Je ne ferai pas ici le résumé de ce roman, la quatrième de couverture donnant déjà suffisamment d'éléments.
Le rythme de ce roman noir est tout d'abord très lent. Puis il s'accélère et se précipite sans nous laisser le temps de reprendre notre souffle jusqu'au dénouement. Soit dit en passant, la chute de l'histoire m'a beaucoup fait rire par son côté ironique.
L'intrigue est centrée autour de Asai Tsuneo, haut fonctionnaire efficace, intelligent, froid et calculateur par de nombreux aspects. Malgré le drame qui le touche dès la seconde page, il est difficile d'éprouver de la compassion pour ce personnage qui semble doter d'un sang-froid à toute épreuve.
Son caractère méticuleux et réfléchi rend son enquête particulièrement prenante.
Un autre point intéressant de roman, rédigé dans les années 70, tient dans le contexte social dans lequel évolue Asaisan. Une fois de plus, on constate une conception du travail assez différente decelle en France. Asai a gravi les échelons hiérarchiques petit à petit, à force de travail, d'abnégation et d'années, et en sacrifiant une grande partie de sa vie privée. On assiste cependant à une évolution de cet ancien système d'avancement par l'âge avec l'arrivée de jeunes recrues issues de grandes universités qui sautent les échelons (merci le piston souvent).
On sent également de façon palpable la forte pression exercée par son travail: tous ses faits et gestes, grands ou petits, sont conditionnés par la peur de faire rejaillir l'opprobre sur ses supérieurs, ou même simplement les mettre dans l'embarras. Il n'est qu'à voir les courbettes et autres phrases de politesse et d'excuses que Tsuneo adresse à son supérieur quand il doit le laisser à cause de la nouvelle de la mort de sa femme! On le voit plus embarassé de ne pouvoir accomplir son devoir que touché par le décès brutal de sa femme.
Enfin, le roman offre une image du mariage japonais plus basé sur la raison que les sentiments. Eiko est la seconde femme de Tsuneo. Au cours de la narration, on apprend qu'il a eu à nouveau recours à un intermédiaire pour la rencontrer. La décision de s'unir ressemble ici à une froide équation dans laquelle le statut professionnel l'emporte. D'ailleurs, Tsuneo se le répète à diverses reprises: ne se sentant pas le moindre charme, ses chances maritales résident dans sa position de fonctionnaire du Ministère de l'Agriculture.
On se marie donc car il est normal, à compter d'un certain âge de le faire. D'ailleurs, l'auteur laisse entendre que pour Eiko, 27 ans quand elle l'épouse, c'était pour ainsi dire la dernière chance de convoler en justes noces. Dépasser les 25 ans sans être mariée est considéré comme honteux pour les femmes japonaises (
Amélie Nothomb y fait référence dans "
Stupeur et tremblements" en parlant de Mori Fubuki).
Vue de l'extérieur, le couple que forment Tsuneo et Eiko apparaît donc forcément comme bien fade, quoique matériellement stable.
Matsumoto Seichô dissèque ici la société japonaise contemporaine et se sert des coercitions sociales pour créer une intrigue intelligente et bien menée.