Pourquoi aime-t-on
Molière ? Parce qu'il est un auteur rigolo, bien sûr, qui écrit bien, qui « castigat ridendo mores » comme disent les latinistes (il corrige les moeurs en riant), qui se pose en moraliste souriant, bien sûr, tout ça on nous l'apprend à l'école, mais avouez, ce qu'on aime bien aussi chez lui, c'est le poil à gratter, l'empêcheur de tourner en rond, celui qui met le nez des autres dans leur propre… vous m'avez compris, c'est ce côté Robin des Bois qui n'hésite pas à s'en prendre aux grands et aux corrompus (y a des fois c'est les mêmes, si, si) pour défendre les petits et les honnêtes… de là des pièces comme « Tartuffe » et « Dom Juan ».
« Tartuffe » a fait l'objet d'une controverse à sa création. Et aujourd'hui, les exégètes ne sont toujours pas d'accord sur le « vrai » projet de
Molière. Parce qu'en fait, il y a eu deux « Tartuffe ». le premier « Tartuffe ou l'hypocrisie », pièce en trois actes, fut représenté (avec succès) en 1664, mais le roi, sous l'emprise de l'archevêque de Paris, fit interrompre les représentations trois jours après, au motif que « Sa Majesté, pleinement éclairée en toutes choses, jugea absolument injurieuse à la religion et capable de produire de très dangereux effets ». OK, dit
J.B. (Jean-Baptiste Poquelin, soit
Molière à l'état-civil). Il remanie sa pièce, l'allonge de deux actes, et finalement ne peut la remettre sur scène qu'après maintes corrections qu'en 1669, et là c'est un triomphe pour « Tartuffe ou l'imposteur ».
Qu'y avait-il dans le premier « Tartuffe » ? On ne peut que l'imaginer, le texte en est perdu, nous n'avons que les réactions des uns et des autres à la représentation de ce brûlot. le but de l'auteur était clair : il voulait dénoncer les faux dévots (« l'hypocrisie » qui était dans le titre les concernait au premier chef). La cabale des dévots, menées par l'archevêque de Paris et sa « Confrérie du Saint-Sacrement » fit tomber la pièce, non pas parce qu'ils visaient des hypocrites (pensez donc, les autres oui, mais pas eux), mais parce qu'en visant les faux dévots,
Molière visait aussi les vrais, et dans ce cas, portait atteinte à la religion, alors toute puissante puisque la France, représentée par le Roi, était la « fille aînée de l'Eglise ».
En fait, on le sait,
Molière, dans toute son oeuvre ne vise pas des personnes, mais des comportements, des vices, des défauts inhérents à la nature humaine. Qu'il ait fait allusion à tel ou tel courtisan, ce n'est pas impossible, il était sacrément observateur,
J.B., mais il était aussi diablement intelligent, et il savait jusqu'où il pouvait aller trop loin. Il a mesuré à ses dépens la haine de ses ennemis : il faut souligner aussi que les « faux dévots » qu'il dénonçait étaient aussi des adversaires déclarés du théâtre qui représentait une abomination suprême (idée qui courait déjà depuis des siècles).
L'histoire de « Tartuffe », elle est simple : Un brave homme, Orgon, pas très fute-fute, comme
Molière sait nous les présenter, facilement impressionnable, tombe sous la coupe d'un hypocrite XXL, Tartuffe, qui s'octroie le beurre, l'argent du beurre, le sourire de la crémière et le coffre du crémier, bref il trompe tout le monde, courtise la femme de son hôte, spolie ses enfants, et envisage même de déposséder Orgon de sa fortune. Mais il y a une justice en ce monde…
Ce n'est pas une pièce aussi populaire que «
le Bourgeois gentilhomme » ou «
le Malade imaginaire », ce n'est pas une pièce aussi grave et profonde que « Dom Juan » (tout aussi sujette à polémique, pourtant), mais c'est un chef-d'oeuvre d'observation, et de moralisme : des hypocrites, nous en sommes entourés, la religion, bien sûr, est un peu moins concernée à notre époque (encore que), mais prenez les politiciens : combien de Tartuffes parmi eux, qui par-devant vous passent la main dans le dos, et par derrière vous crachent à la figure, et vous donnent des coups de pied dans le ventre ?