Un essai très intéressant, au titre emprunté à une nouvelle de
Vladimir Nabokov, en forme de promenade/réflexion, au musée du Louvre. Voir et savoir regarder les oeuvres, oui mais lesquelles, et surtout comment ? Quelle relation établir avec le tableau ? Quelle distance garder avec le commentaire savant ? Qu'est-ce qu'un chef d'oeuvre ? Autant de questions que nous nous posons tous, évidemment, et qui sont abordées dans ces pages.
Pas d'exercice obligé d'admiration – rassurez-vous – pour
Henri Lewi, dont on apprend quand même un peu à discerner les préférences. Faire apparaître le poids de l'appareil à penser les oeuvres, telle est l'une des intentions. Certaines parmi les grandes oeuvres emblématiques du Louvre s'y prêtent : Delacroix (« La Mort de Sardanapale », 1827),
Léonard de Vinci (« La Vierge à l'enfant avec Sainte Anne », commencée vers 1500 et terminée dix neuf ans plus tard !), Poussin (« La Peste d'Asdod », 1630-1631) et Rembrandt (« Bethsabée au bain tenant la lettre de David », 1654), accompagnent parfaitement les réflexions de l'auteur sur la question – mais beaucoup d'autres encore sont examinées. La visite, sur ce plan là, enrichit l'esprit et ne peut décevoir.
Réflexion très personnelle, plutôt lucide, axée sur le rôle tenu par le verbe et la place dévorante prise par les commentaires pléthoriques et savants dans l'élaboration et la construction du discours sur l'art, l'esthétique et la création artistique, façonnant notre connaissance et parfois nos vues dans le domaine de la peinture en particulier. Face à cet appareil intellectuel envahissant, au détriment des oeuvres selon l'auteur, quelle place reste-t-il pour la subjectivité résiduelle d'un non initié ? C'est le véritable sujet, au fond, de cet essai qui semble vouloir ranimer discrètement les feux d'une plus subtile et mystérieuse rencontre entre l'amateur sans bagage et l'oeuvre d'art. Est-ce possible ?
« On peut se demander, s'il n'y a pas dans l'étude universitaire d'une oeuvre, littéraire ou plastique, de quoi entraver son effet naturel ? »
Difficile d'ignorer ce savoir, mis en place par l'institution muséale elle-même [autour des cartels (pas toujours à jour), descriptifs et autres brochures, mais aussi expositions, études et manuels, catalogues fournis au public] et qu'appuie la recherche scientifique, avec des moyens de plus en plus étendus et sophistiqués (cf. l'expo sur la restauration de la Sainte Anne de Léonard, en 2012, largement évoquée), produisant un discours venu principalement de spécialistes en sciences humaines (histoire, histoire de l'art et sociologie etc.). Quelle est sa légitimité, sa nécessité même, et jusqu'où l'admettre dans l'interprétation des oeuvres, compte tenu des incertitudes irréductibles pesant sur l'acte créateur ? C'est en somme cet édifice que tente d'ébranler
Henri Lewi, au fil de ses haltes picturales pas désagréables du tout, même si un tantinet raisonneuses, parfois ; ajoutant lui-même inévitablement au passage, il faut bien le dire, du commentaire aux commentaires : ainsi du rapprochement fort réussi entre
Madame de la Fayette et Nicolas Poussin au Grand Siècle. L'agrégé de lettres classiques maniant la formule latine n'est jamais loin. Sic transit gloria mundi!
La visite s'effectue au pas de charge et sans trop de poses. Ailes Denon, Sully et Richelieu… enfilades de galeries, escaliers roulants, ascenseurs, parcours au gré des « appels » lancés par les tableaux ou par les peintres :
Les nombreuses oeuvres devant lesquelles il s'arrête sont l'occasion pour les besoins de sa démonstration d'un inventaire critique des diverses sources écrites produites à leur sujet (on peut d'ailleurs discuter du choix retenu par l'auteur) – quelques références citées datées des années 60/70 permettent de mesurer l'ampleur de la variabilité et de la fragilité d'hypothétiques interprétations, ainsi que d'en relativiser de plus contemporaines (Arasse se trouve épinglé). Force est de constater que cette luxuriance verbale ressemble souvent à un excès verbeux (fumeux verbiage) qui se délecte de lui-même. c'est convaincant.
« Faut-il absolument parler de peinture ? » (p. 185)
… Quand tout porte à se taire, (c'est moi qui ajoute).
Saturation d'écrits et commentaires faisant en effet écran à l'oeuvre d'art. Si l'on suit volontiers
Henri Lewi dans sa quête de "l'effet naturel" d'une oeuvre, il reste quelques doutes sur l'aléa de sa survenue. La néophyte que je suis et entends rester préfèrera toujours en matière d'ecrits la surabondance à l'indigence. Sur le chemin des arts la rencontre (rare) avec l'oeuvre « au naturel » peut bien s'accorder avec une connaissance périphérique (encombrante) dont le contact naïf éperonne aussi certaines curiosités. Une belle lecture.