Une grosse claque, un livre coup de poing.
Edouard Louis alias Eddy Bellegueule nous plante le décor dans le titre "
En finir avec Eddy Bellegueule". Dans son premier magnifique roman autobiographique : la naissance de quelqu'un d'autre, la volonté de fuir sa condition d'origine.
Du haut de ses 21 ans, il nous narre avec une très grande sincérité sa vie, son cheminement jusqu'aujourd'hui. Brillant, étudiant en sociologie, il règle ses comptes avec son enfance et son adolescence jusqu'à l'avènement d'un écrivain très prometteur.
Tout pourtant le prédestinait à un avenir peu brillant. Né dans un village de Picardie - comme il en existe bien d'autres en France profonde ou dans nos Ardennes - où l'on quitte généralement l'école à 16 ans pour suivre le chemin des pères : être ouvrier à l'usine, c'est comme cela de génération en génération.
Pour les filles, en général, pas d'études, elles deviennent caissières, coiffeuses, femmes au foyer et surtout mères, très jeunes. Elles épousent des gars du village ou des environs, il n'y a pas beaucoup d'autres perspectives.
"Tout se passe comme si, dans le village, les femmes faisaient des enfants pour devenir des femmes, sinon elles n'en sont pas vraiment. Elles sont considérées comme des lesbiennes, des frigides."
"Quelques-unes travaillent, mais la plupart du temps elles gardent les enfants Je m'occupe des gosses et les hommes travaillent, ils bossent à l'usine ou ailleurs, le plus souvent à l'usine qui employait une grande partie des habitants, l'usine de laiton dans laquelle mon père avait travaillé et qui régissait toute la vie du village."
Eddy nous dépeint les conditions sociales très précaires, un
Zola du vingtième siècle.
Son grand-père était violent et alcoolique, cela a laissé des traces chez son père qui se veut être un dur, ne sait pas laisser transparaître ses sentiments. Que faire au village à part boire un verre avec les copains au bistrot du coin et regarder la télé.
Eddy est différent depuis toujours, un peu "maniéré" , il parle avec une vois aiguë en faisant de grands gestes. Il ne comprend pas qui il est. Il est quotidiennement harcelé au collège par deux élèves. Il vit la peur au ventre, la peur que l'on sache qu'il se fait violenter quotidiennement, plus que la peur: la honte.
"Quand je me réveillais, la première image qui m'apparaissait était celle des deux garçons. Leurs visages se dessinaient dans mes pensées, et, inexorablement, plus je me concentrais sur ces visages, plus les détails - le nez, la bouche, le regard - m'échappaient. Je ne retenais d'eux que la peur."
"Quand elle a fait de nouveau irruption elle ne m'avait donc pas quitté. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle resurgisse. Je pensais que la honte que nous partagions, moi, mes parents et mes copains, était trop puissante, qu'elle empêcherait qui que ce soit d'en parler et qu'elle me protégeait. Je me trompais."
Il découvrira son homosexualité , passera de la négation, du dégoût, à la honte, en assumant et comprenant qui il est.
"En rentrant chez moi je pleurais, déchiré entre le désir qu'avaient fait naître en moi les garçons et le dégoût de moi-même, de mon corps désirant."
"Je ne me lavais plus les mains quand elles étaient imprégnées de l'odeur de leurs sexes, je passais des heures à renifler comme un animal. Elles avaient l'odeur de ce que j'étais."
Ce livre est très fort et très prenant, je l'ai déjà dit mais c'est évident quelle sincérité. Il dépeint une réalité sociale, la précarité, le manque d'hygiène et d'éducation, le chômage, sans misérabilisme. Il nous décrit son mal être, sa peur, sa honte, la découverte de son homosexualité, le rejet, l'envie de sortir de ce milieu.
Par l'écriture
Edouard Louis s'évade, il grandit, il nous livre crûment, durement, les propos entendus dans son enfance, ce qui apporte encore de la véracité, de l'authenticité au récit.
Veut-il par ce livre renier son milieu social ou au contraire mettre en lumière une réalité toujours présente ? Est-ce un essai sociologique ?
Quoi qu'il en soit ce livre est prometteur, une maturité et une richesse de vocabulaire incroyable. Une écriture parfois "rustre", "rêche" mais qui décrit bien les conditions de son enfance, sans tomber dans les clichés et le pathos.
Encore une fois un livre sur la résilience sur la volonté de se sauver par l'écriture. Un écrivain en devenir à suivre de très très près.
A lire au plus vite.
Ma note 9.5/10
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