Disons le franchement : publier ce petit opus n'était sans doute pas le meilleur service à rendre à la postérité de
Jack London (1876 – 1916), de son vrai nom John Griffith Chaney.
L'intention était pourtant louable : faire éclore, derrière la figure tutélaire de l'auteur de L'Appel de la Forêt (1903) et de
Croc-Blanc (1906), romans pour lesquels London est principalement connu en France, l'image d'un écrivain engagé et militant, socialiste de la première heure et ardent défenseur de la cause ouvrière. A l'antithèse de ses grands romans d'aventures consacrés au Grand Nord et à la nature sauvage, London publiera en effet tout au long de sa vie des oeuvres politiquement engagées telles que le Peuple de l'abîme, qui décrit l'extrême misère des bas-quartiers londoniens, Les Vagabonds du rail, consacré à la marche de « l'armée industrielle » du « général » Kelly sur Washington en 1894, ou encore
La Vallée de la Lune, roman qui évoque les luttes sociales d'un couple d'ouvriers.
C'est ce London « engagé » que le petit livre (104 pages) de
Laurent LD Bonnet s'attache à faire découvrir au lecteur, qui bien souvent ne connaît de
Jack London que les grands classiques rangés dans la catégorie « romans d'aventures » des bibliothèques. En cela l'intention est bonne ; malheureusement le résultat est loin d'être à la hauteur des attentes suscitées.
Premier écueil, et pas des moindres : pour brosser son portrait de « l'Engagé », L. Bonnet appuie son argumentaire sur de nombreux extraits du roman
le Talon de fer (The Iron Heel), paru aux États-Unis en 1908 (1923 pour la première traduction française). Or
le Talon de fer, dystopie décrivant la répression impitoyable d'une révolution socialiste par une oligarchie totalitaire aux États-Unis, est très certainement le roman le plus scandaleusement méconnu de London. Difficile donc, pour un lecteur néophyte, d'entrer pleinement dans la démonstration…
Second écueil – qui m'a personnellement le plus gêné – dès les premiers paragraphes de son livre, L. Bonnet instaure un dialogue de pair à pair avec London. Si le procédé est plaisant au départ, il s'avère très vite biaisé en ceci que l'auteur cherche à inscrire London dans une contemporanéité pour le moins hasardeuse. le propos est simple, sinon simpliste : entre la société fustigée par London dans ses écrits politiques et notre 21ème siècle, rien ou presque n'aurait changé. Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, nous serions sous la coupe d'une oligarchie motivée par la seule volonté de perpétuer le système qui assure sa prospérité et verrions nos libertés réduites progressivement par des États autoritaires.
Le relent conspirationniste de cette idée d'un « état profond » (deep state) qui oeuvrerait secrètement à l'asservissement des citoyens au profit d'une élite économique est pour le moins nauséabond. Mais L. Bonnet s'y cramponne, convoquant les thématiques du Talon de fer pour essayer de démontrer qu'une menace similaire plane au-dessus de nos têtes. Il interpelle ainsi directement
Jack London : « Que penses-tu de mon époque ? Ausculte-la… Vois-tu comment d'un fait pandémique [NDA l'épidémie de Covid], très loin d'en périr, l'esprit-boulanger fait commerce ? Et comment, s'étant emparé de l'usage de la grande peur archaïque, sommant l'humanité de se prosterner devant le dogme d'une Gravité Totale, il abolit jusqu'au discernement des plus éclairés, faisant d'un providentiel virus ennemi un Cheval de Trois en nos consciences ? »
Convoquer
Jack London pour faire le parallèle avec l'épidémie de Covid et la dérive autoritariste supposée d'un État jouant sur la peur pour asservir ses citoyens, il fallait tout de même oser : on ne trouve pas pire sur les forums conspirationnistes qui pullulent sur Internet…
Nous sommes à la page 56 du livre. le texte de L. Bonnet s'arrête une vingtaine de lignes après. Il reste 50 pages, et je découvre avec une sorte de stupéfaction atterrée qu'elles sont consacrées à la reproduction d'extraits de chapitres du Talon de fer : Les Philomathes (cinquième chapitre) et le rugissement de la bête (vingt et unième chapitre). Après ce « rugissement », silence assourdissant. C'est fini. Vous pouvez refermer le livre et rester, comme moi, avec cette impression dérangeante d'avoir lu la préface d'un roman dont on vous aura fait l'aumône de deux chapitres.
Quel est l'intérêt d'un tel remplissage ? Rendre publiable un texte qui sinon se serait résumé à un fascicule d'une cinquantaine de pages ? Fournir au lecteur ignorant du Talon de fer la matière brute à partir de laquelle L. Bonnet construit son brûlot « révolutionnaire » ? Attiser l'intérêt pour un roman qui est par ailleurs publié chez le même éditeur dans une édition intégrale ?
Je me perds en conjectures… Toujours est-il qu'au prix de 14 €, ce livre-préface est un objet de déception et de frustration. Si tant est qu'il soit d'un quelconque intérêt, ce dont je doute personnellement, le texte de
Laurent LD Bonnet aurait pu trouver sa place en tant que postface de l'édition intégrale. Ici, isolé de son substrat d'origine, il n'offre que peu d'intérêt et ne parvient même pas à jeter un éclairage intéressant sur le dimension politique de l'oeuvre de
Jack London.
Une lecture dispensable.
NOTE : j'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique. J'en remercie chaleureusement Babelio et les éditions Les Défricheurs.