Que dire : il est proprement incompréhensible que cette passionnante correspondance de Machiavel, qui brille à tout instant par son intelligence, son humour, sa profondeur d'analyse, soit devenu totalement indisponible en France et que personne ne songe à la rééditer. Car outre son indéniable valeur littéraire, voila un document d'une valeur exceptionnelle, historiquement, sociologiquement et j'en passe qui n'est plus lu par personne dans les universités et grandes écoles de ce pays.
Rien d'étonnant ensuite, à ce que l'on se trouve confronté à des pseudo-historiens alignant sottises et bévues , quand ils prétendent disserter au sujet de Machiavel et de sa pensée politique.
Commenter  J’apprécie         50
10 janvier 1503 à Torsiano – Aux Dix de Pouvoir
Ce Seigneur (César Borgia) m’a fait appeler aujourd’hui. Il m’a dit : « (…) Tu vois où j’en suis avec ces gens-là qui étaient nos ennemis communs : les uns sont morts, les autres captifs, le reste en fuite ou assiégés chez eux et, entre autres, Pandolfo Petrucci, qui doit être le dernier objet de notre entreprise et nous assurer la tranquillité commune : il est nécessaire de le chasser de Sienne, car avec le cerveau qu’il a, l’argent qu’il peut gratter, la place-forte qu’il occupe, il serait, dans le cas où il se maintiendrait debout, une étincelle capable de causer les plus grands incendies ; il nous faut donc au lieu de dormir sur nos lauriers, l’assaillir totis viribus ; je ne considère pas comme difficile de le bouter hors de Sienne, mais c’est entre mes mains que je voudrais l’avoir. Et c’est pourquoi le pape l’endort à force de brefs, lui démontrant qu’il se contenterait qu’il voulût bien ne regarder comme ses ennemis que les ennemis du Saint-Siège, etc., cependant que je pousse mes troupes en avant, car il est bon d’engeigner les maîtres en traîtrise. (…) Je suis décidé en effet, maintenant que j’ai privé mes ennemis de leurs armes, à les priver également de leur cerveau, lequel n’était autre chose que Pandolfo avec toutes ses ruses. »
EN AMBASSADE AUPRÈS DE CÉSAR BORGIA (1503)
On a trouvé ce matin sur la place messire Ramiro, en deux tronçons; il y est encore, et toute la population d'ici a eu loisir de le voir: on ne sait pas bien pourquoi il a été mis à mort, hormis que tel a été le bon plaisir du Prince qui montre ainsi à tous qu'il peut faire et défaire les hommes à son gré, selon qu'ils le méritent.
AUPRÈS DE CÉSAR BORGIA
Je prie donc la Seigneurie de m'excuser, en faisant réflexion qu'ici la politique n'est pas devinette facile, et que nous avons affaire à un prince qui gouverne par lui-même : pour ne pas s'exposer à mander des rêveries, il faut étudier le terrain.
A LA COUR DE FRANCE
Ces gens-là voudraient bien, sous couleur de dire qu'on a eu des torts des deux cotés, partager avec vous ce qui est leur tort à eux tout seuls.
Émission “Une vie une oeuvre” dirigée par Martin Quenehen. “Nicolas Machiavel, storico, comico e tragico” : première diffusion sur France Culture le 10 avril 2008 (rediffusée le 31 janvier 2015). L'auteur du “Prince” n'est pas le cynique que dépeint sa légende noire. Il fut plutôt un homme libre et un fervent républicain, au sourire en biais... Peinture : Cristofano Dell'altissimo, “Portrait de Nicholas Machiavel”. Par Simone Douek. Réalisation : Dominique Costa. Attachée de production : Claire Poinsignon. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque centrale de Radio France. 1ère diffusion : 10/04/2008.
“Historien, comique et tragique” : c'est ainsi que se désigne lui-même Machiavel, en signant une lettre adressée à son ami Guichardin à propos des événements de 1525, et des temps troublés où Charles Quint assure sa mainmise sur la péninsule italienne.
Historien, il n'a cessé de l'être, depuis les années où, nommé secrétaire à la chancellerie florentine, il effectue des missions diplomatiques à l'extérieur : il scrute alors la vie politique de Florence et des pays où il se rend, il l'analyse, il l'écrit, éclairé par la lecture des Anciens. Et ce, jusqu'à la fin de sa vie, puisque toute son œuvre est générée par ses activités politiques qui suscitent chez lui discours, commentaires, réflexions, pour aboutir à ce dernier grand texte, commandé par Jules de Médicis devenu le pape Clément VII, que sont les Histoires florentines où il traite de l'histoire toute contemporaine de Florence.
Comique, celui qui écrit aussi des pièces de théâtre dont la plus connue, “La Mandragore”, retrouve, à travers le rire et les personnages créés, des échos de la politique et de la vie publique dont il ne peut jamais vraiment s'éloigner.
Tragique, comme sa description de la réalité des hommes, comme le destin et les qualités qu'il prête au Prince, qui “ne peut fuir le renom d'être cruel”. Et ce froid réalisme politique a engendré le mot “machiavélique”, quand il faudrait plutôt expliquer ce que “machiavélien” veut dire.
Avec :
Corrado Vivanti, auteur de “Machiavel ou les temps de la politique” (éd. Desjonquères)
Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, traducteurs du “De principatibus, Le Prince” (éd. PUF)
Françoise Decroisette, professeur de littérature italienne, spécialiste du théâtre italien, traductrice
Myriam Revault d'Allonnes, professeur des universités à l'EPHE, auteur de “Doit-on moraliser la politique ?” (éd. Bayard)
Thème(s) : Arts & Spectacles| Politique| Renaissance| Nicolas Machiavel
Source : France Culture
+ Lire la suite