Mourir d'amour, mourir par amour- quelle différence quand plus rien ne compte, y compris sa propre vie, que celui dont on est tombé éperdument amoureux jusqu'à en oublier toute forme de convenance, de limites, jusqu'à se négliger soi-même, hypnotisé par la présence de celui qui occupe tout l'espace dans notre esprit.
C'est l'histoire de Gustav Aschenbach, écrivain reconnu, qui jusqu'alors s'est imposé une vie d'acète et qui comme
Thomas Mann (dont il est en grande partie le double) pense que la contrainte et la discipline sont les meilleurs alliés pour l'écrivain. C'était sans compter sur la fatalité…
Au détour d'une rencontre fortuite, d'un regard, il est soudain épris de liberté, d'une sensation exaltante qui le domine et le pousse à partir et l'emmène jusqu'à la sérénissime Venise.
Ce besoin soudain de fuir, se libérer du joug trop longtemps serré de la création, Aschenbach pense y puiser un nouveau souffle. Mais le titre explicite nous laisse comprendre qu'il s'agira d'un point de non-retour (pas de spoil, soyez rassurés, la préface- à ne pas lire avant- en dit bien plus et bien trop !).
Ce court roman est la quintessence même de l'écriture romantique : belle, précise, élégante, lyrique et profonde, en plus de porter une intrigue qui permet à
Thomas Mann d'y déployer sa pensée sur la recherche de la beauté éternelle.
Acshenbach, cet écrivain solitaire et taciturne croise un jeune polonais de bonne famille dans son hôtel, la perfection est là et il ne pourra dès lors plus jamais s'en passer.
S'en suivent des descriptions du jeune homme dans lesquels
Thomas Mann excelle. Les termes mélioratifs s'accumulent, le portrait atteint le sublime, faisant de lui un éphèbe à la beauté parfaite. Fasciné par cette apparition il se fait la promesse définitive et fatale de ne plus le quitter : « je resterai ici, tant que tu resteras ».
Une rencontre qui se limitera entre les deux hommes à un jeu de regards, mais pour Aschenbach le trouble est trop grand, il renonce progressivement à la raison, à toute forme de dignité, dominé par sa passion pour cet Adonis dont il est prisonnier. Si la situation est ensorcelante pour lui, elle l'est aussi pour le lecteur, car finalement si Aschenbach est fasciné par ce jeune homme, le lecteur trouve lui aussi l'exaltation dans la beauté des mots, dans le lyrisme et les descriptions sublimes cherchant à fixer la beauté pour l'éternité mais en vain selon
Thomas Mann car « le langage peut bien célébrer la beauté, mais n'est pas capable de la restituer ».
Un texte fort et profond, une histoire enivrante d'un amour interdit, finissant par faire de Venise un véritable personnage devenant le geôlier de cet écrivain solitaire luttant contre sa peur de vieillir.
C'est triste, beau et romantique.