L'historiographe du royaumeMaël Renouard
roman, Grasset, 2020, 330p
C'est l'histoire d'Abderrahmane Eljarib, né et mort la même année que le roi du Maroc,
Hassan II (1929-1979), amateur de golf, qu'il avait accompagné, bien qu'issu d'un milieu très modeste, dans sa scolarité au Collège Royal, sis dans l'enceinte du Palais royal à Rabat, parce qu'il était un très bon élève, et que le roi se souciait de diversité sociale. Il était alors âgé de 15 ans, avait de très bons résultats scolaires, jouait très bien aux échecs, et surpassait donc le futur roi. Il pouvait ainsi faire figure de rival. Les deux élèves avaient un professeur d'histoire, M.Delhaye, un ancien de l'Ecole Normale, de la promotion de
Georges Pompidou très doué pour les études, qui ouvrait l'esprit de ses élèves. le futur roi avait beaucoup de goût pour l'histoire. le narrateur, Abderrahmane, montre qu'il faut savoir composer avec Hassan, qui joue avec son entourage au jeu très cruel de distribution arbitraire de grâce et de disgrâce.
Abderrahmane, par la grâce du roi, poursuit ses études à Paris. Il rencontre
Sartre. Il écrit, notamment un recueil de
poèmes, Elégies barbaresques, qu'il adresse à
Senghor, qu'il aura l'occasion de rencontrer. Rencontre des plus superficielles.
Sans savoir pourquoi, Abderrahmane est relégué dans la petite ville quasiment déserte de Tarfaya, proche des Canaries, et connue pour avoir été une escale de l'Aéropostale, avec pour mission d'y installer une université, une fois que les territoires légitimes auront été restitués par les Espagnols. Ces derniers restent indifférents, et Abderrahmane se résigne à l'absurdité de sa mission qui dure 7 longs ans.
Mais voici que le roi le convoque au Palais ; il le fait attendre toute une après-midi, et ne le reçoit pas ; le lendemain, il lui octroie la charge d'historiographe du royaume. Des historiographes, il y en eut d'illustres en France, comme Racine et
Boileau au XVII°, et
Voltaire au XVIII° sous Louis XV, mais ce sont des historiographes du roi. C'est une charge qui tient de la complaisance, et offre une pension aux écrivains qui useraient mieux de leur temps en écrivant qu'en se traînant sur des champs de bataille pour être témoins des hauts faits du roi. Parmi les historiographes obscurs, on trouve un certain Nicolas Renouard. Cette fonction est bien typique de la France et de son intérêt pour la distinction, intérêt porté au plus haut par
Saint-Simon, qui représente la quintessence du style classique au tournant du XVIII°.
Cependant l'historiographe est aussi chargé des affaires culturelles, et à ce titre, Abderrahmane doit étudier s'il y a lieu de célébrer les trois cents ans du règne de 55 ans de Moulay Ismaël, un despote sanguinaire, dont le père est le premier à fonder la dynastie alaouite. Moulay Ismaël est comme un jumeau de
Louis XIV pour son charisme et son autorité. Paul Pellisson, qui pourrait être un double d'Abderrahmane, est un des historiographes de
Louis XIV. Ce dernier l'a fait sortir de la Bastille où il était emprisonné pour avoir servi Fouquet, et l'a nommé historiographe, parce qu'il était un « homme très savant et très éloquent » aux dires
De Voltaire qui ne lui reconnaissait pas de qualités littéraires. Abderrahmane s'établit à Meknès, dont Moulay Ismaël a fait sa capitale, pour parachever ses connaissances sur ce monarque absolu. Il y rencontre Morgiane, issue d'une très grande famille, qui milite contre la corruption des grands et la misère, de qui il s'éprend. Celle-ci lui reproche d'être loyal envers le roi et le fait qu'il avait sauvé ce dernier lors d'un attentat en prenant son identité, au lieu d'en profiter pour se débarrasser de lui, idée qui avait parcouru fugitivement l'esprit d'Abderrahmane. Il assiste ensuite aux festivités de Persépolis en l'honneur de la fondation de l'empire perse vieux de 2500 ans. Mais le roi, sur les conseils du général Oukfir, qui n'aime pas les poètes comme Eljarib, décide de ne pas donner suite à son projet de célébration du règne de Moulay Ismaël.
Abderrahmane apprend l'attentat dont a été victime le roi. Oukfir serait le traître. Un journaliste marocain dit que de toute façon tous les membres de l'entourage du roi ont un pied dedans, un pied dehors. Cependant, le roi le fait mander. Pourquoi ? Eh bien, pour qu'il prenne femme. Et il lui donne comme épouse Latifa, alias Morgiane. Quel rôle avait-elle donc joué ? Espionne pour le compte du roi ?
On retrouve trois décennies plus tard Abderrahmane à Paris, directeur-adjoint de l'Institut Arabe. Il remet à une jeune normalienne, la narratrice de l 'épilogue, son manuscrit qu'elle ne doit lire qu'après sa mort. Cette dernière l'oublie. Elle le retrouve par hasard alors qu'elle recherche les notes qu'elle avait prises sur
Saint-Simon et Les Mille et une nuits dans l'édition de Galland. Abderrahmane lui avait dit que
Saint-Simon était un baroque attardé. Elle apprend qu'Abderrahmane est mort en 1999, comme Hassan, et qu'il avait commis l'erreur d'une plaisanterie en se disant le jumeau hétérozygote du roi. Tiens, tiens, le « vieux maître »Delhaye -et l'emploi du mot maître et sa double acception embarrasse le professeur et son ex-disciple un moment, et arrête le lecteur qui verra d'autres significations à cet emploi- à qui Abderrahmane avait conté que vêtu d'un complet il s'était fait passer pour le roi qui se trouvait en tenue très décontractée, alors que les deux hommes ne se ressemblent guère, d'où l'expression de jumeau, parce que Delhaye pensait qu'il était né le même jour que le roi, hétérozygote, serait un mouchard du roi ? Et au fait, comment est mort Abderrahmane ? Quelle valeur alors prend son manuscrit ?
C'est un livre qui mêle des personnages historiques et de fiction. L'ouvrage est très documenté, voire érudit, et n'attirera pas donc tous les lecteurs. On y trouve des passages intéressants, le règne de Moulay Ismaël, l'histoire de Pellisson, le désert de Tarfaya, les fêtes de Persépolis, on y rencontre des personnages connus, on y voit Hassan et comment on se tient à sa cour, jusqu'à quel point on veut complaire au roi, comment on lui manifeste son obéissance et sa fidélité en l'embrassant sur le dos puis la paume de la main, et en approchant sa joue et son front de celle-ci ; la cour est un lieu d'intrigues et on ne sait jamais qui travaille pour qui ou pour quoi. Abderrahmane est un personnage trop passif pour être attachant, qui est sûr de sa supériorité intellectuelle, à l'image de l'auteur, ce qui parfois le perd quand il parle trop pour faire valoir son savoir. Cependant, il sait faire preuve d'auto-dérision, et tant mieux car l'auteur fait de
l'historiographe du royaume quelqu'un dont l'entourage ami, aimé, est à la solde du roi. de plus, le choix d'un style classique, ou d'historiographe du roi, ou d'élève de l'ENS, qui serait un double du Collèg Royal, ralentit le rythme, et lui donne une tenue qui interdit les écarts. du coup, le livre plaît mais davantage à l'esprit qu'au coeur à qui les classiques ne donnent pas la première place. Peut-être celui de
Saint-Simon eût-il davantage convenu.
Maël Renouard est né à Paris, en 79. Normalien, agrégé de philosophie. Il enseigne, traduit les oeuvres des philosophes allemands, s'occupe de cinéma. C'est une des anciennes plumes de Fillon.