J'envisageais de lire
Un amour de
Sara Mesa et je suis tombée par hasard sur
Cicatrice, son deuxième roman.
Cicatrice débute - je passe sur le chapitre 0 qui relate le seul contact physique entre les deux personnages - par la rencontre, sur un forum littéraire, de Sonia, jeune stagiaire qui s'ennuie dans une administration, avec un homme qui a pris pour pseudonyme
Knut Hamsun, Nobel norvégien accusé de soutien au régime nazi. Très rapidement, se noue entre eux, une correspondance quotidienne, sous forme de messages, qui va durer longtemps.
Sonia mènera une vie "normale" en parallèle -travail, mariage, enfant, divorce- mais, malgré différentes tentatives, ne parviendra à mettre fin à cette relation que bien des années plus tard.
Et pourtant on ne peut pas dire que cette relation soit épanouissante. Elle est même plutôt glauque et déprimante. Bien sûr, il y a de nombreux échanges littéraires, mais il y a surtout une emprise malsaine de la part de Knut qui ensevelit Sonia sous une montagne de colis composés de produits volés par ses soins, des livres toujours, puis des cadeaux plus personnels, comme des parfums ou de la lingerie et des vêtements luxueux.
Les deux protagonistes jouent et se cachent derrière des personnages mais la relation virtuelle parait déséquilibrée. Knut, garçon sans charme et névrosé, manipule Sonia, la fantasme et projette sur elle ses désirs. Il lui voue
un amour désincarné, la fétichise, et étend son pouvoir sur elle par le biais de présents dérobés. Mais les cadeaux en sont-ils quand on ne les a pas payés ?
Les motivations de Sonia sont plus difficiles à cerner. Elle oscille entre répulsion et attraction, entre passivité et culpabilité. Une citation de l'écrivaine espagnole Maria Sanz placée en exergue prévient le lecteur que les
cicatrices sont le produit de la culpabilité et que cette dernière est une façon insipide d'affronter le monde.
Que peut-elle retirer de ce jeu pervers ? Une forme de dépendance qui la rassure, une troublante double vie sans risques, une façon de donner du sens à sa vie bien terne, un plaisir masochiste, une quête narcissique ?
Elle n'est pas attirée par l'argent, refuse de se faire acheter en acceptant les somptueux cadeaux de Knut. Elle les revend d'ailleurs sur Internet, pour s'en débarrasser et se venger.
Sous les coups et les perfidies de son étrange correspondant, elle semble pourtant se construire, nourrir son ambition littéraire et elle pourrait bien parvenir à se rendre maître du jeu.
Critique acerbe des dérives de la consommation et des réseaux sociaux,
Cicatrice, roman froid, sans chair et sans émotion, sur une drôle d'histoire de rapport de force, me laissera une trace indélébile.