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EAN : 9782221048474
456 pages
Robert Laffont (04/02/2006)
4.04/5   68 notes
Résumé :
Écrivain et journaliste, homme de mer et voyageur insatiable, slave jusqu'au fond du verre et même au-delà, Serge Lentz nous offre ici la chronique d'un être aussi peu ordinaire que son destin. Après le succès des Années-sandwiches ( Prix des Libraires 1982), il nous apporte à présent la saga retentissante de Vladimir Roubaïev, conspirateur et philosophe primaire, puissant donneur de claques et grand amoureux de la lune.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
S'il est vrai que la meilleure éducation est faite de souvenirs d'enfances que l'on a glorifiés, il faut alors admettre que Vladimir fut partiellement éduqué par une girafe.

En apprenant l'arrivée à Bilyakov des bohémiens et de leur fabuleuse mascotte, Ivan les invita aussitôt à se produire aux Grands Chênes pour le bénéfice exclusif de son fils et de Rivka.
Ils vinrent donc et apportèrent avec eux un monde extraordinaire de feu, de magie et de cabrioles qu'ils accompagnaient de chansons bizarres, tantôt plaintives et tantôt folles. Bien que Baïla l'eût déjà habitué à l'étrange, Vladimir en fut totalement fasciné. Mais rien ne l'intrigua autant que le regard doux et profond de Yasmi, la girafe.
« C'est une princesse, lui confia le chef des bohémiens. Elle vient d'un pays très lointain où les hommes ont la peau noire et portent des chapeaux de plumes. Là-bas, on trébuche sur des diamants aussi gros que la tête. Les maisons ont des toits en or et l'eau des rivières a le goût du miel. On y trouve des fleurs plus grandes que tes arbres et les oiseaux ont un plumage si chatoyant, qu'on ne peut le regarder qu'à la tombée du jour pour ne pas être aveuglé par ses couleurs.
- Est-ce qu'elle parle ? demanda Vladimir en pointant son doigt sur Yasmi.
- Bien sûr ! Elle parle et de plus, elle est très savante. Si tu pouvais comprendre son langage, elle t'apprendrait tous les secrets de la savane et des forêts. Tu deviendrais également très savant et tu pourrais faire surgir le feu rien qu'en claquant tes doigts, comme ça !
- Comme ça ?
- Oui, comme ça.
- Montre-moi. »
Le chef des bohémiens claqua à nouveau ses doigts et aussitôt, un petit brandon enflammé jaillit entre le pouce et l'index. Vladimir approcha son nez de la flamme et le retira bien vite. C'était une vraie flamme. C'est alors que les membres de la troupe vinrent faire le cercle autour de lui. Chacun lui parla des autres avec une chaleur et une amitié dont l'enfant ne se lassait pas : « Zoltan est un grand acrobate, disait l'acrobate en parlant du chef. Il sait se tenir en équilibre sur ses cheveux…Mourka a une voix si mélodieuse, disait une chanteuse, que les anges se trompent de chemin pour remonter au ciel et viennent se poser près d'elle pour mieux l'entendre… Vorka est un grand magicien, disait le magicien, il peut faire danser les nuages et les collines… Temla est tellement fort, disait l'hercule, qu'il n'a pas besoin de marteau pour ferrer nos chevaux. Il se sert de ses poings… Mafalda joue si bien de la guitare, disait un musicien, que ses notes deviennent des perles dont on fait des colliers pour les reines. »
« Et moi ? demanda Vladimir. Et moi ?
Alors, la vieille diseuse de bonne aventure qui semblait être leur mère à tous, se détacha du groupe et vint lui prendre la main.
« Toi, dit-elle, tu n'es qu'un petit garçon, avec des habitudes de petits garçon. Tu grimpes aux arbres, tu déniches des oeufs de rouges-gorges, tu martyrises les chats, tu te moques des infirmes et les femmes enceintes te font peur. Tu n'aimes que la pêche, les osselets et ta fronde. Tu n'es qu'un petit garçon sans importance, mais tu deviendras un homme très grand, beaucoup plus grand que les plus grands caporaux de la garde de l'empereur. Viens avec moi. »
Elle l'entraîna vers une petite tente verte que l'on avait dressée entre deux chênes. Elle y entra sans lâcher la main de Vladimir. A l'intérieur, on découvrait un fouillis étrange de clochettes, de grimoires et de chandelles peintes. D'autres instruments bizarres luisaient au fond d'un coffre ouvert près du guéridon central : trompettes médiumniques, boules de cristal, tarots métalliques, flacons de sels exorciseurs, prisme détecteur d'aura, planches de ouija taillées en forme de coeur, crécelles à sorcières, fifres de sureau blanc destinés à convoquer l'âme des soldats morts au combats…
« Hocus pocus dominicus, dit la vieille femme en se pliant sur un minuscule tabouret. Ragnaboussa, alagazam et issaguissago ! Assieds-toi ! »
Elle sortit une boule de son coffre, l'essuya dans un pan de son grand châle noir et la posa sur le gueridon. Puis elle plongea un regard perçant dans les profondeurs nacrées du crystal, amena lentement ses doigts écartés contre ses tempes, hocha plusieurs fois la tête et dit enfin, d'une voix presque barytonesque :
« Hummmm… ta vie sera un long parcours mouvant… une symphonie de désordres et de bonheurs mélangés… ce sera une vie pleine de surprises…
- Lesquelles ? demanda Vladimir avec l'effronterie d'un enfant qui connaît, lui même, bien des mystères.
- Si je te le disais, ce ne seraient plus des surprises. Tais-toi, petit garçon. Laisse-moi te lire. Hummmm… oui, je vois des mariages… trois mariages… des guerres… hmmmm… des batailles… des enfants… tant de choses…
- Lesquelles ? demanda encore Vladimir
- Trop de choses. Il me faudrait des années pour te les dire. Ce sera une vie très riche, aussi riche que tes vies antérieures. D'ailleurs… hmmmm… tu auras tant de vies que je préfère te parler de ton passé cosmique, de tes existences précédentes sur cette terre et dans le ciel. Hmmmm… il y a trois mille six cent quatre-vingt-deux ans, tu étais une étoile dans la configuration de Bételgeuse… une petite étoile… une étoile de quatorzième grandeur… hmmmm… et puis, tu es devenu mathématicien à la cour de Byzance, sous la première dynastie. Tu as aimé une femme très belle et très blonde que tu retrouveras dans ton existence actuelle et qui deviendra ta seconde épouse… puis, tu es mort de fièvre écarlate et tu es allé errer dans les limbes pour plus de deux siècles. Là, tu es devenu l'ami de Dazhbog, le dieu de la lumière, du feu et des moissons… tu as aussi été l'ami de Svarog, le dieu de la Grande Forge, mais tu t'es disputé avec lui et tu es venu t'abriter de sa colère chez celui que tu aimais le plus, Striborg, le dieu du vent…
- J'aime beaucoup le vent.
- Je vois ici que Striborg est toujours ton ami et qu'il te viendra en aide, lorsque tu seras marin…
- Je serai marin ?
- Tais-toi, petit garçon… Tous les hommes sont marins, au moins une fois dans leur vie… hmmmm… Tu es revenu sur terre dans l'enveloppe d'un moine mendiant, mais cette vie a été courte car tu as voulu faire la guerre. Un cavalier mongol est venu te trancher la gorge, durant ton sommeil. Il te poursuivra encore sous une autre forme, mais cette fois, il ne parviendra pas à te tuer… Puis, tu es devenu un grand loup gris. Tu vivais en Sibérie, sur le territoire des Yakuts. La meute qui t'avais élu pour chef était la plus puissante et la plus redoutée. Les Yakuts t'avaient surnommé Khammad Zhatazan, celui qui court en riant. Tu as vécu très longtemps… Après cela, tu étais un barbier slovaque sans intérêt. Tu mentais à tout le monde et ta jambe gauche te faisait souvent souffrir. Aussitôt après ta mort… Aussitôt après cette mort, tu t'es réincarné en un beau jeune homme italien. Tu vivais à Pise et tu étais très riche. Ta vie était une longue suite de fêtes. Mais tu pêchais par égoïsme. Tu aimais la chasse et le vin. Tu aimais aussi les chiens et tu savais leur parler… Et les femmes t'ont aimé parce que tu étais riche et beau, et que souvent, tu leur parlais comme on parle aux chiens… Hmmmm… je suis fatiguée.
- Oh ! non, protesta Vladimir. Parle-moi encore.
- Soit, puisque tu le demandes… Voyons… ah ! voilà qui est intéressant. Il y a deux siècles, tu étais un grand magicien à la cour du roi de France. Tu étais très savant, mais tu avais trop d'orgueil. Les jaloux ont eu raison de toi et ils t'ont vendu aux Barbaresques pour dix pièces de bronze. »
La vieille femme s'interrompit et se frotta lentement les yeux. Elle poussa un profond soupir et se pencha à nouveau sur la boule.
« Et alors ? la pressa Vladimir.
- Alors… tu es devenu le confident du sultan et tu l'as guéri d'une maladie qui lui faisait perdre ses cheveux et sa barbe par touffes entières. Tu avais les yeux gris, en ce temps-là…. Hmmmm… je ne peux plus continuer, je suis trop fatiguée…
- Si, encore ! encore !
- Non, c'est terminé. Je t'en ai déjà trop dit. Il faut maintenant que tu entreprennes ta vie présente. Elle sera longue et te demandera beaucoup de travail. Va, maintenant. Il faut que je me repose.
- Est-ce que je peux aller voir Yasmi ?
- Bien sûr. Elle t'apprendra peut-être d'autres choses.
- Je pourrai lui parler ? demanda Vladimir avec émerveillement.
- Certainement, à condition que tu ne l'ennuies pas avec des questions de petit garçon. N'oublie pas que c'est une princesse. Il faut lui parler en prince.
- Je ne suis pas prince, s'étonna l'enfant.
- Tu l'es bien plus que tu ne pourrais le croire. »
Puis, tandis que la bohémienne croisait ses bras sur le guéridon afin d'y poser sa tête, Vladimir sortit de la tente en courant et se précipita vers Zoltan.
« Je veux parler à la princesse Yami, mais ses oreilles sont trop loin de moi. Comment faire ?
- Grimpe dans un arbre, répondit Zoltan. Je demanderai à la princesse de s'en approcher afin que vous puissiez discuter en secret. »
Et c'est ce qui fut fait. Avec l'aide de Zoltan, de Vorka et de l'hercule qui s'érigèrent en pyramide, Vladimir se hissa dans la grande et confortable fourche de son chêne favori, tandis que Mourka amenait la girafe à sa hauteur. Puis on les laissa seuls. Debout, à l'angle de la galerie couverte qui cernait la maison, Ivan observait son fils et se sentait envahi d'une vaste bouffée de tendresse, un sentiment que ses enfants lui avaient rarement inspiré. Baïla s'approcha et lui prit la main. Ensemble, ils regardèrent le jeune prince qui parlait à la princesse en faisant de grands gestes. Désignant Vladimir d'un mouvement de la tête, Ivan demanda avec un sourire :
« Crois-tu qu'il entend également des réponses ? »
Baïla lui serra la main en silence et, lentement, elle posa sa tête sur l'épaule de son compagnon.
Lorsque le soir arriva, il fallut quérir une échelle afin de redescendre Vladimir. Pris en berceau par les larges branches de la fourche et probablement épuisé des merveilles de cette journée, il s'était assoupi. On le porta dans sa chambre en prenant soin de ne pas le réveiller. Là, Baïla lui apporta une assiette de viande et de galettes qu'elle lui servit à la becquée, et que l'enfant avala sans sortir complètement de son sommeil.
Le lendemain, lorsqu'il sauta hors du lit, les bohémiens étaient déjà repartis. Sans les restesde feux mal éteints qui fumaient encore dans le parc, Vladimir aurait pu croire qu'il avait rêvé la visite des magiciens au lieu de la vivre… Mais plus tard, bien plus tard, il se dirait qu'à tout prendre, vivre ou rêver, c'est un peu la même chose.
Il suffit d'y mettre un peu d'application.
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Qu'il me fut agréable de voyager en compagnie de Vladimir Roubaïev, j'ai assisté à sa naissance peu ordinaire, écouter l'histoire de ses ancêtres, côtoyé ses amis et connaissances, parcouru avec lui les terres ukrainiennes et russes, vécu ses premières amours et le vit devenir un homme. Tout cela sous la plume de Serge Lentz, journaliste, grand reporter, il est parti chercher de par ses origines slaves une histoire passionnante, un conte empreint de fantaisie, d'histoire, de légendes. Arrivé au bout de ces 450 pages, j'ai de la peine à me séparer de ces personnages et ils vont encore m'accompagner quelques temps dans ma mémoire avant que d'autres ne les remplacent. Cette histoire pourrait pourtant paraître bien anodine à certains mais elle est tellement bien racontée avec style qu'elle m'a ravie. Je remercie l'inconnu(e) qui l'a placé dans cette boîte à livres où elle va retourner afin de faire, je l'espère, le plaisir de quelqu'un d'autre.
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L'érudition jamais pesante de l'auteur est mise en service récit haut en couleur. Difficile de résister à l'épopée de ce Vladimir, géant russe au coeur tendre, vadrouillant entre la glaise froide et la brutalité sanglante de la Russie des Tsars, et les Provinces de l'Irréel ; difficile de ne pas succomber à l'appel de ces personnages truculents qui se meuvent sur les vastes plaines d'Ukraine.

Un livre joyeux, qui a l'ampleur des grands romans russes sans jamais en avoir la pesanteur...
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VLADIMIR ROUBAÏEV de SERGE LENTZ
Un roman d'aventures, celles de Vladimir bon géant ukrainien, naïf et bon vivant. On est dans la Russie des tsars, loin de la capitale, souvent oubliés de tous. Fils d'Ivan, capitaine sans régiment, élevé par une femme juive, c'est dans la truculence que Vladimir va grandir. Un récit haut en couleurs qui dans ses descriptions de la vie quotidienne n'est pas sans rappeler le grand Dostoïevski. Prix Interallié 1985 , un livre très agréable à lire, bourré d'humour.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Le Vent ! Rien, sur cette terre, ne vient de si loin et ne respire avec autant d’immensité et de passion que le vent de l’Ukraine. Il débouche en hurlant du Golfe de Finlande, amenant avec lui le froid craquant de la Baltique. A Saint Pétersbourg, il écarte les relents putrides des marécages, marque une pause et tournoie dans les taffetas des élégantes dont il emporte les parfums sucrés en repartant vers le Sud. Il descend et draine avec lui l’odeur des boues de la Volga, les derniers soupirs des morts de Novgorod, les épais nuages d’encens échappés des églises de Moscou, les paillettes d’or arrachées aux bulbes de Kiev, il survole les steppes infinies, arrive enfin sur la Mer Noire et apporte la vie aux bateaux en gonflant leurs voiles par l’arrière.
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"Que les choses paraissent donc dérisoires lorsqu'on les observe avec autant de recul qu'il m'a été donné d'en avoir. Je crois que l'aspect le plus déroutant des existences trop longues est de mettre en relief l'absurdité des répétitions. Nous ne cessons de vivre les mêmes chose, encore et toujours."

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Puisque ses parents, d'abord, et son mari, ensuite, lui disaient toujous qu'elle n'ouvrait la bouche que pour dire des bêtises, elle résolut un jour de ne plus parler à personne, sauf à Dieu. Et dans la communauté, tout le monde se mit à plaindre Dieu.
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Et puis, je ne peux plus supporter de voir tous ces vieillards autour de moi. Ils sont mous, traînants, indécis, ils ont des faces ridées comme les pommes de l'an passé et cela m'ennuie. Je sais bien que je suis plus âgé qu'eux tous, mais moi je ne suis pas vieux. C'est toute la différence.
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"La volupté, Fréda, la Volupté ! Il n'est rien de plus étrange et de plus indéfinissable que la volupté, à tel point qu'on ne sait plus si c'est un sentiment ou une impression. Il ne faut pas croire ce que disent les poètes et les vantards; la volupté, cela s'explique si mal qu'on serait en droit de se demander si cela existe."
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