L'herbier des villes : Choses sauvées du néant

Un herbier, tout le monde voit à peu près de quoi il s'agit. Un herbier des villes serait ainsi constitué de fleurs et d'herbes poussant sur les trottoirs ? Presque ! puisque ce sont 40 + 1 objets du quotidien abandonnés sur nos trottoirs qui sont sauvés par Hervé le Tellier.
A chacun, ce membre de l'Oulipo, qui a reçu le prix Goncourt en 2020 pour L'anomalie, consacre un haïku (rythme syllabique 5-7-5 )Ainsi la canette de coca vide et cabossée est accompagnée du texte suivant :
"Dans ce réceptacle
cinq cent trente et quelques
bulles
qui sont déjà mortes "On vous laisse découvrir le jeu de poésie urbaine suscité par le paquet de cigarettes vide, la capote, le téléphone portable, le ticket de cinéma, la boucle d'oreille unique et autres objets abandonnés.Cet herbier original publié pour la première fois en 2010 et aujourd'hui augmenté est un délice d'humour oulipien !

Lien : http://www.baz-art.org/archi..

N°1862– Avril 2024.

L'herbier des villes – Hervé le Tellier – Textuel.

J'ai pris ce livre un peu au hasard sur les rayonnages de la médiathèque, un peu aussi de confiance à cause du nom de l'auteur dont j'avais apprécié la très oulipienne « Anomalie » couronnée par le prix Goncourt 2020. J'ai cru avoir emprunté un livre pour enfants à cause des « illustrations » mais en réalité ce livre est le résultat d'une collecte que l'auteur a réalisée avec son fils en 2005 dans le 18° arrondissement de Paris, un peu en hommage au génial Georges Perec. Il a présenté le résultat de sa triste récolte d'objets abandonnés sur la chaussée avec des haïkus. A la réflexion, cela pourrait parfaitement être un livre pour enfants, pour les sensibiliser à une des incivilités qu'il vaut mieux éviter si on veut favoriser le « vivre ensemble » dont on nous parle souvent. Cela ne coûte effectivement rien de jeter dans une poubelle ces petits objets dont on veut se débarrasser plutôt que de les abandonner sur la voie publique. Par dérision ou par humour le Tellier à baptisé son livre du nom « d'herbier » comme ce qui nous était demandé jadis par les instituteurs pour apprendre les plantes de la nature. Cela consistait à présenter fleurs et herbes séchées dans un cahier documenté et ainsi apprendre par nous-mêmes ce qui composait notre environnement. C'est bien le nom qui convient en effet puisque nos trottoirs offrent tout un panel d'objets devenus inutiles qui font partie de notre décor urbain. On devrait même dire un « urbier » ! le haïku, par sa simplicité de rédaction (5-7-5) et surtout parce qu'il ne dit pas, convient bien à cette démarche négative, révélatrice d'un état d'esprit de plus en plus développé chez nos contemporains qui, se croyant tout permis, transforment aisément en décharge publique la moindre parcelle de territoire. La nature humaine est décidément peu fréquentable. C'est certes oulipien mais c'est aussi le rôle de l'écrivain d'être témoin de son temps !
C'est une sorte d'inventaire où on trouve pêle-mêle une collection qui va de cannettes écrasées, aux billets froissés de cinéma, en passant par les PV pour stationnement interdit, ou un foulard de soie où une femme a laissé son parfum…J'ai pensé que s'il avait fait un vrai herbier, rural celui-là, il aurait sans doute été moins fourni que celui que jadis les potaches studieux réalisaient puisque, à force de jeter des objets dans la nature, cette dernière a fini par dépérir à cause des détritus qu'on y déverse. C'est malheureusement le résultat de notre comportement qui détruit autour de nous la flore et la faune sauvages et on est fondé à se demander le but de tout cela et la raison de ce qui n'est pas autre chose qu'une volonté irrationnelle d'autodestruction.

OBJETS QUI FAÇONNENT NOTRE MONDE

Vous allez croire que les objets sont devenus ma nouvelle lubie mais hasard du calendrier il fallait vous parler de ce petit ouvrage. Avant de désigner bientôt le nouveau lauréat du prix Goncourt, celui de 2020, Hervé le Tellier voit son herbier des villes réédité en y ajoutant un objet. Qui d'autre que le masque FFP2 qui en dit tant sur l'époque que nous vivons. 41 objets trouvés avec son fils en balançant pour les faire parler. Qu'ont-ils à nous dire ? Ramassés avec précaution (sait-on jamais) ils sont classifiés après avoir été abandonnés par leur propriétaire temporaire. Sous la forme de haïkus, poème japonais composé de 5-7-5 syllabes, la poésie urbaine opère.

Page de gauche, l'objet en question, parfois écrasé, sali, abimé mais toujours noble sur le papier. Hervé le Tellier tel un herboriste vient y glisser une étiquette descriptive pour y déceler le lieu et l'intention.

Page de droite la poésie opère. Simple et efficace sans fioritures. Parfois drôle parfois philosophique. Ces objets nous ramènent à une certaine réalité. Celle d'un présent qui passe trop vite, chassé par les méandres du passé qui s'oublie.

En passant par le paquet de clopes, le papier d'un Lion jeté après s'être rassasié, le stylo abandonné après tant de mots couchés, la capsule d'un nespresso qui mettra des années à se recycler. Certains objets nous fascinent alors qu'ils demeurent immobiles, d'autres nous font penser à des souvenirs déchus ou enfouis. Ils remonteront. Forcément. Tôt ou tard. En jouant avec les sonorités, les syllabes, les mots, les sensations perdues, Hervé le Tellier fait d'un petit objet quelque chose d'intemporel. Espérons que les objets continuent de nous rendre poétique à souhait.

🩹On notera la qualité de l'ouvrage et des photographies qui renforcent clairement la beauté de ces objets communs.
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