Chaque enfant est un enquêteur sur le sens caché de son univers. Mais dans l'Union Soviétique apparemment immuable de 1986, sur quoi peut porter l'investigation ? À moins que le retour de la comète de Halley cette année-là, et l'explosion de Tchernobyl, soient en effet des présages ?
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/08/26/note-de-lecture-lannee-de-la-comete-serguei-lebedev/
Une famille soviétique ordinaire, au milieu des années 80. Pas tout à fait ordinaire en réalité, mais c'est ainsi que la perçoit le jeune narrateur, se préparant à quitter doucement l'enfance pour l'adolescence, observateur fin de fort nombreux détails qui l'entourent, mais peu lucide alors en matière de situation économique et de privilèges éventuels. Entre un père ingénieur spécialisé, souvent appelé en mission aux quatre coins de l'Union, et une mère géologue spécialiste des catastrophes naturelles, c'est des franges de son éducation confiées de facto à ses deux grands-mères, franges sans doute minoritaires en temps passé, mais majoritaires en impression durablement laissée, que nous entretient essentiellement de ses minutieuses et feutrées enquêtes visant à découvrir ce qui, fatalement, obligatoirement, lui est caché des mystères du monde et de la famille. Est-ce grand-mère Tania, désormais discrètement issue d'une famille noble et n'ayant jamais au fond renié la religion, ou bien grand-mère Mara, authentique héroïne prolétarienne portant encore chevillés au corps les objectifs du Parti (ou encore – qui sait ? – toutes les deux malgré leurs intenses rivalités, et leurs blessures partagées, issues d'une deuxième guerre mondiale, siège monstrueux de Leningrad ou si sauvage luttes forestières de partisans, guerre encore bien présente dans leurs esprits, quarante ans plus tard, et par capillarité dans l'esprit du jeune investigateur), qui détiendraient les secrets des ultimes mystères qu'il s'agit de percer à jour ?
Si chaque enfant est un enquêteur sur le sens caché de son propre univers, sur quoi peut bien porter l'investigation, dans l'Union Soviétique apparemment immuable de 1986 ? À moins que le retour de la comète de Halley et l'explosion de la centrale de Tchernobyl ne soient en effet des présages de quelque chose…
Publié en 2014, traduit en français en 2016 chez Verdier par
Luba Jurgenson, le deuxième roman de
Sergueï Lebedev creuse avec une extrême habileté et une insigne gouaille paradoxale le sillon tragique ouvert avec son «
La limite de l'oubli » en 2012, qui s'attachait, déjà sous forme d'enquête conduite par le narrateur, à la « découverte » du Goulag par d'innocents Russes contemporains de la fin de l'Union Soviétique (on songeait alors bien entendu au beau travail mémoriel réalisé aussi par
Anne Brunswic avec son «
Les eaux glacées du Belomorkanal » de 2009), en explorant à hauteur d'enfant extrêmement curieux les méandres d'une Histoire soviétique longtemps figée dans ses silences et ses mythologies.
Vrai-faux roman d'apprentissage, foisonnant et hilarant même et surtout pour évoquer des moments particulièrement tragiques de l'Histoire, mixant avec une ferveur enthousiasmante et néanmoins matoise les témoignages agencés de « La fin de l'homme rouge » de
Svetlana Alexievitch aux émerveillements conducteurs du « Grand Meaulnes » d'
Alain-Fournier, les liens telluriques secrets du « Solénoïde » de Mircea Cǎrtǎrescu aux chimères enfantines élaborées du « Voyage imaginaire » de
Léo Cassil, les morts guettant leur pitance depuis leurs tombes du « Premier souper » d'
Alexander Dickow aux noms héroïques imaginés du «
Tchevengour » d'
Andreï Platonov (revus et corrigés par une mécanique poétique parfois toute volodinienne), «
L'année de la comète » est un grand roman fusionnel de pensée magique et de matérialisme dialectique, de démystification nécessaire et de respect paradoxal.
Lien :
https://charybde2.wordpress...