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EAN : 9782864328612
311 pages
Verdier (11/03/2016)
3.79/5   7 notes
Résumé :
Si l’on retrouve dans ce roman un procédé cher à Lebedev, l’enquête, c’est surtout la chronique familiale qui est au centre du récit. L’apparition de la comète, qui invite le narrateur à interroger la vie de ses proches, est vue surtout à travers l’histoire de la grand-mère Tania qui en a été le témoin dans son enfance.
La grande histoire ne se laisse approcher que par l’écriture et ne montre jamais sa face monumentale. Au travers de l’intime et de l’infime –... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Chaque enfant est un enquêteur sur le sens caché de son univers. Mais dans l'Union Soviétique apparemment immuable de 1986, sur quoi peut porter l'investigation ? À moins que le retour de la comète de Halley cette année-là, et l'explosion de Tchernobyl, soient en effet des présages ?

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/26/note-de-lecture-lannee-de-la-comete-serguei-lebedev/

Une famille soviétique ordinaire, au milieu des années 80. Pas tout à fait ordinaire en réalité, mais c'est ainsi que la perçoit le jeune narrateur, se préparant à quitter doucement l'enfance pour l'adolescence, observateur fin de fort nombreux détails qui l'entourent, mais peu lucide alors en matière de situation économique et de privilèges éventuels. Entre un père ingénieur spécialisé, souvent appelé en mission aux quatre coins de l'Union, et une mère géologue spécialiste des catastrophes naturelles, c'est des franges de son éducation confiées de facto à ses deux grands-mères, franges sans doute minoritaires en temps passé, mais majoritaires en impression durablement laissée, que nous entretient essentiellement de ses minutieuses et feutrées enquêtes visant à découvrir ce qui, fatalement, obligatoirement, lui est caché des mystères du monde et de la famille. Est-ce grand-mère Tania, désormais discrètement issue d'une famille noble et n'ayant jamais au fond renié la religion, ou bien grand-mère Mara, authentique héroïne prolétarienne portant encore chevillés au corps les objectifs du Parti (ou encore – qui sait ? – toutes les deux malgré leurs intenses rivalités, et leurs blessures partagées, issues d'une deuxième guerre mondiale, siège monstrueux de Leningrad ou si sauvage luttes forestières de partisans, guerre encore bien présente dans leurs esprits, quarante ans plus tard, et par capillarité dans l'esprit du jeune investigateur), qui détiendraient les secrets des ultimes mystères qu'il s'agit de percer à jour ?

Si chaque enfant est un enquêteur sur le sens caché de son propre univers, sur quoi peut bien porter l'investigation, dans l'Union Soviétique apparemment immuable de 1986 ? À moins que le retour de la comète de Halley et l'explosion de la centrale de Tchernobyl ne soient en effet des présages de quelque chose…

Publié en 2014, traduit en français en 2016 chez Verdier par Luba Jurgenson, le deuxième roman de Sergueï Lebedev creuse avec une extrême habileté et une insigne gouaille paradoxale le sillon tragique ouvert avec son « La limite de l'oubli » en 2012, qui s'attachait, déjà sous forme d'enquête conduite par le narrateur, à la « découverte » du Goulag par d'innocents Russes contemporains de la fin de l'Union Soviétique (on songeait alors bien entendu au beau travail mémoriel réalisé aussi par Anne Brunswic avec son « Les eaux glacées du Belomorkanal » de 2009), en explorant à hauteur d'enfant extrêmement curieux les méandres d'une Histoire soviétique longtemps figée dans ses silences et ses mythologies.

Vrai-faux roman d'apprentissage, foisonnant et hilarant même et surtout pour évoquer des moments particulièrement tragiques de l'Histoire, mixant avec une ferveur enthousiasmante et néanmoins matoise les témoignages agencés de « La fin de l'homme rouge » de Svetlana Alexievitch aux émerveillements conducteurs du « Grand Meaulnes » d'Alain-Fournier, les liens telluriques secrets du « Solénoïde » de Mircea Cǎrtǎrescu aux chimères enfantines élaborées du « Voyage imaginaire » de Léo Cassil, les morts guettant leur pitance depuis leurs tombes du « Premier souper » d'Alexander Dickow aux noms héroïques imaginés du « Tchevengour » d'Andreï Platonov (revus et corrigés par une mécanique poétique parfois toute volodinienne), « L'année de la comète » est un grand roman fusionnel de pensée magique et de matérialisme dialectique, de démystification nécessaire et de respect paradoxal.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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1986 est une année décisive pour l'histoire : celle de la catastrophe de Tchernobyl qui précéda l'écroulement de l'URSS, comme système politique .L'action du roman de Sergueï Lebedev, L'année de la comète, se déroule cette même année : un jeune narrateur, l'auteur du roman, évoque des histoires familiales, des souvenirs personnels, comme extraits d'un album de photos sépia .L'évocation de ces souvenirs et événements les plus divers ne reste pas anodine très longtemps : ce jeune soviétique ressent le caractère double de sa vie : celle d'un « octobrien » un membre de l'organisation qui regroupait alors les élèves soviétiques de huit à dix ans, et sa vie cachée, intérieure, celle d'un garçon à l'ascendance incertaine « petit-fils et fils de personne . » Toute la vision du monde du narrateur va en être influencée pour le reste de ses jours : « J'étais même horrifié de la rapidité avec laquelle cet état s'emparait de ma conscience, de l'intensité avec laquelle je percevais ma singularité. »
Ce qui va conditionner largement le destin de ce narrateur, c'est l'origine de ses deux grands-mères : grand-mère Tania et grand-mère Mara.Elles concourent toutes deux à son éducation, mais d'une manière forte différente, presque complémentaire, eu égard à leurs origines :Mara est la paysanne, descendante de serfs .L'autre, Tania, noble de naissance, accepte la vie nouvelle tout en la rejetant intérieurement .Cette « mésalliance historique « n'est-elle pas le symbole de la Russie contemporaine ? Une difficile jonction du passé tsariste eu du présent révolutionnaire ?

Ce que montre Sergueï Lebedev, c'est que l'histoire se découvre et se déroule par l'évocation et la restitution d'éléments intimes, très personnels, confinant aux détails de l'existence, mais qui révèlent au final les caractères de l'histoire soviétique. Celle-ci, nous énonce Lebedev, est marquée par la résistance : celle de la vie intérieure, du libre arbitre que l'on dissimule, que l'on cache par une acceptation apparente du système, comme le fait son propre père : « Mon père accepta l'URSS comme un cadre de vie normal. Cette lourde construction (…) répondait à don besoin profond de vivre dans un temps arrêté. »
Autre aspect d'une société totalitaire mis en relief par Sergueï Lebedev : le mensonge, la réécriture de l'histoire : « L'URSS n'était qu'une imbrication d'images et de mythes emboîtés telles des poupées gigognes. A l'intérieur de cette construction, on pouvait toujours prendre pour la vérité les légendes de l'époque précédente qui accédaient au statut de « véritable passé »en vertu de leur ancienneté. »

Sergueï Lebedev nous livre par ce roman un portrait de l'homo sovieticus véridique, convaincant .Il s'inscrit dans la lignée des auteurs russes ayant déjà abordé le thème des dégâts du totalitarisme sur une société.
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Un des meilleurs livres des écrivains russes contamporains
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Oh, les longues soirées d’hiver ! Oh, l’apprentissage de la résistance au temps, à l’obscurité !
C’est au cœur de l’hiver, lorsque les jours raccourcissent, que je percevais la précarité de notre existence. Je sentais – ainsi agace-t-on du bout de la langue l’abcès sur la gencive – les paquets, les bocaux qui, blottis les uns contre les autres dans les placards de la cuisine, pesaient de toute leur masse sur les vis et les clous des étagères.
Ces réserves excessives de sel, de farine, de céréales, denrées de base qui avaient valu aux adultes un long piétinement – les files d’attente s’étirant tels des mille-pattes ou s’enroulant sur elles-mêmes tels des hippocampes, les centaines de semelles usées glissant sur le verglas dans cette promiscuité où germent les querelles, les silhouettes en manteaux de drap sombre obscurcissant encore le dense crépuscule du matin -, ces réserves qu’on eût cru constituées pour tenir en cas de guerre me disaient que la lumière des réverbères au-dehors, le tic-tac endormi de l’horloge, le cliquetis quotidien de la clé dans la serrure à sept heures du soir, tout cela pouvait cesser à tout moment.
Une duveteuse couche de givre recouvrait la vitre depuis plusieurs jours, et j’avais l’impression que nous vivions sur la banquise ; notre glaçon était encore solide, mais il fallait prêter l’oreille : n’était-il pas en train de se craqueler, un trou n’était-il pas en train de s’ouvrir, comme dans les livres qui racontaient les aventures des explorateurs polaires ? J’étais tout ouïe : j’interprétais le bruit des branches devant la fenêtre, le glouglou à l’intérieur des radiateurs, les voix provenant de l’appartement d’à côté.
C’était ma grand-mère Tania qui m’avait appris à tenir tête au temps et à l’obscurité. Laissant mes devoirs pour plus tard, je m’asseyais auprès d’elle à la table de la cuisine pour trier les céréales : le sarrasin, le millet, le riz. Il s’agissait de séparer de pur de l’impur, les graines à droite, les saletés à gauche. Parfois elle murmurait à part soi que chaque année, il y avait plus de déchets dans les céréales, puis de nouveau, je voyais s’agiter ses doigts rodés aux travaux minutieux : ravaudage, correction d’épreuves, points de couture, composition d’imprimerie.
Des radiateurs enveloppés de couvertures et de carton émanait une odeur de laine brûlante ; braquée sur la table, la lampe projetait une lumière brutale comme dans une salle d’opération. Mon attention, focalisée dès le matin sur les grands et petits carreaux des cahiers se dissipait, ma concentration cédait la place à une douce torpeur, à la fatigue accumulée à force de courir après les cours, à une tristesse transparente, décantée au fond de cette claire journée d’hiver.
J’avais l’impression de participer à une séance de divination. Une fois cuites, les céréales devenaient de la nourriture, l’ordinaire de l’homme. Crues, elles demeuraient la pitance des oiseaux, des animaux, l’offrande apportée aux défunts. Les graines rugueuses avec leurs facettes dures appartenaient encore au champ, à la terre, à un autre monde, les trier était comme y plonger les mains.
Ma grand-mère s’éloignait de moi. À ces instants, elle semblait appartenir aux deux univers à la fois : le gris de ses cheveux, les taches brunes qui parsemaient sa peau devenaient soudain des signes de l’au-delà.
Les graines étaient pour elles une sorte de chapelet. Mais elle ne priait pas : tel un médium, elle interpellait ceux qui étaient partis. Le spectre des jours du blocus qui avaient emporté ses soeurs, le spectre des combats où ses frères avaient disparu planait au-dessus de la table. Les céréales, principale richesse d’un siècle de famine, mesure de la vie et de la mort, devenaient des graines de la mémoire, le souvenir matérialisé. Grand-mère ne jetait pas celles qui étaient gâtées, comme si les ombres des morts, pour lesquels même ces déchets auraient constitué un trésor, pouvaient l’observer : elle les ramassait soigneusement et les mettait dans la maison des oiseaux de l’autre côté de la fenêtre. Des mésanges s’y précipitaient, mais je me demandais parfois si c’étaient vraiment des mésanges. N’étaient-elles pas autre chose que des oiseaux ? Elles regardaient par la fenêtre, immobiles, comme plongées dans leurs souvenirs, et j’avais l’impression qu’elles ressentaient l’étrangeté de leur petit corps, leurs plumes, leur bec, leurs yeux en tête d’épingle, leur gazouillement, leur agitation.
J’aimais aider ma grand-mère, mais cela me faisait peur aussi : absorbé dans cette besogne monotone, je perdais la conscience de mon être ; en revanche, je percevais soudain une présence dans le noir, au tournant du couloir : quelqu’un s’éveillait dans l’obscurité dense.
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Mon père était un passionné d’échecs, nous jouions souvent. A la fin de la partie, presque toutes les figures avaient péri, leurs corps vernis reposaient en tas des deux côtés de l’échiquier comme si le champ quadrillé noir et blanc avait vu se dérouler une vraie bataille, affrontement de fantassins rangée contre rangée, folle boucherie des attaques de cavalerie.
Ma reine survivait généralement, mon père devait construire des combinaisons en plusieurs coups pour la coincer avec les pièces qui lui restaient.
Les fous et les tours, figures balourdes qui ne pouvaient se mouvoir que tout droit ou en diagonale – mon père échangeait généralement ses chevaux – assiégeaient ma reine, la précipitaient vers sa perte. J’étais émerveillé par la résistance de la reine, la pièce plus libre, que l’on ne peut vaincre en combat singulier ; là où un roi ou un fou était pris au piège, la dame s’échappait, elle.
Mes deux grands-mères assises à table ressemblaient à des reines, des figures de rang supérieur. Elles rendaient visible la tragique faiblesse, la vulnérabilité de l’homme menacé par le typhus, les courants d’air, la septicémie, le scorbut dû à la malnutrition ; l’homme se faisait encercler par l’ennemi et le voilà coupé des siens, abandonné ou blessé, portant en lui le fer de la guerre, incapable de reprendre une vie paisible, sombrant dans l’alcool. L’homme avait besoin qu’on lave et reprise son linge, qu’on lui prépare à manger, qu’on fasse des tas de petites choses à sa place, obsédantes comme les poux et récurrentes comme les rhumes d’enfant. Les grands-mères donnaient à voir la prédestination de la femme, pleureuse, veuve qui, même jeune, était en quelque sorte par avance plus âgée que son mari auquel elle survivrait de plusieurs décennies. On reconnaissait en elles l’effrayante inflexibilité féminine de l’existence, la capacité de surmonter le destin, d’organiser le monde de façon à ce que celui-ci « boite » côté homme. L’homme était une silhouette en pointillé, la femme une cariatide, leur relation était celle d’une variable à une constante.
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Que pouvais-je chercher et où ? J’habitais un deux-pièces, j’allais à l’école, je passais l’été à la datcha, parfois, j’allais chez des amis de mes parents. Que pouvait-on trouver en ces lieux ? Je feuilletais encore et encore les livres sur les étagères en quête d’un vieux billet, d’un reçu, d’une feuille de calendrier, gardés en guise de marque-page, d’une note dans les marges. Je sortais les photographies des albums pour voir si elles n’en dissimulaient pas d’autres. Expert en cachettes – j’en avais plus d’une dans l’appartement – je cherchais celles des autres, mais ne trouvais que les cadeaux achetés à l’avance ou de l’argent mis à l’abri des cambrioleurs.
En réalité, je n’escomptais pas dénicher le « pot aux roses » dans une cachette. Il me semblait plutôt qu’un jour, je découvrirais le double visage, le double fond de toutes les choses : alors, plus l’objet serait ordinaire et sans personnalité, mieux on verrait son côté « loup-garou ».
Naturellement, cette quête ne m’occupait pas tout le temps ; cela me prenait comme une maladie, comme un envoûtement, et entre deux crises, je menais une existence normale d’écolier. Mais je n’ai aucun souvenir de ces intervalles, en revanche je me rappelle sans peine la tension de chaque instant qui accompagnait mes recherches et mon désir de trouver la preuve d’un complot du silence.
Ayant fouillé une infinité de fois l’appartement et d’autres lieux auxquels j’avais accès, je finis presque par me décourager. Tous les objets candidats au titre de « loup-garou » avaient été examinés. N’étais-je pas fou ? Le monde était bâti si solidement, sans interstices, il était si authentique dans sa transparence, dans l’indigence de son univocité, que je sombrai dans l’angoisse. Ma vie était en jeu : si je renonçais, si je me laissais convaincre qu’il n’avait pas de double fond, alors mes intuitions me quitteraient à leur tour, l’instance qui me les avait envoyées pouvant désormais choisir un autre paladin, un autre enquêteur.
Toutes les circonstances, toutes les tentatives avortées disaient : renonce ! Mais une petite voix à peine audible murmurait : si tu renonces, tu n’existeras plus, car « toi », c’est justement cette écoute intérieure, cette vision intérieure. Sans que tu le saches, chacun de tes échecs était un pas : tu es tout prêt, tu brûles, essaie une dernière fois !
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