Le récit transcrit bien une impression de désarroi, de guerre et de mort absurde. Il est divisé en petites parties, ce qui donne une impression de flashs successifs, de rapidité. Il ne s'agit pas de nous dégoûter par trop de réalisme, la misère est décrite, mais presque de loin. La description n'en n'est que plus forte. Il n'y a pas vraiment de noms précis de personnages, le récit vaut pour tous.
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Tout ce jour-là l’air fut en feu au-dessus de Sedan.
Les boulets décrivaient sans relâche leurs paraboles dans une atmosphère de fournaise, Une tempête de plâtras, de tuiles, de cheminées emportées, de maçonneries arrachées s’éparpillait avec fracas sur le pavé.
La fusillade se confondait avec la canonnade.
Ce bruit de la canonnade était si épouvantable que le prince Frédéric-Charles l’entendait devant Metz ; mais il l’entendait dans la direction de Montmédy.
Dans les rues ronflait tout à coup un grondement sourd et une masse noire, énorme roulait.
C’était un boulet ; et ils se suivaient à la file, comme des vols de grues, à l’automne.
Des gens qui traversaient d’un trottoir à l’autre tombaient foudroyés par les éclats d’obus.
On me montra une petite rue, non loin de la place Turenne, où une jeune fille, sortant de chez elle pour aller à l’épicier qui est vis-à-vis, eut les deux jambes coupées par le passage d’un projectile.
Quelques maisons souffrirent énormément. Un café qu’on appelle, je crois, le Café des Glaces, fut littéralement défoncé par la mitraille. Et des pans de murs s’émiettaient, mêlant à l’incessant tonnerre le bruit de leur écroulement.
La débâcle était tumultueuse.
Il arrivait à tout bout de champ des bandes de soldats sans sacs et sans fusils ; on les voyait accourir à toutes jambes, comme des gens poursuivis. Des compagnies entières rentraient avec leurs officiers et se bousculaient pour rentrer plus vite. Aux portes de la ville on s’écrasait : beaucoup de monde fut foulé aux pieds. Les plus pressés sautaient sur les épaules des autres et escaladaient cette fournée qui s’entassait.
Des hommes étaient précipités par dessus les chaînes dans les fossés pleins d’eau.
On a su dès la première heure que les fourgons de l'impérial Corse étaient prets à détaler, malles bouclées, au moindre commandement, la défaite ayant été prévue soit comme une éventualité soit comme une nécessité de la politique.
L'histoire entrera plus tard dans le détail de cette grande lacheté qui souille à jamais les trones.
Vidéo de Camille Lemonnier