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Espace Nord (01/01/1894)
4.45/5   11 notes
Résumé :
Un vieillard et un étranger observent à distance le bonheur d'une famille et tardent à leur annoncer la mauvaise nouvelle dont ils sont porteurs.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
J'avais déjà annoncé Intérieur comme formant un diptyque avec L'Intruse. Néanmoins, les deux pièces sont séparées par quatre années dans leur composition, et Intérieur a été publié en 1894 dans un recueil qui comportait également Alladine et Palomide ainsi que La mort de Tintagiles, recueil intitulé Trois petits drames pour marionnettes. Je reviendrai dans une future critique sur la conception de Maeterlinck du "théâtre de marionnettes", qui ne signifiait nullement qu'il souhaitait voir ses pièces montées avec des marionnettes. D'ailleurs, ces pièces n'étaient pas destinées à la scène, et Intérieur n'a été que très peu jouée.


Revenons-en donc à cette parenté qu'il existe entre L'Intruse de 1890 et Intérieur. Dans les deux, il est question de l'approche de la mort, mais nous avons vu ailleurs que le sujet est abondamment traité par Maeterlinck dans ses pièces symbolistes. Ce qui rapproche beaucoup ces deux-là, c'est d'abord leur rapport avec le "tragique quotidien" cher à Maeterlinck ; ce sont les deux pièces où ce concept est le plus aisément abordable. Si dans L'Intruse nous étions coincés avec les personnages dans une maison où la mort rôdait déjà, dont les protagonistes avaient plus ou moins conscience selon leur degré de clairvoyance, ici, le procédé est inversé. le décor est partagé en deux, l'extérieur, en l'occurrence un jardin, et l'intérieur, à savoir une maison paisible dont les personnages de l'extérieur - qui sont eux-mêmes des spectateurs, ben oui - voient, et même regardent, et même scrutent, les habitants. C'est que les deux personnages dans le jardin, auxquels s'adjoindront peu à peu d'autres, sont là pour annoncer la mort de la fille aînée de la famille. Or, à regarder ces personnes paisibles, le vieillard, qui les connaît bien, hésite sans cesse à frapper à la porte pour s'en aller détruire le bonheur tranquille qu'il a sous les yeux. Quant à l'étranger, qui a trouvé le corps de la morte dans le fleuve et l'en a sorti, il aimerait que cette attente se termine, et pourtant, il hésitera lui aussi à l'idée de briser cette famille. de fait, c'est au vieillard que revient la fonction d'annonciateur, par sa proximité avec les habitants de la maison. Rien de plus, rien de moins. On ne parle pas de drame statique pour rien à propos de Maeterlinck : tout se déroule dans ce jardin. Il ne se passe rien en apparence, d'où l'adjectif "statique", tout se déroule dans les esprits plus ou moins tourmentés, plus ou moins sensibles à ce quelque chose d'indicible qui règne ici comme dans tout dans le théâtre symboliste de Maeterlinck, d'où le terme de "drame".


Dans Intérieur comme auparavant, Maeterlinck s'est encore renouvelé sur le plan dramaturgique, donc. Mais surtout, comme je le mentionnais, jamais il n'a autant approché d'aussi près le sujet du tragique quotidien, y compris dans L'Intruse. D'abord parce que la maison est revêtue d'un manteau de tranquillité familière, alors que dans L'Intruse on s'inquiétait pour une malade. Ici, on est même soigneusement enfermé, les fenêtres sont closes, on barricade la porte : on s'y sent à l'abri. Ce n'est pas pour rien que Maeterlinck avait pensé intituler la pièce Sous la lampe, Soir familial, ou Tranquillité, entre autres, tous les titres potentiels renvoyant à cette idée du bonheur simple et paisible. Seulement voilà, le début de la pièce se situe à un point de bascule où la tragédie n'a pas encore frappé la famille, mais est imminente. On a beau s'enfermer, on ne peut pas se protéger de tout, et certainement pas de la mort.


Ce qui renvoie également au tragique quotidien, du moins tel que je le comprends - Maeterlinck ayant commis un essai sur le sujet, où il écrivait "N'est-ce pas quand un homme se croit à l'abri de la mort extérieure que l'étrange et silencieuse tragédie de l'être et de l'immensité ouvre vraiment les portes de son théâtre ?" -, c'est l'histoire même de la mort de cette jeune fille. On la croyait partie voir son aïeule de l'autre côté du fleuve (et vous ne serez pas étonné d'apprendre que Maeterlinck a pensé avec ce détail au conte du Petit Chaperon rouge), et pourtant, on l'a vue errer au bord de l'eau toute la journée, pour la retrouver noyée. Si le vieillard refuse de dire les choses telles qu'elles sont, ce que s'apprête au contraire à faire l'étranger, plus pragmatique, il est clair que cette jeune fille sans histoire s'est suicidée. Et ce n'est pas par hasard qu'elle rappelle, par l'image que donne l'étranger de sa chevelure déployée dans l'eau, Ophélie. Suicide qui fait dire au vieillard qu'on côtoie les gens sans les voir, qu'on ne sait pas ce qui se passe dans leur tête, que leur âme est inaccessible et qu'on l'entrevoit seulement au moment où la mort frappe.


Ce qui nous ramène, une fois de plus, à ce mystère insondable qui plane sur les pièces de Maeterlinck et ses personnages, ce monde invisible que peu réussissent à entrapercevoir, et encore faut-il que les circonstances les plus tragiques mènent à cette connaissance, ou à ce début de connaissance. Maeterlinck s'est servi ici d'interactions entre les personnages pour suggérer ce monde invisible. La chevelure deux plus jeunes soeurs, dans la maison, frémit alors que l'étranger parle de la corolle formée par la chevelure de la morte. Ces mêmes deux soeurs sont également le miroir de deux soeurs, Marie et Marthe (oui, comme dans la Bible), entrelacées sur un banc et attendant que le vieillard, leur grand-père, annonce la terrible nouvelle. Et bien entendu, elles renvoient également aux soeurs de L'Intruse ou des Sept Princesses.


Maeterlinck joue également beaucoup sur les antagonismes, ou sur les complémentarités. Intérieur/extérieur ; Marthe (qui s'est occupée de préparer le corps et la procession, qui est par conséquent du côté matériel, pratique) et Marie (qui rejoint et accompagne le vieillard dans son affliction, qui serait donc à première vue du côté émotionnel et spirituel) ; le vieillard qui connaît bien la famille et l'étranger qui n'est là que de passage (beaucoup d'étrangers, d'ailleurs, dans les pièces de Maeterlinck, et toujours porteurs de mort, quand il ne s'agit pas de la mort elle-même) ; le même vieillard, absorbé par des questions d'ordre spirituel, ésotérique même, sorte de médiateur vers le monde invisible, et le même étranger, lui absorbé de manière plus terre-à-terre par la façon dont il faut annoncer la nouvelle à la famille et aux conséquences qui en découleront. Et beaucoup de jeu sur le regard, bien entendu, de l'extérieur vers l'intérieur, mais aussi de l'intérieur vers l'extérieur - et on notera que les regards de l'intérieur vers l'extérieur sont aveugles, soit que le personnage regarde dans le vide (la mère), soit qu'il ne soit pas en mesure de percevoir ce qui arrive (les deux soeurs).


Bref, une pièce sobre dont la lecture doit en rebuter plus d'un, et c'est bien compréhensible - Maeterlinck, c'est un peu comme Duras, on est vite agacé ou envoûté - et tout aussi passionnante, à mon sens une des plus réussies de Maeterlinck, qu'il a travaillée dans un symbolisme abordable (ce qu'on peut difficilement dire d'Axël de Villiers de L'Isle-Adam, par exemple) tout en lui conférant une atmosphère mortifère très prégnante, voire fascinante.

Lien : https://musardises-en-depit-..
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Sans aucun doute, il s'agit pour l'instant de ma pièce préférée de Maeterlinck. L'histoire est simple et la thématique rappelle celle de L'intruse. Ici, une famille paisible à l'intérieur d'une maison ne se doute pas qu'à l'extérieur, dans le jardin, un vieillard et un étranger les observent. Ces derniers sont venus pour leur annoncer le drame de la mort d'une des filles qui s'est noyée. Mais ils tardent à leur faire cette annonce répugnant à troubler leur quiétude. On observe avec les personnages situés dans le jardin la banalité de cette famille avant qu'elle découvre la tragédie qui bouleversera à jamais son existence. On apprend rapidement que la morte s'est sans aucun doute suicidée. le vieillard observe à ce propos qu'on côtoie bien souvent les gens sans savoir réellement ce qu'ils pensent, que sous le couvert du quotidien et des ses banalités se cache parfois de sombres pensées.

Une très belle pièce qui n'a que très peu été mise en scène et c'est bien dommage car la dualité de l'espace et la richesse des propos permettent sans doute d'avoir un rendu très intéressant sur scène.
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Dans Intérieur, le malheur va entrer dans une maison où un père, une mère et leurs deux filles vivent la tranquillité d'une soirée.
Cette famille ne sait pas que leur autre fille, partie le matin pour aller visiter son aïeule, a été retrouvée morte, dans l'eau.
Un étranger de passage l'a vue et avec un vieillard connaissant la famille ils s'approchent de la maison pour annoncer cette nouvelle.
La famille est sans mots, Maeterlinck n'en donne qu'à l'étranger ainsi qu'au vieillard.
On devine une lenteur des mouvements, on ressent la douceur du phrasé ainsi que l'union entre l'être, l'espace et le temps.
La mort et la vie s'unissent dans un même mouvement, vers un même apaisement.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
L'ÉTRANGER. Elle nous regarde...
LE VIEILLARD. Non; elle ne sait pas ce qu'elle regarde; ses yeux ne clignent pas. Elle ne peut pas nous voir ; nous sommes dans l'ombre des grands arbres. Mais n'approchez pas davantage. Les deux sœurs de la morte sont aussi dans la chambre. Elles brodent lentement; et le petit enfant s'est endormi. Il est neuf heures à l’horloge qui se trouve dans le coin... Ils ne se doutent de rien et ils ne parlent pas.
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Videos de Maurice Maeterlinck (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maurice Maeterlinck
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux. […] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes. […] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions. […]" (Roland Jaccard.)
0:14 - Bernard Shaw 0:28 - Julien Green 0:45 - Heinrich von Kleist 1:04 - Georges Henein 1:13 - Ladislav Klima 1:31 - Michel Schneider 1:44 - Hector Berlioz 1:55 - Henry de Montherlant 2:12 - Friedrich Nietzsche 2:23 - Roland Jaccard 2:37 - Alphonse Allais 2:48 - Samuel Johnson 3:02 - Henrik Ibsen 3:17 - Gilbert Keith Chesterton 3:35 - Gustave Flaubert 3:45 - Maurice Maeterlinck 3:57 - Fiodor Dostoïevski 4:08 - Aristippe de Cyrène 4:21 - Générique
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Référence bibliographique : Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration : Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg Julien Green : https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-siecle-d-enfer-de-l-ecrivain-catholique-et-homosexuel-julien-green-8675982 Heinrich von Kleist : https://fr.wikipedia.org/wiki/Heinrich_von_Kleist#/media/Fichier:Kleist,_Heinrich_von.jpg Georges Henein : https://www.sharjahart.org/sharjah-art-foundation/events/the-egyptian-surrealists-in-global-perspective Ladislav Klima : https://www.smsticket.cz/vstupenky/13720-ladislav-klima-dios Michel Schneider : https://www.lejdd.fr/Culture/Michel-Schneider-raco
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