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4,05

sur 1493 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La Montagne magique est un livre lent et qui gagne à être lu lentement. Il fait partie de ses livres dont on ne sait trop s'ils appartiennent au roman ou à l'essai et dont Les somnambules ou L'Homme sans qualités seront le couronnement. L'auteur nous berce tel l'océan avec de fréquents va-et-vient à partir de points d'ancrage, prétextes à des réflexions, à des digressions, sur divers aspects de la vie aussi insolites qu'hétéroclites. L'oeuvre se présente comme un parcours initiatique pour le héros, Hans Castorp, soustrait à la réalité, à l'espace et au temps, dans une sorte de bulle que constitue un sanatorium d'altitude situé en Suisse au début du XXè, peu avant la première guerre mondiale.
À l'origine, Hans Castorp vient rendre une visite de trois semaines à son cousin soigné pour une tuberculose dans cet établissement. Thomas Mann a soin de nous présenter la vision de son héros puis les innombrables modifications qui s'opéreront à mesure que s'allongera son séjour au Berghof. D'abord ancré dans le monde et extérieur à la vie si spéciale du sanatorium et de ses habitués, le regard du jeune Hans Castorp va progressivement, par touches, basculer vers l'intérieur de l'établissement et être totalement déconnecté de la réalité du monde extérieur. Il va multiplier les expériences et les rencontres. Au premier rang desquelles celle de Ludovico Settembrini, pédagogue, démocrate, littérateur et phraseur italien de premier ordre, le médecin en chef Behrens, caustique et pragmatique, puis le remarquable contradicteur de Settembrini, Léon Naphta obscur jésuite, moyenâgeux, théocrate et cynique. Au Berghof, Hans Castorp rencontrera aussi la passion amoureuse pour la belle Clawdia Chauchat qui viendra souvent à l'encontre de ses programmes bien réglés d'éveil au monde sous la houlette de ses mentors. L'auteur désirait, paraît-il, écrire un livre contradictoire avec la vision classique de l'existence, à savoir, la fascination que peuvent exercer la maladie et la mort.
En manière de conclusion, je vais me risquer à donner ma version (je n'ai rien lu là-dessus, cette interprétation m'est toute personnelle) de l'explication du titre où, comme vous vous en doutez, il nous faut revenir à l'allemand. Dans la version originale, La montagne magique s'intitule "Der Zauberberg" et les germanophones trouveront une certaine ressemblance avec tout d'abord "Der Zauberlehrling", à savoir "l'apprenti sorcier" de Goethe que tout le monde connaît et dont le rapport avec Hans Castorp "expérimentant la séduction de la maladie et de la mort" semble assez évident (bien que le roman fasse clairement et ouvertement des appels du pieds à une autre oeuvre de Goethe, à savoir Faust, comme par exemple "la nuit des Walpurgis"), et d'autre part avec "Die Zauberflöte", à savoir "La Flûte enchantée" de Mozart. L'argument de cet opéra n'est pas sans rappeler certains éléments marquants du livre (le héros égaré dans un pays lointain et inconnu, la survenue du portrait de Pamina, qui ici prendrait immanquablement les traits de Clawdia Chauchat et de sa radio des poumons, etc.) et j'ai plaisir à deviner Tamino sous Hans Castorp (vous me donnerez votre avis si vous n'êtes pas d'accord avec moi).
Deux mots encore, ce livre est de ceux qui continuent d'agir en nous bien après que nous les ayons refermés pour le dernière fois et qui jouissent d'un formidable pouvoir d'édification. Il n'est pas spécialement captivant à la lecture et en ceci peut en rebuter certains, quoique je vous encourage vivement à atteindre la fin du livre et notamment la rencontre avec Mynheer Peeperkorn. Mais c'est aussi et surtout un livre sur le temps, son souterrain et impalpable travail, son caractère insaisissable et inéluctable. Mais tout ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose.
Pour finir, voici un petit extrait qui me semble résumer bon nombre des points abordés dans mon commentaire:

"Je suis ici, depuis assez longtemps, depuis des jours et des années, je ne sais pas exactement depuis quand, mais depuis des années de vie, c'est pourquoi j'ai parlé de « vie » et je reviendrai tout à l'heure sur le destin. Mon cousin, auquel je voulais rendre une petite visite, un militaire plein de braves et de loyales intentions, ce qui ne lui a servi de rien, est mort, m'a été enlevé, et moi, je suis toujours ici. Je n'étais pas militaire, j'avais une profession civile, une profession solide et raisonnable qui contribue, paraît-il, à la solidarité internationale, mais je n'y ai jamais été particulièrement attaché, je vous le confie, et cela pour des raisons dont je ne peux rien dire, sauf qu'elles demeurent obscures. Elles touchent aux origines de mes sentiments (...) pour Clawdia Chauchat (...) depuis que j'ai rencontré pour la première fois ses yeux et qu'ils ont eu (...) déraisonnablement raison de moi. C'est pour l'amour d'elle et en défiant Settembrini, que je me suis soumis au principe de la déraison, au principe génial de la maladie auquel j'étais, il est vrai, assujetti depuis toujours, et je suis demeuré ici, je ne sais plus exactement depuis quand. Car j'ai tout oublié, et rompu avec tout, avec mes parents et ma profession en pays plat et avec toutes mes espérances, (...) de sorte que, je suis définitivement perdu pour le pays plat et qu'aux yeux de ses habitants je suis autant dire mort."
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Le contexte est celui d'une société où le travail était le moyen par lequel l'on s'affirmait, l'on existait véritablement. Seul le respect du dur labeur, qui avait presque une nature divine, rendait un homme digne d'intérêt.
Ce conte initiatique met en lumière la nature pure, pudique et un peu naïve d'un orphelin qui se prépare aux études. Son passage hasardeux par un sanatorium représente une découverte de la nature humaine.

La rencontre avec des pensionnaires caustiques, érudits, perturbés, déprimés, lui apprennent beaucoup sur la maladie, la mort, mais aussi sur la condition humaine. La détresse étant aussi une constante dans la vie d'un malade, les espérances vagues, et l'attitude digne face à la souffrance feront naître chez le jeune homme le respect de la souffrance.

Il se verra embarquer dans des discussions sur les principes de philosophie et des théories sociales ainsi que l'activité consciente de l'être humain. Les grandes théories de l'humanisme y sont abordées, principalement l'hostilité du corps contre l'esprit. Notre jeune pensionnaire trouvera des conseils sur les choix à faire dans la vie et comment se tenir à distance des vices.

La vie régulière, monotone et réglée avec précision d'un sanatorium lui insuffleront la patience. Les premiers émois amoureux éveilleront les sentiments de jalousie.
Cet huis-clos pourrait paraître perturbant pour une jeune personne à cause du spectre de la maladie et de la mort qui rôdent autour, cependant dans cet espace exigu il développera envers les autres de la sympathie de l'esprit et du coeur.
Thomas Mann livre un fidèle portrait de l'état d'esprit et de la problématique spirituelle de l'Europe dans le premier quart du XXe siècle.

C'est écrit dans un style assez classique, mais l'intelligence de l'auteur n'exclut pas la sensibilité et nous éclaire sur la genèse des relations, avec précision, mêlant le sens du détail à celui de l'essentiel.


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La montagne magique pourrait ressembler à un conte onirique, une gigantesque parabole invitant le lecteur à porter un regard philosophique sur les mystères de la vie et de la mort, mais aussi sur la maladie et l'amour.
Essai romancé ? Récit romanesque ? Il y a tant de portes qui sont proposées au lecteur que l'on peut s'y perdre, le chemin est tortueux et Thomas Mann ne nous donne pas toutes les clefs, c'est à nous de nous saisir de quelques-unes selon nos affinités ou notre humeur montagnarde.
Certains y verront un pensum indigeste à l'endroit même où d'autres découvriront une source d'inspiration inouïe offrant une vision allégorique et intemporelle du monde, d'autres encore y rencontreront un récit grinçant, caustique, ironisant sur la déliquescence de l'humanité et en particulier de la vieille Europe sur le point de s'embraser dans l'apocalypse de la première guerre mondiale toute proche.
Ce livre est peut-être un puits, à la profondeur insoupçonnée, d'aucuns diront un puits sans fond...
J'ai l'impression d'avoir tour à tour visité toute cette panoplie de sensations. Je l'ai vécue comme une expérience riche et insolite, non dépourvue d'appréhension et d'écueil, qui comptera dans mon parcours de lecteur.
Le roman est lui-même une montagne, le côté magique est peut-être d'en revenir non pas en bobsleigh, comme ceux qui ramènent les morts vers le plat pays d'en bas, mais bien vivant, heureux d'avoir accompli cette ascension vertigineuse.
C'est ma seconde incursion dans ce livre. Lorsque mon amie Anna (@AnnaCan) m'a proposé de l'accompagner dans cette lecture, nous avons privilégié la magnifique traduction de Claire de Oliveira, résultat de cinq ans de travail qui rend le récit beaucoup plus fluide que l'unique traduction initiale, celle d'un certain Maurice Betz qui, reconnaissons-le, avait délivré dans la précipitation un texte bien rêche et qui ne délivrait pas toutes les subtilités ironiques que recèle le roman de Thomas Mann.
Le ressort narratif de la Montagne magique est pourtant simple. Hans Castorp, jeune homme de vingt-trois ans tout juste promu ingénieur décide, avant de rejoindre l'industrie navale, d'aller rendre visite à son cousin Joaquim Ziemssen, au sanatorium de Berghof à Davos. Ce dernier y est en cure, alors qu'il s'apprêtait à s'élancer dans une brillante carrière militaire. Hans Castorp se doutait-il que ce séjour de trois semaines allaient durer sept ans ?
C'est un séjour apparemment anodin qui va bouleverser le cours de sa vie. À la faveur d'un gros rhume et d'une tache humide peut-être ancienne décelée à la radiographie, le départ de Hans Castorp du sanatorium est retardé, c'est le prétexte rêvé pour prolonger son séjour qui va se transformer à son tour en une longue convalescence ; c'est l'épreuve du temps, immobile, qui va s'égrener, là-haut dans la longue répétition des jours et que nous allons suivre. Hans Castorp va se laisser envoûter par cette atmosphère confinée, une forme de réclusion qui finit par devenir désirée, lieu clos avec ses propres règles, ses rituels, tel un lieu monacal. La Montagne magique peut être lu comme le roman de l'enfermement. Ce n'est pas sans me rappeler des récits de SF ou bien certains lieux de la mythologie grecque ou même tibétaine avec des réalités parallèles ou des royaumes invisibles, lorsque le temps n'est plus le même. C'est une zone frontière entre la vie et la mort, qui offre peu à peu une place clandestine à l'amour et l'éveil des sens... J'adore ces univers incertains...
Alors, la maladie devient comme un droit de séjour pour demeurer dans ce lieu d'envoûtement.
Vous voyez, quand je vous disais que La Montagne magique comporte plusieurs portes à ouvrir...
Peut-on qualifier La Montagne magique de roman d'apprentissage, celui de la transformation intérieure d'un anti-héros, Hans Castorp, jeune homme simple et encore un peu naïf et que quelques intellectuels bien intentionnés et qui vont devenir des sortes de précepteurs pour lui vont s'évertuer à déniaiser ? Hans Castorp est une sorte de page vierge au moment où l'on fait sa connaissance.
J'ai aimé voir dans l'enthousiasme de ces premiers chapitres une métaphore de la page blanche qu'il nous reste à écrire, de la métamorphose qui nous emporte parfois dans les méandres de l'existence...
Le thème du temps est majeur, c'est l'expérience d'un temps paradoxal, élastique, il y a le temps d'en bas (le plat pays, celui de la réalité) et le temps d'en haut (le sanatorium, ce monde protégé presque irréel), on pourrait rajouter le temps de la montagne aussi, quasiment éternel. le sanatorium incarne ce temps suspendu, celui d'une contre-société, une société tenue à l'écart du monde. le lieu est à lui seul une variation de plusieurs représentations.
Le temps est peut-être en effet le personnage principal de ce livre. Roman du temps, roman sur le temps... Je vous vois déjà venir. Oui forcément, j'ai pensé à Marcel Proust que je lisais au cours de cette même période de lecture, La Montagne magique est aussi un long récit sur la dilatation du temps, sur la durée, sur la manière de scruter un instant très court et de le faire se prolonger.
Mais là où Thomas Mann nous propose une vision très pédagogique et didactique du monde, Marcel Proust nous offre, lui, une subtile et sensible sensation du monde. C'est sans doute là toute la différence entre les deux écrivains.
Si La Montagne magique est un roman qui ambitionne d'embrasser la vie même, parfois qui trop embrasse, mal étreint...
Cette ascension, si j'en reconnais la puissance magique et vertigineuse, m'est apparue à certains endroits lourdes, indigestes, parfois hermétiques. Mon enthousiasme s'est émoussé, des pages m'ont résisté durant les échanges pour ne pas dire les joutes verbales, - prétexte à de longues digressions philosophiques entre les deux mentors du jeune homme, Ludovico Settembrini le libre-penseur humaniste et Léon Naphta l'idéologue totalitaire, offrant deux visions du monde pour ne pas dire deux visions de l'Europe qui s'apprête alors à être déchirée. Parfois, j'ai eu envie de regarder par la fenêtre du sanatorium la neige tomber au-dessus de Davos pendant que les deux intellectuels dissertaient et s'écharpaient sur leur idéal de monde. Sans compter quelques longues palabres scientifiques qui dévoilaient des idées qui avaient mal supporté l'outrage du temps...
Comme disait naguère Woody Allen, « l'éternité c'est long, surtout vers la fin. » Ces sept années qui ressemblent déjà à l'éternité auraient pu continuer ainsi, si le cours des choses de là-haut n'avait pas été interrompu par le cours des choses d'en bas, à savoir la guerre. Cette rupture brusquement va lier de fait les deux univers...
Mais j'avais besoin de me plonger dans l'imaginaire de personnages dont l'âme me ramènerait par un détour ou par un autre à moi-même, à ma propre identité, ce que je suis, ce que je voudrais être... Je crois pour cela et irrémédiablement au pouvoir romanesque... Et je pense que cette lecture m'aura définitivement ancré dans cette conviction.
Et puis heureusement elle vint dans ce paysage du livre sur son versant romanesque justement et sa présence redonna goût à ma lecture. Elle, Clavdia Chauchat, en convalescence au sanatorium de Berghof elle aussi, jeune femme russe, belle et mystérieuse aux yeux obliques, tout droit venue de son Daghestan natal.
Elle était ce rayon de soleil attisant le désir devant laquelle Hans Castorp, insouciant, mélancolique et transi amoureux faisait preuve de beaucoup d'égarement et de maladresse. Quelques épisodes romantiques, trop peu à mon goût, sont ainsi venus offrir par la présence de ce personnage féminin quelques respirations sensuelles et érotiques à ce texte parfois si abrupt.
Était-elle pour Hans Castorp la fièvre de son corps et le battement de son coeur qui donnaient enfin sens à sa présence ici ? Ce corps humain, radiographié ou non, qui d'une manière générale produit autant la volupté que la maladie et qui tend inexorablement vers la mort... Je ne saurais vraiment le dire, la présence de Clavdia Chauchat dans ce roman restera pour moi autant un mystère insondable qu'un ravissement cruel.
Elle semblait toujours en partance et quand elle revenait, elle était, au goût de Hans Castorp et du mien aussi je dois l'avouer, si mal accompagnée...
Je me demande encore aujourd'hui quelle fut l'intention de Thomas Mann en introduisant ce personnage féminin si insolite dans son récit et qui, dans ce désir amoureux éperdu et incompris échappait sans cesse à Hans Castorp. Peut-être était-elle un trait d'union entre la pulsion de vie et la pulsion de mort...
...
C'était le soir, déjà tard. Je cherchais à rassembler les derniers mots pour conclure mon billet lorsque j'ai senti une présence derrière moi. Je me suis retourné et je l'ai reconnue à ces yeux kirghizes et sa robe de mousseline noire. Pour une fois, elle n'avait pas violenté la porte en entrant dans une pièce.
Elle s'est penchée au-dessus de mon épaule.
« Dis-moi, cher lecteur, parleras-tu un peu de moi dans ton billet ?
- Bien sûr, ai-je répondu, à peine surpris de sa présence. En doutiez-vous ? » Elle sourit, secoua légèrement la tête.
« Je me rends compte que je n'ai été qu'un alibi aux propos de Thomas Mann. Un alibi philosophique aux allures érotiques... »
Tout de même, elle y allait un peu fort pour engager la conversation, comme ça, sous le coup d'une confidence... Elle soupira, puis ajouta en riant d'une voix persifleuse : « Il est vrai que le domaine de l'amour n'est pas celui où cet écrivain excelle. »
À cet instant, je ne sais pas pourquoi j'ai songé à Emma Bovary, Anna Karénine, Jane Eyre, Elizabeth Bennet... J'ai eu un pincement au coeur. J'ai pensé à la solitude littéraire de Clavdia Chauchat...
Je pensais aussi comme elle que Thomas Mann n'aura jamais fait de Clavdia Chauchat une héroïne féminine à part entière, tout juste un effleurement, un fantôme traversant comme une silhouette évanescente ces milliers de pages dressées devant nous comme une montagne infranchissable et qui valut à Hans Castorp de formuler une déclaration d'amour autant imprévue que fracassante. Qui se souviendra de ce nom, Clavdia Chauchat ?
Elle continua de soupirer avec une tristesse dans la voix.
« Il y avait matière à construire un beau personnage féminin, il a fait de moi une personne cruelle, insolente, éphémère, une figurante de passage aux allures de femme gâtée et capricieuse...
- Je vous trouve bien injuste autant à votre égard, qu'à celui de votre créateur. L'histoire entre Hans Castorp et vous pouvait-elle finir autrement ? »
Il est vrai que je n'imaginais pas un seul instant Clavdia Chauchat et Hans Castorp redescendre de la montagne en traîneau à clochettes pour annoncer au plat pays leurs prochaines épousailles.
Mais j'avais une question qui me turlupinait...
« D'ailleurs, à propos de Hans Castorp, je me suis toujours demandé si... » Dans ma confusion, je cherchais mes mots, je balbutiais, je regrettais déjà ma question, j'aurais voulu que la Montagne magique s'ouvre et m'emporte à jamais dans son enchantement. Elle s'est mise à rire, s'approchant plus près encore de moi. « Voyez-vous cela, petit bonhomme de bonne famille, oh la belle question ! » Elle a marqué un temps d'arrêt que j'ai trouvé aussi long que la lecture de certains passages de ce livre.
« Tu veux savoir si notre amour a été consommé, c'est bien cela ? Tu es un bien indiscret garnement, je trouve. Serais-tu jaloux ? Et quand bien même ce serait vrai, est-ce que cela changerait quelque chose à ta lecture ? Et à l'histoire de ce livre d'ailleurs ? »
Elle ajouta, en venant poser un doigt vertical sur ma bouche horizontale comme pour m'inviter à me taire à jamais et je lui en fus infiniment reconnaissante :
« Il faut laisser ce mystère au lecteur, un mystère bien audacieux, dit-elle. D'ailleurs l'auteur n'en sait rien lui-même. » Son visage eut l'expression d'une moue narquoise tandis qu'elle haussait légèrement les épaules. « Je crois bien que ces choses-là ne l'intéressaient guère. D'ailleurs, s'est-il intéressé un seul instant à ses personnages ? »
Finalement, ne symbolisait-elle pas à elle seule l'expérience de l'attente et de l'impossible retour, thèmes effleurés par Thomas Mann dans son livre... du moins, c'était ce que je voulais voir en elle... Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à cet instant à Orphée et Eurydice...
...
Plus tard, vraiment plus tard, quand je suis retourné à mon bureau pour terminer enfin la rédaction de mon billet, alors que je regardais la page encore inachevée de mon carnet à spirale, je me suis aperçu que le crayon à la mine d'argent avec lequel j'écrivais avait disparu. Tout comme elle... Peut-être tout ceci n'avait été qu'un rêve ?
Sur le dos de mon fauteuil était posé un petit mouchoir en dentelle comportant les initiales cousues de ces deux lettres, C.C....
Ce soir il y avait une tache humide qui suintait dans mon coeur. Je savais que j'aurais une mauvaise fièvre sans tarder comme elle me l'avait prédit.
Je remercie ma fidèle camarade de cordée, Anna, (@AnnaCan), avec laquelle j'ai accompli avec jubilation ce trek littéraire hors des sentiers battus.
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1907. le sanatorium de Davos, en Suisse. Des malades mondains souffrant de la tuberculose. Un personnel soignant faisant partie des meubles depuis trop longtemps peut-être. Un personnage principal: Hans Castorp qui est un faire valoir, un Candide que ne renierait pas Voltaire.

Et le temps passe, il se dilate sur cette montagne, 5 000 pieds au dessus de la plaine.


"Mon oeuvre est liée à la mort, elle est renseignée à son sujet, mais elle veut du bien à la vie". Ces mots de Thomas Mann, peu après la parution de ce roman, bien que communs, peuvent résumer l'oeuvre. Elle résumerait d'ailleurs bien d'autres écrits d'auteurs de moindre importance mais ce récit au long cours bénéficie de réflexions, sur la philosophie, la culture et d'une maitrise des phrases et des mots qui la sort du lot.
Pourtant bien des disgressions ne se fondent pas à cette histoire. Peut-être parce que l'auteur peut se permettre de faire languir son lecteur comme pour prendre l'élan nécessaire, mais en reculant doucement, avant un saut dans l'inconnu.

Mais le temps passe et si peu de choses arrivent. Si, les patients meurent!

Ce classique de la littérature mondiale envisage de décrire le temps comme s'il était dilaté. Les 1200 feuillets transmis à l'éditeur de Thomas Mann sont 732 pages que je n'ai pas pris autant de plaisir à lire que souhaité. Il reste les personnages que l'on n'oublie pas, isolés dans ce monde hors du temps, dans des journées rythmées par les repas et les siestes.


Cependant, comme dirait l'astronome en regardant le ciel nocturne voilé, il faut savoir attendre. Et l'attente est récompensée par plusieurs coups de tonnerre forts tardifs, dans les 200 dernières pages, qui feront sortir le personnage principal de sa torpeur. Ce livre traduit ce calme avant la tempête qui emportera le monde sur un immense champ de bataille.
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Je dois bien avouer être fière de moi à chaque fois que je finis une de ces lectures mythiques de ma liste à lire! Celle-ci, comme chez de nombreux de lecteurs je suppose, était inscrite dans cette liste depuis de très très nombreuses années, et c'est en faveur de ces deux semaines de congés hivernales que j'ai prix mon courage à deux mains.
Résultat: j'ai été étonnée, au début, de la rapidité à laquelle je lisais, et j'ai très vite plongée dans ce monde à part, le monde de là-haut dont le narrateur nous avertit tout de suite qu'il possède sa propre temporalité, une temporalité intemporelle en somme, rythmée à peine par les saisons qui passent et les répétitions. En tant que lecteur, on se laisse peu à peu engourdir par l'air frais de cette montagne, la routine des patients, et des rituels qui s'installent dans ce microcosme comme cela se fait dans n'importe quel groupe isolé après un certain temps.
Hans Kastorp pénètre dans cet univers un pas après l'autre, venu initialement rendre visite à son cousin malade, avant de s'y installer lui-même. Quand il arrive, c'est un esprit jeune et vierge qui va emmagasiner pendant sept ans les leçons de son mentor, l'Italien Settembrini.
De mon côté, c'est lors de ces leçons que propre esprit a divagué de manière régulière... j'ai moins apprécié ces moments philosophiques qui me demandaient une attention bien trop soutenue, que la vie routinière des patients, les minuscules changements dans leurs relations, et la poésie du paysage même se transformant au fil des mois.
Sans surprise, je dirais que c'est un roman dense, hypnotique, qui m'a souvent fait penser à la Recherche de Proust. Ca n'a pas été un coup de coeur mais il me restera cette immobilité temporelle sertie de neige en tête, et la joie de l'avoir lu jusqu'à la dernière ligne, magnifique...
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La Montagne magique culmine à 975m (échelle Livre de Poche). le voyage commence à une altitude de 11m. Journal de bord d'une ascension.


Jour 1 11m / 54m

On parle d'altitude et d'éloignement. Devrait-on plutôt parler de temps ? le passé semble en interaction ininterrompue avec le présent. Sitôt en route avec Hans Castorp, voilà qu'il nous parle des évènements les plus personnels de son enfance, ceux qui ont servi de fondation à l'identité qu'il nous présente en ces débuts de pages. Ses aïeux, la mort d'une mère, d'un père puis d'un grand-père –on pourrait parler de coïncidence : « Celui qui était étendu là, ou plus exactement, ce qui était étendu là, ce n'était donc pas le grand-père lui-même, c'était une dépouille qui, Hans Castorps le savait bien, n'était pas en cire, mais faite de sa propre matière, c'était là ce qu'il y avait d'inconvenant, et d'à peine triste –aussi peu triste que le sont les choses qui concernent le corps et qui ne concernent que lui. » Hans Castorps m'a déjà emballée. N'omettons pas non plus un détail qui renforce la proximité : Hans Castorp a mon âge : « Lorsqu'il entreprit le voyage au cours duquel nous l'avons rencontré, il était dans sa vingt-troisième année ». Mal de mer existentiel et grand mépris de la mort en tant qu'objet de tragique, voilà le mélange idéal.


Jour 2 54m/148m

On se sent bien sur cette Montagne magique. le sanatorium s'avère être plus accueillant qu'il n'y paraît et c'est peut-être là que réside le piège : il happe ses visiteurs hors du monde commun et les plonge dans un milieu fascinant constitué de lenteur et de grâce. « Et pourtant, on est bien chez nous ! Allons, monsieur votre cousin nous appréciera sûrement mieux que vous, et saura s'amuser. Ce ne sont pas les dames qui manquent, nous avons ici des dames tout à fait délicieuses ». le sanatorium se constitue en communauté au sein de laquelle les uns et les autres se croisent quotidiennement et s'observent. La focalisation du regard sur l'autre intervient en dernier lieu, lorsque toutes les autres distractions se sont évanouies. Pauvreté qui permet de s'ouvrir sur une richesse dédaignée dans la vie quotidienne précipitée, elle me rappelle ce passage du Portrait de Dorian Gray : « Qu'est-ce qu'un rapport humain aujourd'hui? Il afflige par sa pauvreté. |...] Rencontrer quelqu'un devrait constituer un événement. Cela devrait bouleverser autant qu'un ermite apercevant un anachorète à l'horizon de son désert après quarante jours de solitude ». Oscar Wilde aurait dû faire le voyage avec nous. Et la maladie, au fait ? On s'en fout, cela fait longtemps qu'on ne s'en préoccupe plus –mieux encore, on s'en amuse et on s'en sert comme d'un agrément relevant agréablement la monotonie d'une vie monacale. « La maladie n'est aucunement noble, ni digne de respect, cette conception est elle-même morbide, ou ne peut conduire qu'à la maladie. » Toutefois, elle reste l'enjeu de tous les résidents du sanatorium car elle donne le droit de prolonger son séjour sur les hauteurs de la Montagne magique.


Jour 3 148m/238m

Hans Castorp me plaît toujours. Nous sommes deux invalides de même nature : « Je crois même que, dans l'ensemble, je m'accorde mieux avec des gens tristes qu'avec des gens gais. […] Lorsque les gens sont sérieux et tristes, et que la mort est en jeu, cela ne m'oppresse ni ne m'embarrasse, je me sens au contraire dans mon élément, et en tout cas mieux que lorsqu'on a trop d'entrain : ce qui me plaît beaucoup moins ». Hans Castorp me fait miroiter l'horizon d'un projet de vie qui ne me semble pas moins enviable que ce que le monde actuel me donne le droit d'espérer. Passer sa jeunesse dans un sanatorium, sans autre préoccupation que celle de sa maladie –c'est-à-dire de soi- et de ses amours –c'est-à-dire des autres. On déploierait alors, comme lui, une habilité psychologique à saisir tous les enjeux des relations et à les disséquer avec ironie. Qui n'a jamais connu un Pribislav ? « Ainsi s'était-il habitué de tout coeur à ses rapports discrets et distants avec Pribislav Hippe, et il les tenait au fond pour un élément durable de son existence. Il aimait les états d'âme que lui procuraient ces rencontres, l'attente de savoir si l'autre passerait aujourd'hui près de lui, le regarderait, les satisfactions silencieuses et délicates dont le comblait son secret, et même les déceptions qui en découlaient, et dont la plus grande était que Pribislav « manquât la classe », car la cour était alors vide, la journée privée de toute saveur, mais l'espoir demeurait ». le sens de l'observation de Hans Castorp s'étend à tous les domaines qui l'entourent…


Jour 4 238m/ 332m

… à trop de domaines ? Maintenant que Hans Castorp semble s'être installé durablement et que le charme des découvertes s'estompe, l'histoire s'enlise doucement. Hans Castorp bénéficie d'un regard extra-lucide sur les autres et sur lui-même, mais au prix de quelle quantité de descriptions… Des pages viennent simplement nous confirmer l'impression d'une atmosphère que nous pouvions déjà ressentir sans peine ; d'autres pages s'amusent à décrire sans fin les apparats, les postures et les expressions de nombreux personnages auxquels nous ne nous attachons pas particulièrement. On comprend qu'il n'y ait rien d'autre à faire dans ce sanatorium, faisant de la maladie et des conversations mondaines le monopole d'une existence –au fait, vous ai-je dit que Hans Castorp a officiellement été déclaré comme souffrant ?- et Thomas Mann insiste souvent sur la relativité d'un temps qui s'est libéré des contraintes de mesures habituelles, à la manière de son récit qui pédale dans la pagination pour nous faire éprouver toute la longueur de l'ennui. On commence à très bien le ressentir. L'ascension devient plus difficile.


Jour 5 332m/402m

Au moment où la lassitude commençait à s'installer, voilà que s'approche M. Settembrini, déjà aperçu à plusieurs reprises, mais jamais aussi durablement qu'au cours de cette étape. Puisqu'il ne se passe factuellement rien dans ce sanatorium des montagnes, les conversations entre malades sont les derniers refuges d'exotisme dans lesquels se réfugier. La parole conduit droit à l'abstraction d'autres mondes et on découvre, avec M. Settembrini, toute l'influence d'une époque nourrie par les idées des décadents et des physiologistes –même, Nietzsche ne se trouve jamais bien loin : « Rien n'est plus douloureux que lorsque la partie animale, organique de nous-même, nous empêche de servir la raison ». Hans Castorp absorde ces idées nouvelles. Comme il ne fait jamais rien à moitié, des pages et des pages l'entraînent dans la découverte d'un monde nouveau : celui où la physiologie balbutiante se trouve des affinités avec l'imagination romantique d'un Baudelaire. Est-ce à dire que tous les physiologistes et artistes romantiques pataugeaient eux aussi dans le désoeuvrement ?


Jour 5 402m/506m

Déclarer son amour dans une langue étrangère apprise sur le tard, qu'est-ce que cela change ? Quelle idée… contenant le potentiel le plus romantique qu'il soit : « Moi, tu le remarques bien, je ne parle guère le français. Pourtant, avec toi, je préfère cette langue à la mienne, car pour moi, parler français, c'est parler sans parler, en quelque manière, sans responsabilité, ou, comme nous parlons en rêve ». Même lorsqu'il se montre fleur bleue, Hans Castorp ne peut s'empêcher de déployer ses dons de vivisecteur. La Montagne magique devient plus alanguie et vénéneuse. Je l'aimerais quand même moins placide.


Jour 6 506m/598m

Encore une nouvelle grimpe éprouvante. Toujours rien d'autre à faire que de parler sur cette Montagne magique qui échappe à l'écoulement classique du temps. Hans Castorp se laisse griser par une vision mythique du monde qui attire l'approbation de toutes mes propres représentations : « Lorsque le soleil sera entré dans la constellation de la Balance, dans trois mois environ, les jours auront de nouveau diminué suffisamment pour que le jour et la nuit soient égaux. Ensuite, ils diminuent de nouveau jusqu'à Noël, cela tu le sais bien. Mais veux-tu, s'il te plaît, réfléchir à ceci : pendant que le soleil traverse les signes de l'hiver, le Capricorne, le Verseau et les Poissons, les jours augmentent déjà de nouveau. Car voici qu'approche de nouveau le point du printemps, pour la trois millième fois depuis les Chaldéens, et les jours augmentent de nouveau jusqu'à l'année suivante, lorsque revient le commencement de l'été ». Mais lorsqu'il est question d'une lointaine politique, je n'y comprends plus grand-chose et laisse les personnages à leur controverse sur des pages et des pages. Oui, le temps dure longtemps, Hans Castorp a raison. Et le temps oscille de l'ennui extrême à la plus vive exaltation. On ne sait plus trop si c'est bon ou mauvais. On a envie de tout laisser de côté, écoeuré, jusqu'à ce que la curiosité nous donne envie d'y revenir.


Jour 7 598m/716m

Il neige, il neige, il neige… des pages sur la neige… faut dire que ça repose, après avoir suivi une conversation de même longueur entre Naphta et Settembrini. Les deux hommes, instruits jusqu'à ras-bord et dégoulinants de principes, s'affrontent en politique, en philosophie et en religion, mêlant les concepts avec le plus sérieux lorsque leur raison principale consiste seulement à triompher des opinions de l'autre. Finalement, qui gagne ? le scepticisme et la vanité de tout dogme, dont la dénonciation semble, entre autres, être l'une des principales marottes de cette Montagne magique. Au passage, Thomas Mann nous glisse quelques informations historiques concernant certaines sociétés secrètes…en aurait-il été ? Dans un autre genre, le sanatorium de sa Montagne en constitue une déclinaison particulière, réservée à ceux qui accepteront de se montrer « malades » de la vie que les autres mènent en bas, à ras les pâquerettes. Il est délicieux de cracher dans la soupe lorsqu'on peut boire de la bisque de homard tous les jours…


Jour 8 716m/828m

La montagne magique a fini par me rendre insensible, même aux évènements les plus cruciaux et les plus funestes du sanatorium. Les années et les résidents passent dans l'indifférence : nouveaux ou anciens, leurs personnalités se confondent en une seule unité condamnée au scepticisme. Les différentes voix des personnages pourraient n'être que les murmures à contre-courant d'une seule conscience que la réflexion agite sans cesse. Nous lisons les tergiversations d'une conscience livrée à elle-même sans autre nourriture spirituelle que les sensations d'un corps agréablement morbide et parfois voluptueux.


Jour 9 : 828m/944m

Plus les pages défilent, plus le temps passe, et plus le désoeuvrement qui se vit dans le sanatorium, après des années d'exaspération physique et de contentement intellectuel, se fait l'illustration d'une barbarie culturelle qui ne s'illustre jamais mieux que dans les joutes oratoires entre les divers patients érudits et éloquents de ce lieu. Quelques éclairs de génie, mais toujours beaucoup de fatigue, entre l'étalage d'une collection de musiques et des séances de transe dignes des présentations publiques du docteur Charcot.


Jour 10 : 944m/975m

Une fin percutante et synthétique, à l'image de ce qu'aurait dû être toute la Montagne magique. Mais alors, si tel avait été le cas, la montagne n'aurait été plus qu'une colline, pas assez éloignée du monde pour gagner ses étendards de microscome d'une certaine société malade. Plus on gravit cette montagne, plus se tarit l'exaltation des débuts. En quelques pages, Thomas Mann excelle à transmettre son message ; tout le reste consiste en une répétition qui se plaît aux joutes et développements oratoires aussi longs et laborieux que stériles voire prétentieux. Toutefois inévitable, cette alliance du fond et de la forme achève l'ascension de la Montagne magique de la façon la plus cohérente qu'il soit. Un livre qu'on ne peut apprécier qu'à condition d'être aussi éloigné de la conception classique du temps que ne l'était Hans Castorp, réfugié dans un sanatorium pendant les sept années les plus vigoureuses de la vie d'un homme.

« L'analyse est bonne comme instrument du progrès et de la civilisation, bonne dans la mesure où elle ébranle des convictions stupides, dissipe des préjugés naturels et mine l'autorité, bref, en d'autres termes, dans la mesure où elle affranchit, affine, humanise et prépare les serfs à la liberté. Elle est mauvaise, très mauvaise dans la mesure où elle empêche l'action, porte atteinte aux racines de la vie, est impuissante à lui donner une forme. L'analyse peut être une chose très peu appétissante, aussi peu appétissante que la mort dont elle relève en réalité, apparentée qu'elle est au tombeau et à son anatomie tarée. »
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Pour bien apprécier ce roman et la chute de l'histoire, il faut vraiment prendre son temps pour le lire (un chapitre par jour). C'est une des conditions qui permettront de mesurer la valeur de cet ouvrage ainsi que les sensations liées à l'écoulement du temps qu'a tenté de transmettre l'auteur au fil des pages. Certains chapitres sont de plus très riches en informations et ne permettent pas une lecture rapide. Des "batailles" intellectuelles agrémentent le récit, et donnent parfois le tournis, mais cela reste captivant et culturellement enrichissant. J'ai apprécié les touches d'humour de l'auteur ainsi que l'équilibre du roman entre romantisme, politique, science, médecine, art pictural, sentimentalisme et parapsychologie (j'en oublie sûrement). Bonne lecture à tous et prenez le temps de savourer ce séjour en altitude.
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La Montagne Magique est un incontournable de la littérature allemande, un roman au rythme particulièrement lent, qu'on prend plaisir à feuilleter à son rythme, un peu hors du temps comme l'est le principal protagoniste, Hans Castorp.
Ce jeune ingénieur naval, à peine émoulu de l'école, décide d'accompagner son cousin Joachim Niemssen à la maison Berghof, sanatorium chic de Davos.
Le début de son séjour, initialement prévu pour durer trois semaines, fait de lui une sorte de spectateur passif de ce microcosme de malades de la tuberculose, qui est en même temps un condensé de la société de l'époque, avec tous ses travers, ses rigidités et son charme quelque peu désuet.
Puis, les semaines passant, la Montagne Magique exerce son charme et fait progressivement sortir Hans Castorp du déroulement normal du temps.
Ainsi, peu à peu, il entre dans cet univers où le temps cesse de s'écouler et où, de composante essentielle de nos existences, il devient un accessoire négligeable.
Comme l'étanchéité du bocal fait échapper son contenu aux ravages du temps, le jeune Hans évolue dans cet environnement si particulier et, sous l'égide du pédagogue Settembrini, apprend certains rudiments de la vie tout en se trouvant en dehors de celle-ci, comme s'il étudiait la théorie sans jamais la mettre en pratique.
Au Berghof, aux côtés de Joachim, Hans Castorp apprend ainsi à travers des digressions nombreuses de l'auteur, le sens de la vie, l'inexorable écoulement de la vie, comme le contenu d'un sablier, la dialectique, les joutes verbales qui opposent Settembrini à l'affreux Naphta, et même l'amour en la personne d'une troublante patiente russe au nom français, Claudia Chauchat.
Constitué de sept longs chapitres, ce roman s'écoule au rythme du Berghof, auprès d'une kyrielle de personnages plus ou moins atypiques, lesquels apportent chacun une pierre à l'éducation du jeune Castorp.
A la différence du désert des Tartares, de Dino Buzzati, le jeune Castorp entre, comme Giovanni Drogo, de son plein gré dans un univers situé en dehors du monde et du temps qui le rythme. En revanche, contrairement à Drogo qui demeure tendu face au désert dans l'attente d'une hypothétique attaque, le jeune Castorp, lui, ne semble rien attendre de précis.
Dans un cas, c'est une attente qui mène aux confins de la vie, dans l'autre, c'est l'isolement volontaire d'un jeune homme qui sortira de sa torpeur sur l'ultime coup de tonnerre qui achève ce récit.
A la fois roman et essai, ce long ouvrage fait partie des jalons que l'on insère dans sa bibliothèque et qui, malgré un caractère qui peut paraître rébarbatif, constitue une lecture précieuse qui permet d'entrer un peu soi-même dans cet univers si spécial.
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Lire ce monument, je commencerai par dire que c'est un bonheur. Une chance.
Enlevons tout ce qui a entouré ce livre; Pourquoi pas ?
Je le lis, tout simplement... Alors il m'a bien fallu une centaine de pages pour devenir accroc. le temps que tout se mette en place, que l'on comprenne le temps justement, les symboliques portées par les personnages, et à un moment la lumière se fait. Et alors la lecture n'est plus que du petit lait que l'on déguste.
L'écriture de Thomas Mann, c'est du délice, l'oeuvre fait 700 ou 800 pages, mais comme j'en relis plein juste pour le plaisir : les descriptions, les portraits, sont absolument délicieux, méchants, vrais, incroyables d'intemporalité, j'en ai pas fini.
Il y a cette tuberculose. Ces mourants. Malades.
Son personnage principal, Hans, est assez banal et à la fin de roman, Thomas Mann le laisse, dans une sorte de jaillissement qui est la vie mais qui pourrait être aussi la mort.
Dans La Montagne Magique, Hans n'est qu'un passeur. Ce sont les autres "personnages" qui comptent. Et là, alors, l'histoire de l'Allemagne , les débats, les questionnements apparaissent. C'est compliqué. C'est passionnant, car ces débats, ces combats, sont d'actualité.
Quitte à être banale, La Montagne Magique, un monument, dans tous les sens, mais un plaisir car comme l'écriture est belle et utile, oui, utile, car chaque mot compte, chaque mot a un sens, et ce roman raconte la maladie, la mort, et le rapport que les êtres humains peuvent avoir avec ces deux là... A lire ou relire en ces temps.
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Une intéressante approche de la relativité du temps, celui de ceux d'en bas, les biens portant, et celui de ceux d'en haut, hébergés pour un temps indéterminé dans un sanatorium d'altitude pour personnes aisées. Ce temps est aussi le prétexte à toutes les discussions, la vie et la mort, la religion et la politique, la philosophie, la médecine, les sciences ..., et aussi la dissection de cette micro société. C'est certes un roman, mais ces longues discussions sont aussi comme une succession d'essais, datés de l'époque ou le livre a été écrit ( dans les années 1920). Selon vos centres d'intérêts, certains vous sembleront passionnants, d'autres désuets et d'autres encore d'une longueur à n'en plus finir. J'ai par exemple, en ce qui me concerne, beaucoup aimé l'approche du temps, moins les thèmes médecine et religion/politique. Malgré sa longueur, ce livre très bien écrit, alternant de façon équilibrée romanesque et philosophie se laisse, de façon surprenante, lire sans déplaisir. Aimé serait beaucoup dire, mais je n'oublierai pas la petite musique qui m'a bercé le temps de cette lecture, un peu comme ce qu'il me reste d'une très ancienne et aussi très longue lecture de la recherche du temps perdu.
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