Un recueil, trois nouvelles, un auteur, trois manières.
Dans
La mort à Venise, par un style dont la légèreté avoisinait l'enclume, fait de nombreuses et interminables subordonnées articulées les unes aux autres en un échafaudage de niveaux multiples accessibles séparément mais ô douleur, si ardus à enchainer par nos yeux vite las, Mann contait l'amour impossible d'un bourgeois décati, semble-t-il dessiné à l'image que l'auteur se faisait de lui-même, artiste reconnu, accompli, marqué par l'âge et insatisfait, pour un jeune éphèbe. Certes il y avait dans ses descriptions alambiquées, complexes, impénétrables, dans l'effort, l'application, la rigueur toutes germaniques qu'il vouait à cette oeuvre dont il eût voulu faire sa « production la plus valable dans le domaine de la nouvelle » et qu'incontestablement par le parrainage muet des grecs antiques il dotait d'une certaine grâce, du rythme. Mais, hélas, qu'il est difficile de s'identifier au vieux pervers pétrifié devant quatorze printemps d'insouciance !
Avec
Tristan, répit. Les descriptions s'amenuisent, les tournures s'allègent, l'écrivain remet les manches et dévoile ses dents. Il y a encore de lui dans ce poète épris d'une rentière fragile et qu'il conduit, candide et résolu, à sa perte. Mais en contrepoint du premier récit, la plume en fait un pitre, un précieux ridicule qui s'extasie d'un rien et s'affole de tout, un drôle. L'artiste qu'il a voulu être, et qu'il jubile de n'avoir été. L'écriture perd en force ce qu'elle gagne en modestie ; elle se préserve des envolées et dévoile toute l'ironie de son maître.
Enfin on prend le chemin du cimetière, pas le notre, pas même celui de notre hôte non, celui d'un pochard. Cette fois le lyrisme s'éclipse entièrement et laisse place à la farce, brève, immédiate, étonnamment moderne par son détachement et ses ruptures. On s'amuse de cet antihéros chancelant, livide et néanmoins affublé d'un tarin rougeoyant ; malheureusement il est tard, aussi conclurai-je ici.
Toute ressemblance au style employé dans ce livre serait peu fortuite et humblement dépendante de ma volonté.
3,5/5