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Simone de Beauvoir (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070745357
496 pages
Gallimard (13/09/1996)
3.74/5   183 notes
Résumé :
Une femme descend au plus secret de soi, et elle raconte avec une sincérité intrépide, comme s'il n'y avait personne pour l'écouter. » Rien ne résume mieux le récit de Violette Leduc que cette phrase empruntée à la préface où Simone de Beauvoir présente l'auteur et son œuvre. Car La Bâtarde est une autobiographie sans fard et sans remords, une « tranche de vie » de trente années taillée dans le siècle de telle sorte que les deux dernières guerres y sont englobées. T... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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La pointe-sèche d'un style exigeant, original, incisif. Une écriture qui veut nommer, tout dire. 'Je voulais tout dire et j'ai tout dit.' VL bourlingue dans d'autres mondes et déploie pour nous une grande valse en éventail. Evasions dans le merveilleux, envolées lyriques éblouissantes. Tonifiantes. Inattendues. Le réel s'épanche en confidences. 'Je rêve et j'interprète', nous dit-elle. Trésors à prendre. A qui sait entendre. Elle touche du doigt un monde qui a besoin d'elle pour se montrer. Elle boit et nous donne à boire. Nous surprend toujours. Connaissance par les gouffres. Violette a une curieuse manière de se livrer. Peu importe, d'ailleurs, ce qu'elle raconte, tout est à prendre. C'est la manière. Un style incomparable. Souci de l'exactitude. Elle s'écorche, s'abîme, pour le mot juste, introuvable. Jamais contente. La fièvre d'une chercheuse d'or. Son écriture pointue, musquée, est un soleil qui ne trahit pas.
Ses combats de boxe. Une atlète de la souffrance, elle l'était, avec Michaux qui écrivait: "quand je ne souffre pas, me trouvant entre deux périodes de souffrance, je vis comme si je ne vivais pas." Mais sa souffrance n'est pas une fin en soi, c'est un procédé, un échauffement, un renfort, une ascèse: 'une terrasse sur une autre chose encore", comme disait Pessoa. 'Un chagrin qui ne sert à rien est grotesque', s'expliquait-elle dans L'asphyxie.
On éprouve de la gratitude, de l'affection, pour cette oeuvre qu'on boit à longs traits. On est à genoux devant Violette et on a pas envie de se relever.
Vraiment, "la nécessité d'apprendre est plus grave, qu'une simple crise de curiosité."
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La Bâtarde est un roman dérangeant. Autobiographique, il relate sans concession l'enfance, l'adolescence et la vie d'adulte de Violette Leduc, fille puis femme au physique ingrat, au nez prédominant. le roman tourne autour du thème de la honte, de la mesquinerie, la jalousie, mais parle également de souffrance, d'écriture, d'amitié et d'amour.
On y voit naître l'écrivain par le regard de l'enfant qu'elle a été, ce regard qu'elle pose autour d'elle et dont elle se souviendra des années plus tard.
Autour d'elle se profile le Paris d'avant-guerre puis celui de la gueere, des délations et de la résistance. Violette, jeune femme, se lie d'amitié avec Maurice Sachs, pas toujours irréprochable dans ses opinions et agissements, mais aussi avec le couple Beauvoir-Sartre. Elle travaille, écrit, découvre le beau monde.
La Bâtarde est un roman captivant, mais le regard franc, pour ne pas dire impitoyable qu'elle porte sur elle-même laisse au lecteur un sentiment de malaise.
Je n'ai pas vu le film Violette, adaptation de la vie de Violette Leduc, et je ne sais pas si cette impression y est également exacerbée.
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Comment devient-on écrivain si on ne l'est pas dès sa naissance ? Dans ce livre de Violette LEDUC, c'est le cheminement d'une femme, d'une enfant qui grandit sans comprendre jusqu'à ses 37 ans. Née au début du siècle dernier, la Bâtarde, narre l'histoire personnelle de V. LEDUC, son enfance délicate, son physique jamais accepté, son attirance pour les deux sexes, son égocentrisme, sa mesquinerie, son spleen, ses doutes, ses rancoeurs, ses amours, ses passions, ses rendez-vous manqués…
Une vie de femme, chahutée, mais au destin tel, que toutes ses rencontres lui permettront de se transformer.
Une écriture rapide, assassine. Eviter la lourdeur, des phrases courtissimes. Violette LEDUC semble toujours vivre du mauvais côté de l'événement. Eternelle insatisfaite, elle paraît trouver et donner un sens à sa vie en s'enrichissant du marché noir dans les années d'occupation. Des femmes, des hommes, traversent son existence, elle les aime mal, trop, ou trop tard. Ils la laissent, face à elle-même, elle qui ne se supporte pas.
La Bâtarde est publiée dans l'édition l'Imaginaire, c'est normal tant à chaque page et souvent aux détours de nombreux délires, on sent le malaise psychologique, parfois psychiatrique.
De belles pages d'introspection sur une nature humaine qui cache son jeu, quand elle est trop laide à voir. Rien n'est enjolivé et pourtant tout ce qu'elle écrit est beau.
Violette écrit pour elle. C'est sa confession, l'autre importe peu et pourtant elle l'interpelle souvent, le lecteur.
C'est la force de ce livre, ne rien cacher, même ce qui relève de l'indicible, croyons-nous, comme si seul face à soi on peut enfin être honnête avec soi (voire) mais le faire pour l'autre comme le chemin d'une liberté qu'on trace, une façon de s'éterniser.
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« Je suis un désert qui monologue »
Ce roman autobiographique est bouleversant. Elle y raconte son enfance dans l'opprobre, le rejet de sa mère, l'internat, seule sa grand-mère lui apporte un peu de tendresse. Et puis elle raconte sa vie à Paris où elle enchaîne les petits boulots, elle travaille dans l'édition, entre autre. Elle évoque aussi avec une grande liberté sa sexualité, son attirance aussi bien pour les hommes que pour les femmes, ce qui fit scandale lors de la publication du livre. Mais ce qui m'a frappé avant tout c'est l'écriture : un mélange détonnant, des phrases au style somptueux, l'utilisation de métaphores très poétiques, avec un feu qui vous emporte au coeur de ses pensées, et aussi un côté plus brut, des phrases qui se rapprochent plus de la langue parlée, les termes argotique qui apportent une crudité, un côté charnelle. Une écriture totalement libérée, à son image, sa sensibilité, sa tolérance, l'aveu de ses faiblesses et de ses doutes, notamment sur son physique, tout cet ensemble fait de Violette Leduc en devient un "personnage" vraiment attachant, d'ailleurs elle interpelle souvent son "lecteur". Avec son style expressionniste, elle nous parle aussi de la
rédemption qu'elle a pu trouver en écrivant. Elle évoque beaucoup ses amours, et surtout leur impossibilité, l'impression d'être toujours en décalage, et donc souvent renvoyée à elle-même et du mal-être que cela engendre.
"Je me sentis fondre de bonheur et de tristesse. Je le souhaitais sans oser me l'avouer. Oui c'était mon souhait qui n'avait jamais vu le jour. Je lisais mon nom à l'étalage des librairies, c'était une joie et une maladie secrète, c'était l'impossible. Ecrire... Je me sentis molle, toute chloroformée d'incapacité. Toute disponible pour ne rien faire.
Ecrire... (...) Il me demandait de bâtir une maison alors que je n'étais pas maçon. C'était pire qu'un vertige si j'y pensais une seconde avec sérieux."
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De Violette Leduc, je n'avais jamais rien lu. Elle fut pourtant très à la mode dans les années 60-70 encensée par le tout-Paris littéraire. Je reconnais qu'elle a un style qui mérite le détour mais je me rends compte que les autobiographies, si elles ne sont pas travaillées à la manière d'un roman, me lassent. Il y a des longueurs; et puis, un manque de construction qui rendent la lecture fastidieuse. Bien sûr, il lui a fallu beaucoup de courage pour se raconter et le faire sans concessions: avouer ses manques et nous dévoiler ses vulnérabilités montrent finalement sa force de caractère et son appétit à vivre. le jeu en valait sûrement la chandelle et son écriture a sans doute eu pour elle un effet réparateur. J'ai apprécié me replonger dans une époque que je n'ai pas connue (celle de l'occupation en particulier) mais j'ai eu bien du mal à éprouver de l'empathie pour le caractère névrotique de Violette Leduc et la qualité littéraire n'a pas, à mes yeux permis de faire de cet ouvrage le chef-d'oeuvre que Simone de Beauvoir proclamait.
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Citations et extraits (138) Voir plus Ajouter une citation
Mon cas n’est pas unique, j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié, j’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu, dès que j’y réfléchi… Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n’ai que des regrets à remâcher. J’aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture, bras croisés, je me suis brisée à ces mots là.
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C’était un vieux mariage qui sentait la naphtaline. Nous arrivâmes la veille au soir, nous couchâmes dans l’appartement de ma mère. Prudence, camouflage d’une pièce à l’autre, la guerre contres les mites puait jusqu’à la désolation…. J’ai dit adieu à mes cheveux restés entre les dents de mon peigne, j’ai dit adieu à la mousse sur mon verre à dents. Vierge à la godille, je partais quand même au sacrifice… Attendre mon tour sur un banc, répondre oui, signer sur un registre. Trop simple, trop rapide. Je rêvais à de longues tresses de fleurs que nous aurions tressées pendant des jours et des nuits dans cette salle de mairie avant qu’on nous unisse…
Pourquoi me suis-je mariée ? 9 avril 1961, 12h50. Il faut que je réponde tout de suite. La peur de devenir une vielle fille, la peur qu’on dise : elle ne trouvait pas , elle était trop laide. Besoin de saccager, d’anéantir ce que j’avais eu, ce que j’avais.
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Un groupe nous suivait. Ils nous dépassèrent. Des mâles avec une femelle toute en croupe, visage ni beau ni laid. Ce qu’elle dit, elle le cria en me désignant dans la brise du soir.
— Oh ! criai-je aussi.
Je venais de recevoir le coup en pleine poitrine.
— Oh, oh…
Un seul coup ce n’est pas sourd. Il a des échos. Je recevais d’autres coups sur tout mon corps. Mes blessures blessaient le trottoir. Je marchais centimètre après centimètre sur du mou de boucherie.
Rondelle de bois, j’ai mal, je…
— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu as ? dit Hermine.
Elle chercha dans mes yeux, elle s’affola sans gestes, sans paroles.
Rondelle de bois. Je rends, je dégueule les tripes que j’ai dans la tête. Rondelle de bois pour les flèches des baraques foraines, oh, oh. Rondelle de bois je te vois trop.
— Tu as quelque chose. Tu es pâle, tu es toute pâle. C’est à cause de cette femme. Je n’ai pas compris ce qu’elle t’a dit. C’est à cause d’elle, j’en suis sûre. Parle, tu me fais peur. Tu étais si bien coiffée…
Le costume Schiaparelli me quitte, il se désagrège. Ce sera bientôt un tas de flammèches. Mes bas tombent sur mes talons, c’est livide, j’ai froid aux jambes, j’ai…
— Tu ne veux pas me dire ce que tu as ? Je te dis que tu me fais peur.
— Ce n’est rien, dis-je sans forces.
Résignation souveraine là-bas du refuge pour attendre l’autobus demain. Résignation, résignation… Est-ce un endroit ou bien un mouchoir secoué pour un navire ?
Hermine a pris mon bras. Elle le serrait dans un étau :
— Nous allons chercher un restaurant, nous mangerons, dit-elle avec un faux entrain.
J’ai mal et toi tu me fais mal en serrant trop mon bras.
— Tu pourrais me répondre. Veux-tu que nous mangions ?
J’ai mal et tu me fais mal. Ton pouce. Il s’enfonce dans de la cervelle fraîche.
Elle serrait mon bras de plus en plus fort.
— Il y a sûrement un gentil restaurant. Ils ne nous serviront pas si nous arrivons trop tard, dit encore Hermine.
Les phares d’une automobile grand sport nous aveuglèrent, mes joues s’allongèrent. Elles tombaient sur mes clips en cuivre, le métal les refroidissait. Mes joues déportaient ma tête sur la droite, sur la gauche. Mon nez. Terrifiante crise de croissance, ma trompe balayait le pont. Petits cailloux, petits graviers, moindres aspérités l’écorchaient.
De nouveau les phares d’une autre automobile, un coupé avec un chauffeur vêtu de blanc nous aveuglèrent.
— J’ai faim tu sais, dit-elle avec une fausse gaieté.
Mes paupières que je ne pouvais plus abaisser rejoignaient mon front. Les saletés dans l’air venaient dans mes yeux, mes cils s’emmêlaient à mes cheveux.
— Je pensais à nos vacances, dit Hermine.
— Oui, dis-je avec un grognement de bête.
Hermine a changé de place. Elle m’entourait les épaules.
Je voulais émettre des sons. Ce n’était que des « areu » de nourrisson pris dans un crachat, une provision de chagrin que je ne pouvais pas expectorer.
Hermine, en me serrant contre elle, labourait de très anciennes épaules maintenant criblées de blessures, des blessures en forme de petits cercles les uns dans les autres.
J’ai mal et toi tu me fais mal. Tête de veau, coloris de la flanelle claire, toute languide tête de veau couchée sur la verdure du tripier, prête-moi ton sommeil, prête-moi l’extase de ta bouche fendue.
— Pourquoi ne veux-tu pas avancer ? Pourquoi ne veux-tu pas me dire ce que tu as ? Nous mangerions, tu serais moins fatiguée…
J’ai répondu oui avec le même grognement. Des cailloux tapissaient mes muqueuses. Dix, vingt, trente, quarante automobiles nous aveuglèrent. Il me semblait que chaque automobile ouvrait et fermait son poing dans chaque phare. Mes pieds ? Mes escarpins ? Des palmes, mais des palmes de boue et de glaise qui me précédaient d’une bonne longueur.
Les phares d’un autocar qui rentrait au dépôt nous jetèrent contre le parapet. Passait avec la nuit sur lui, le fleuve et les troupeaux de l’Histoire.
— Tu ouvres la bouche et tu ne dis rien, a chuchoté Hermine.
— a e i o u, grognai-je.
Ma trompe se replia sur elle-même. Je ne pouvais pas suivre Hermine.
— Colle, colle. Y a. Sur. Le. Parap. Parapet.
Hermine est revenue sur ses pas.
— Parle, ça te soulagera.
Le vent montait, je recevais de l’étoupe dans ma gorge.
— Détache-moi du pont, ai-je supplié.
Elle n’entendait plus ce que je disais.
Est-ce qu’on demande à une centaine de mouches mortes de se décoller du ruban gluant, de s’envoler ?
Mes doigts sectionnés, cicatrisés, en forme de boudins ficelés, ne pouvaient plus remuer. De l’enfer, un morceau de zinc est tombé sur ma trompe.
— C’est le vent qui monte, cette fois allons dîner, a dit Hermine.
Hermine s’est jetée dans mon cou. Je ne pouvais pas la serrer : des râteaux à longues dents se raidissaient sous la peau de mes bras. Ma tête s’est reposée sur celle d’Hermine, ma trompe me donnait une terrible migraine.
— Tu frissonnes sans arrêt, a dit Hermine.
Un automobile au volant d’une benne de grand luxe allumait et éteignait ses phares à la vitesse d’une mitraillette :
— Alors, mes jolies, on s’aime dans les rues maintenant ?
Hermine se mit à frissonner aussi. Le vent qui montait exigeait un désert sur le pont.
— Où veux-tu que je t’emmène, où veux-tu que nous finissions la soirée ?
Mes escarpins anguille… Ils avançaient tout seuls sur la chaussée au rythme saccadé d’un dessin animé ; ils zigzaguaient.
L’automobiliste accoudé sur son volant jouait à lumière-pas-de-lumière avec le bouton des phares.
— Le long du fleuve. Emmène-moi le long du fleuve.
— Tu parles enfin, a dit Hermine.
Nous quittâmes le pont, nous descendîmes dans la nuit. Seulettes, âgées, pauvrettes à faire gémir de pitié un silex.
Je pleurais, le sable d’une péniche était trop doux sous mes pieds.
— Tu ne vas pas te tuer ? a dit Hermine dans l’obscurité.
Me tuer : ce serait trop facile.
Le vent n’avait que faire de ma trompe, de mes palmes, de mes paupières démesurées. Il supprima le superflu. Le vent, ce soir-là, nettoyait jusqu’à la transparence. Netteté de mon chagrin, c’était insupportable.
— Va-t’en, dis-je sans méchanceté à Hermine.
Ainsi les violons pleuraient mieux au creux de l’estomac.
Le vent apporta un effluve, une surprise : un peu de musique de danse.
— Je t’en supplie, va-t’en.
Besoin de l’effacer pour m’enfoncer.
— Je vois le fleuve, dis-je à voix basse.
—Tu le vois ? cria au loin Hermine.
J’écoutais le clapotis, le feston de la nuit.
— Qu’il est sage…
— Il est sage ? cria au loin Hermine.
Je voulais aussi le balbutiement de la nuit.
— J’ai froid, dis-je avec une pauvreté d’enfant.
Le vent me donnait des coups d’éventail dans les reins, des lumières au loin me faisaient des signes, une gorge noire palpitait sous un vieil arbre. C’était le fleuve que j’aimais.
Je suis disponible, entre, mais entre donc dans l’eau, me dit cette gorge au-dessous du firmament.
J’entrerai, je creuserai sans un effort une allée de soupirantes et de soupirants à genoux pour m’approuver, le ciel sera mon panier de lingue sur ma tête. Non non et non puisque mon nez de mi-carême s’en va sur l’eau. J’ai raté l’offre profonde.
Je m’allongeai à plat ventre dans le sable.
— Demain tu seras malade…
— Tu es revenue ? Oui Hermine je serai malade.
— Je t’attends.
— Va-t’en.
Elle marchait dans le sable, je ne l’entendais pas s’éloigner. Je sanglotais, mes larmes mouillaient le sable.
Reviens Hermine, reviens lorsque je t’appelle. Ton paradis, je te le bâtirai avec le duvet de notre lit.
Je cherchais Hermine.
— Ici, a dit Hermine. Je suis ici.
Je la cherchais encore dans une obscurité bousculée par le vent.
Je lui ai donné un coup de pied malgré moi. Hermine allongée sur le sable comme je m’étais allongée, sanglotait.
— Tu pleures ?
— Tu pleurais. Je pleure avec toi.
— Tu ne sais pas pourquoi je pleure.
— C’est ce qui me désespère.
Je l’ai aidée à se lever.
Surprises d’un désespoir, nouveauté d’une étreinte, abondance d’un chagrin.
Nous pleurions enlacées, nous tournions sur place, nous tournions sur la berge déserte, la morve d’Hermine coulait sur ma joue, dans mon cou. Ma morve coulait sur sa joue, dans son cou. Pleuraient aussi avec nous le vent, le ciel, la nuit. Charité du sexe. Fondaient aussi nos ovaires, notre clitoris.
Elle léchait ma morve, je léchais la morve d’Hermine.
— Mon petit…
— Ma petite…
— Mon petit…
— Ma petite…
Nous tournions, nous pleurions, elle m’appelait, je l’appelais mon petit, ma petite à l’infini.
— Dis-moi ce que cette femme a dit.
— Cette femme a crié : moi, si j’avais cette tête-là, je me suiciderais.
Valsons, mon amour.
Valsons, ma chérie.
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Ma mère dédaigne les jeux. Elle soigne son enfant depuis le brossage des cheveux jusqu’aux fortifiants, un point c’est tout.
Nous prenions notre petit déjeuner, ma mère m’entretenait des laideurs de la vie.
Elle m’offrait chaque matin un terrible cadeau : celui de la méfiance et de la suspicion. Tous les hommes étaient des salauds, tous les hommes étaient des sans cœur. Elle me fixait avec tant d’intensité pendant sa déclaration que je me demandais si j’étais un homme ou non. Pas un ne rachetait l’autre. Abuser de vous, voilà leur but. Je devais le comprendre et ne pas l’oublier. Des cochons. Tous des cochons.
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Nous étions angoissés ; la guerre approchait. Mlle Nadia me lisait avec fièvre les sombres éditoriaux des journaux. Je n’osais pas lui dire : assez, puisque nous ne pourrons pas l’éviter. Je suis ainsi : un frisson dans les feuillages de banlieue, un lapin qui criait, qu’on assommait, un enfant qui recevait une gifle, un ballon de basket qui tombait dans le filet, la plainte d’une scie mécanique, un mulot écrasé sur une route, une cloche de couvent qui sonnait, puis se taisait, une anémone qui s’effeuillait, une jument qui galopait puis se couchait dans une prairie, un insecte qui se débattait pattes en l’air, un fil de ronce sectionné, deux cyclistes, deux copains en roue libre dans une descente, une goutte de rosée à 4 heures de l’après-midi, un corbeau qui sautillait sur un désordre de labour et de fumier, un crépuscule incendié, une chaumière qui se ranimait avec de la fumée, une odeur de goudron bouillant, tout cela prophétisait plus sûrement que les journaux. Un malheur planait. Je voulais me promener, je voulais cueillir et respirer. La guerre serait là, l’aurore ne changerait pas.
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« Mon baiser est intègre lorsque j'embrasse indirectement la peau. La bouche s'épuise, la faim persiste. » Violette Leduc, Ravages
À lire – Violette Leduc, Ravages (édition augmentée), coll. « L'imaginaire », Gallimard, 2023. Mathilde Forget, de mon plein gré, Grasset, 2021. Laura Vazquez, le livre du large et du long, éditions du sous-sol, 2023.
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