GORGIBUS
Oui-da; Sabine, vite allez quérir de l'urine de ma fille. Monsieur le médecin, j'ai grand'peur qu'elle ne meure.
SGANARELLE
Ah! qu'elle s'en garde bien! Il ne faut pas qu'elle s'amuse à se laisser mourir sans l'ordonnance du médecin. Voilà de l'urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins : elle n'est pas tant mauvaise pourtant.
GORGIBUS
Hé quoi? Monsieur, vous l'avalez?
SGANARELLE
Ne vous étonnez pas de cela; les médecins, d'ordinaire, se contentent de la regarder; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l'avale, parce qu'avec le goût je discerne bien mieux la cause et les suites de la maladie. Mais, à vous dire la vérité, il y en avait trop peu pour asseoir un bon jugement : qu'on la fasse encore pisser.
SABINE
J'ai bien eu de la peine à la faire pisser.
SGANARELLE
Que cela? Voilà bien de quoi! Faites-là pisser copieusement, copieusement. Si tous les malades pissent de la sorte, je veux être médecin toute ma vie.
SABINE
Voilà tout ce qu'on peut avoir : elle ne peut pas pisser davantage.
SGANARELLE
Quoi? Monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes? Voilà une pauvre pisseuse que votre fille: je vois bien qu'il faudra que je lui ordonne une potion pissative.
N'y aurait-il pas moyen de voir la malade?
SABINE
Elle est levée; si vous voulez, je la ferai venir.
Le médecin volant.
VALERE
Hé bien! Sabine, quel conseil me donneras-tu?
SABINE
Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées, que je crois qu'ils eussent été mariés dès aujourd'hui, si vous n'étiez aimé; mais comme ma cousine m'a confié le secret de l'amour qu'elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l'extrémité par l'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisés d'une bonne invention pour différer le mariage. C'est que ma cousine, dès l'heure que je vous parle, contrefait la malade; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m'envoie quérir un médecin. Si vous pouviez envoyer quelqu'un qui fut de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence, il conseillerait à la malade de prendre l'air de la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous pourriez l'entretenir à l'insu de notre vieillard, l'épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrequin.
Le médecin volant.
LE BARBOUILLE
Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes. J'ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois le jour; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ah! pauvre Barbouillé, que tu es misérable! Il faut pourtant la punir. Si je la tuais... L'invention ne vaut rien, car tu serais pendu. Si tu la faisais mettre en prison... La carogne en sortirait avec son passe-partout. Que diable donc faire? Mais voilà Monsieur le Docteur qui passe par ici : il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire.
La jalousie du Barbouillé
MOLIÈRE – Variations sur les fêtes royales, par Michel Butor (Genève, 1991)
Six cours, parfois coupés et de qualité sonore assez passable, donnés par Michel Butor à l’Université de Genève en 1991.