PEUPLER LA PRISON
Il était le juge. Les cinq geôliers amenèrent le prisonnier.
Le juge regarda les yeux affamés du prisonnier.
Il y vit des fleuves, des prairies, des coteaux, quelques
fleurs, et aussi des oiseaux qui les parsemaient. Puis il
regarda les yeux gris des geôliers. Il n’y vit que des judas,
des serrures séparées de leurs clefs, et des murailles. Le
juge parla : Que le prisonnier s’en aille récupérer son
fleuve, sa plaine et ses oiseaux. Il suffit de geôliers
pour peupler la prison.
LE BIEN
QUE RIEN NE CONTIENT
Il avait son bien. C’était le seul bien qui lui importait.
Rien ne pouvait le contenir, ni une poche, ni la paume
de sa main. On pouvait, parfois, en capter une trace
dans ses yeux. Il voulait partir. Partir avec son bien. Il fit
ses valises. Aux barrières les douaniers lui dirent : Vous
ne pouvez pas passer ce que vous avez. Ils n’avaient pas
ouvert ses valises. Il s’en revint avec son bien. Il se fit couper
un vêtement sans plis, ni poches, et se présenta aux
barrières, sans bagages. Les douaniers lui dirent : Vous
ne pouvez pas passer ce que vous avez. Il s’en retourna.
Mais il lui fallait vraiment partir. Avec son bien. Alors il
alla, nu, aux barrières. Les douaniers lui dirent : Vous
ne pouvez pas passer ce que vous avez. Il demeura nu.
Avec son bien. Que rien ne pouvait contenir.
Andrée Chédid ; 2
2ème
entretien avec
Andrée CHÉDID mené par
Catherine PONT HUMBERT à l'occasion du Printemps des poètes.
Andrée CHEDID :
Ses
textes en
anglais et en français au début de sa carrière d'écrivain. Ses
poèmes en français "Textes pour une figure" appréciés par
René CHAR et publiés par
Guy LEVIS MANO. La simplicité de son écriture. L'importance de l'émotion. Les effets de
la poésie...