicapé.
Marie la narratrice est la petite soeur, qui a 19 ans d'écart avec sa grande soeur. Elle semble être née pour "réparer"son aînée, rôle éminemment lourd pour une toute jeune enfant. Sa grande soeur l'aimera passionnément, l'écrasant presque dans ses bras vigoureux, et une fusion se crée entre les deux soeurs. Dangereuse la fusion...
Mais intéressons nous au titre.
Quid le titre ? Qu'a-t-elle d'étrange cette grande soeur ?
Étrange comme un secret à jamais enfoui dans les limites de la mémoire ? Étrange comme une femme qui aime trop ? Étrange comme tous ces mensonges, inventions et autres intuitions ? Étrange comme "le doute" exprimé à la toute fin du livre ? (Doute que, personnellement, j'ai ressenti bien avant la fin, et je crois que tout le monde y a pensé...).
Et enfin, étrange comme arrivant d'un autre pays, d'un autre continent ?
De la souffrance terrible de la Soeur, rien ne nous sera épargné. Ballottée d'asile en maison de retraite, elle sera même victime d'électrochocs. D'ailleurs, l'auteure nous dresse un portait peu flatteur de la psychiatrie dans les années 1970 (liens, violence, camisole, contentions et j'en passe).
Nous avons droit à de magnifiques descriptions de la Bretagne et de la mer (mère ?).
Cette grande soeur me rappelle celle de Colette dans "La maison de Claudine", cette soeur handicapée elle aussi mais bien plus calme que celle du livre qui nous occupe aujourd'hui.
Ce texte sublime m'ai fait penser à Grimbert et à son "secret", mais aussi à Camille Claudel que je vénère.
Quid de la petite Marie ? Passés les premiers jeux, une gêne et une grande souffrance se sont installées. Elle va très mal adulte (crises de dépersonnalisation, dépression, angoisses...). Elle a beaucoup de difficultés, plus âgée, pour accepter cette étrange soeur.
Pour moi, ce livre est de la même qualité littéraire que celui de Delphine de Vigan "Rien ne s'oppose à la nuit", un de mes livres préférés (voir ma critique si cela vous intéresse).
Et nous suivons pas à pas la descente aux enfers de la Soeur, et c'est bouleversant.
Il faut lire ce livre. Absolument. C'est une vraie pépite, pure, magnifique, rare.
J'aurai tant aimé l'avoir écrit.
Merci à Marie le Gall.
Son livre aurait bien mérité un grand prix litteraire, c'est indéniable. A suivre donc...
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A partir de photos, souvenirs et intuitions, l'écrivaine retrace le destin de sa soeur aînée internée en asile psychiatrique. Pudique et bouleversant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Dans ce « roman » noir et triste, Marie Le Gall dresse le portrait de deux sœurs, jusqu’à la fin.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Faut-il donc des êtres qui souffrent pour que les autres puissent goûter avec plus de délices leur misérable bonheur, savourer leurs joies dérisoires, s’empiffrer de leurs minuscules plaisirs d’un bout à l’autre de la vie ?
Pourquoi s’en être pris à cette jeune fille si belle sur son lit, depuis le début, depuis sa naissance et plus encore maintenant ? Elle a vingt-six ans. Les jeunes filles de son âge sont déjà des femmes, des épouses, des mères. Elle, elle est seule. Elle a compris. « Si j’avais été comme les autres… », murmure-t-elle souvent d’une voix frêle. Elle vit au conditionnel. Elle ne vit plus. Il ne se passera plus jamais rien. Elle restera ici pour toujours, dans ce dortoir, dans ce lit la nuit auprès des femmes à la peau sèche et ridée, aux cheveux gris ou blancs, qui traînent leurs savates sur le sol, prennent appui sur des cannes pour les plus vieilles. Il y en a même qui meurent, tout près. Alors, elle hurle de peur devant la bouche et les yeux ouverts qui ne voient plus. Et celle-ci qu’elle aimait bien, qui souffrait tellement, gémissait la nuit et ne pouvait plus se lever… Elle est partie un matin, de bonne heure. Oui, « partie chez le bon Dieu, au ciel ! », lui a-t-on dit.
Nous nous sommes tout de suite reconnues et il était écrit que j’allais obéir à tes ordres muets. Entraînée dans ta folie, je ne connaîtrai de la vie que ce que tu m’en diras, frontière entre le monde et moi.
Il suffisait d’un geste, d’un mouvement si singulier de ton corps, d’une inclination de ta tête et alors tout ce qui t’entourait cessait d’exister pour l’enfant que j’étais et qui avait capté le moindre dérangement de ta personne. Fascinée par ce que j’ignorais être ton drame, j’ai tout appris de ta vie, dans ton regard et dans celui des êtres qui te considéraient avec une pitié teintée de répulsion, une fausse compassion ou une réelle empathie parfois, avec surtout la curiosité des gens que l’on dit normaux et leur prétendue supériorité.
Dix-neuf ans, oui. Tu avais dix-neuf ans de plus que moi. Sans doute m’avais-tu tellement appelée dans ton exil sur la Terre, dans tes rêves ou tes prières ! J’ai fini par t’entendre. J’ai fini par naître. Ce fut comme si j’étais sortie de toi et non de notre mère. Jouets d’un destin absurde, deux sœurs unies dans un seul être, bancal, errant, perdu.
J'ai grandi dans ses bras, dans ses mains, sur ses genoux ou son coeur, sous son regard noir et pénétrant qui lançait des éclairs au moindre contact avec mon visage. Elle n'était plus seule, enfin. Elle n'avait pas de fiancé mais elle avait une soeur. La Soeur avait une soeur, si petite qu'on crut bien souvent qu'il s'agissait de son enfant.
Elle m'embrassait à m'étouffer. Je porte à jamais la trace de ses bras, et depuis sa mort, la douleur inscrite dans la poitrine et le dos, enclume sur le plexus solaire, étau qui se resserre au moindre trouble, à la moindre inquiétude, au moindre effort et même au moment d'une joie soudaine. Le souffle me manque, un long couteau me traverse. Assise ou allongée, j'attends, coeur et corps brisés, éprouvant cette fêlure incurable qu'elle m'a laissée en quittant la vie.
5 questions posées à Marie Le Gall, à l'occasion de la sortie de son livre La peine du menuisier (Phébus).