Contre la bienveillanceYves Michaud
Je tente de faire une synthèse de cet essai. Parfois, je reprends des expressions, voire des tronçons de phrase écrits par Michaud, sans les remanier vraiment. le chapitre qui m'a le plus intéressée est le chapitre 4, les trois autres étant plutôt des diagnostics pertinents mais pas vraiment nouveaux.
Le réel, en matière de politique, n'a pas grand-chose à voir avec ce que l'on peut fantasmer à son sujet. Donc, traiter par la bienveillance toute attaque contre l'Etat est mortifère dans la mesure où celle-ci se fracasse contre le réel.
Le fondamentalisme religieux ne doit pas être traité par la bienveillance. Il n'est pas tolérable de laisser s'exprimer des anathèmes contre les mécréants ou des appels au meurtre. La puissance souveraine de la Nation ne doit pas être remise en question au nom de revendications individuelles ou d'une appartenance à un groupe. Les croyances religieuses doivent être renvoyées à la sphère de la liberté de conscience et doivent se conformer à une tolérance absolue à l'égard des autres croyances religieuses. Toute revendication quant à l'observance d'une loi religieuse doit obtenir une fin de non-recevoir. Par ailleurs, ce fondamentalisme religieux étant nourri par un sentiment diffus que la République ne respecte pas les principes qu'elle prétend porter, il est impératif de redonner du sens à la devise « liberté, égalité, fraternité »
Ainsi, les lois mémorielles doivent être abolies afin de ne pas empêcher la recherche critique ou la liberté d'expression. L'égalité aussi est mise à mal par une inégalité des chances et en cela, il est nécessaire de rendre toute sa place à l'instruction au sein de l'école, mais aussi, par le biais de la fiscalité, il s'agit de lutter contre les inégalités induites par l'héritage. Un impôt simplifié, progressif, sans niches fiscales, transparent, permet par ailleurs de réintroduire la notion de fraternité, par la solidarité.
Le populisme non plus ne doit pas être traité par la bienveillance. En effet, le populisme se nourrit de réalités qu'il est important de diagnostiquer afin de mieux les combattre. Notre société est actuellement gravement fracturée, le nier c'est favoriser le rejet du politique surtout sous la forme des partis de gouvernement.
La première des fractures est démographique : c'est une fracture entre les jeunes et les vieux qui repose à la fois sur les différentes manières de vivre, et notamment d'appréhender les nouvelles technologies, mais aussi sur le sentiment de déclassement qui anime la jeunesse qui sait que son sort est moins enviable que celui de ses prédécesseurs.
La seconde fracture a lieu entre les Français dits « de souche » et ceux qui sont issus de l'immigration, la plupart du temps, venus des anciennes colonies. Ces derniers, subissent certes le racisme, mais parfois, revendiquant un besoin de réparation, suite à ce passé colonial dont ils se sentent victimes, ont tendance à se crisper sur un enfermement communautaire, voire religieux et par conséquent s'installe un cercle vicieux aggravant le racisme.
La troisième fracture se situe entre les riches et les pauvres.
La quatrième fracture est éducative. Les chances ne sont pas égales à l'école et cette inégalité des chances est accentuée par l'origine sociale du fait que les parents des classes aisées connaissent les codes et savent quelles sont les filières porteuses d'avenir que leurs enfants doivent suivre.
La cinquième fracture est sécuritaire. L'insécurité n'est pas la même selon que l'on vient d'une cité ou que l'on habite un quartier résidentiel, voire une zone rurale. L'insécurité est un des leitmotivs des partis populistes : ceux-ci associent cette insécurité au laxisme de la justice, au confort supposé des prisons, à l'invasion des immigrés, aux étrangers tels que migrants ou Roms, aux terroristes. Cette sensation d'insécurité est naturellement renforcée par l'insécurité économique engendrée par les évolutions technologiques et les changements de modes de vie.
La sixième fracture est très française, et porte sur le statut : un monde sépare les emplois protégés et ceux exposés à la précarité.
La septième fracture est liée au temps de travail : certains travaillent beaucoup et sont sous pression permanente, d'autres travaillent peu, voire très peu.
Toutes ces fractures ont alimenté le populisme et au lieu de le combattre, les réponses « bienveillantes » ont consisté à tourner autour du problème, par le déni, la diabolisation, la posture –souvent de gauche- offusquée de « ceux qui ne mangent pas de ce pain-là », la posture –souvent à droite- du caméléon, s'appropriant les thèses populistes. A gauche, la réponse au populisme est surtout émotionnelle : on s'engage donc pour les pauvres, les laissés pour compte….on plonge dans la bienveillance, la sollicitude, voire même le fameux « care » préconisé par
Martine Aubry. Pendant des années, la lutte contre le populisme s'est faite sur le terrain des tactiques politiciennes (alliances, promesses…)
Mais pour combattre le populisme il est plus judicieux d'envisager autrement la démocratie. En effet, il n'est pas possible qu'un parti qui représente 15% des votants ne soit pas du tout représenté. Il faut donc procéder à une réforme électorale de fond afin d'instituer la représentation proportionnelle. Il faut aussi arrêter le clivage systématique entre droite et gauche, donnant l'illusion que les grands sujets de préoccupation auraient un traitement différent selon que l'on est de gauche ou de droite. Ainsi, réduire les fractures sociales, tendre vers davantage d'égalité des chances, renouer avec la valeur travail, remettre en question les lourdeurs bureaucratiques, repenser l'éducation, redéfinir les réponses à apporter à la place des religions dans notre société, accueillir des réfugiés, réfléchir à la place de la France dans l'Europe…. Tous ces thèmes ne sont ni de droite ni de gauche et méritent des débats de fond et non des querelles de clocher. Il s'agit de mettre en place « une démocratie fonctionnant de manière non partisane avec la conscience que de nombreux problèmes ne peuvent être traités idéologiquement mais requièrent des accords ou des pactes de gouvernement »
En politique, la bienveillance n'a aucun sens. La « Realpolitik » oblige à analyser les faits et à sortir des mythes. La fin de la guerre froide avait fait espérer qu'un monde meilleur allait émerger par le commerce et que la justice internationale garantirait une paix éternelle. Ce n'est objectivement pas le cas. Il s'agit donc de sortir de l'idéalisme pour faire face au réel.
L'idéalisme politique se manifeste sous deux aspects, l'un, mondain, sous la forme des ONG, l'autre judiciaire, par les juristes militant en faveur d'un ordre cosmopolite. Ces deux formes sont légères ou caricaturales et ont le tort de ne pas s'appuyer sur la rationalité mais sur la bienveillance.
La caricature, c'est BHL et
Kouchner, noyés dans le pathos. Tout est simplifié : les bons contre les méchants. On a affaire à un monde bipolaire…..les plus méchants étant systématiquement comparés à Hitler, le plus méchant du plus méchant…
Mais l'idéalisme cosmopolitique est inopérant parce que les crises les plus graves échappent toujours aux interventions internationales « bienveillantes ». Dans le meilleur des cas, les organisations internationales ne servent qu'à organiser des camps de réfugiés. Par ailleurs, la plupart du temps, les actions humanitaires sont détournées de leur objet par la corruption. Sur le plan juridique, c'est une mascarade puisque le Statut de Rome, instauré en 1998 et mettant en place la Cour pénale internationale n'a été ratifié que par 120 pays, ce qui ne concerne que 20% de la population mondiale.
De fait, le bilan de la politique internationale bienveillante est désastreux. La Somalie est depuis 20 ans dans une misère noire liée à une guerre civile sans fin. La Bosnie est devenue la tête de pont de l'Etat islamique en Europe. L'Iran, l'Irak, la Libye sont en plein chaos… En effet l'idéalisme politique ne tient pas compte des grands enjeux de l'Histoire. Il ne tient pas compte des organisations sociales : tribus, clans, ethnies, qui s'accordent mal avec la notion de démocratie. Il ne tient pas compte du clientélisme. Il ne tient compte ni de l'environnement, ni de la démographie.
Ainsi, il s'agit donc de mettre fin à l'angélisme politique : on ne fait pas de politique avec des bons sentiments. Il faut s'abstenir des ingérences, même humanitaires. Il faut rétablir des relations diplomatiques qui s'appuient sur une vraie connaissance des terrains, des cultures, des Histoires, des rapports de force, des inerties, des traditions.
Il faut donc mettre fin à l'aveuglement face à la réalité, se berçant d'illusions et de préjugés bienveillants compassionnels.
La vision compassionnelle du monde a deux noyaux : l'un moral et l'autre sentimental. D'un point de vue moral, il s'agit de soulager la souffrance et de pratiquer une bonne volonté universelle. L'autre noyau est sentimental : on se plaint, on pleurniche. Or, la politique ne peut être ni morale, ni sentimentale : la bienveillance compassionnelle empêche de voir le réel !
En réalité, la morale du soin, du « care » universalise le concept de dépendance aux dépens des complexités de la réalité. Tout rapporter à la vulnérabilité constitue une sorte de religion non pas de Dieu, mais de la Vie avec l' oubli de la mort : on fait comme si le monde pouvait être sans drame, sans mort, sans destruction et on se berce de l'illusion que tout est soignable. Cette morale du soin a pour corollaire la généralisation de la plainte. L'homme vulnérable devient par conséquent l'homme assisté, assuré, inclus, couvert, protégé. Dans l'ambiance actuelle, la morale du soin ne supporte aucune critique. Pourtant, c'est grave de faire de cette morale du soin une politique car elle devient de la sorte une alternative à la justice sociale. Elle fait régresser l'idée d'une construction solide et rationnelle au profit de l'organisation d'une réponse aux besoins. Elle favorise la passivité. Quand tout le monde est vulnérable et mérite d'être soigné, en l'absence de Réparateur divin, on ne peut se tourner que vers l'Etat. Or, cela ne doit pas et ne peut pas être son rôle !