Avec
Les Femmes savantes,
Molière nous livre un débat très intéressant ; je ne parle de la problématique qui soulève le problème selon lequel les femmes devraient ou non « à de plus hauts objets élever [leurs] désirs », ainsi que le formule Armande dans la scène d'exposition. Ce qui a retenu mon attention dans cette comédie, c'est le litige entre Armande et Henriette : si nous analysons ces deux personnages, nous discernons en elles deux visions catégoriquement opposées du mariage et de l'amour : selon Armande, le mariage est un fardeau car il cantonne l'épouse à la sphère domestique et ne lui offre aucune chance de s'investir dans des domaines intellectuels. C'est une véritable aversion qu'elle éprouve envers l'amour : « Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend, / Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant ? »
Quant à Henriette, celle-ci voit dans le mariage, une union fondée sur un amour réciproque (une cause que
Molière avait déjà défendue dans
l'Ecole des femmes), et, à l'inverse de ses parents, un contrat exclusivement destiné à remplir des intérêts mercantiles. Maintenant, penchons-nous plus attentivement sur les idées des deux soeurs. Ne trouvez-vous pas qu'elles rappellent un débat opposant l'âme au corps qui fut d'ailleurs une thématique qui marqua le XVIIe siècle ? Si vous lisez les répliques d'Armande, vous constaterez que cette dernière manifeste un dégoût profond de tout ce qui peut renvoyer à la sexualité, donc au corps, et chante les louanges de l'âme et de l'esprit. Contrairement à elle, Henriette, qui fait preuve de sagesse et de tempérance, est prête à accepter les devoirs qu'exige la vie conjugale. « Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs, / Et traitant de mépris le sens et la matière, / À l'esprit donnez-vous tout entière », lance Armande à sa cadette.
Il existe un contresens tristement récurrent fait au sujet de cette pièce et de
L'Ecole des Femmes, que certaines personnes ont interpétées comme des pièces féministes (anachronisme!). Or, à proprement parler,
Molière ne revendique nullement une émancipation de la gent féminine par le savoir. Car dans cette pièce, si nous observons les personnages de Philaminte et de Bélise, nous constatons que
Molière se livre à la même critique qu'il avait déjà exprimée dans
Les Précieuses ridicules, pièce dans laquelle il raillait les pédantes qui s'estimaient supérieures aux autres et passait leur temps à piétiner et conspuer ceux qu'elles considéraient comme des ignares ou des cas irrécupérables. D'une certaine manière, Philaminte et Bélise sont des versions plus âgées de Cathos et Magdelon (personnages issus des Précieuses ridicules) : les deux femmes laissent Trissotin leur jeter de la poudre aux yeux, elles qui se piquent de pouvoir rivaliser avec de beaux esprits, et ne subodorent pas un seul instant qu'il leur inflige des entourloupes...
Molière critique une fois de plus l'aveuglement des pédants qui, convaincus d'être les dépositaires d'un savoir dont ils doivent se faire les gardiens, rejettent catégoriquement ceux qui n'adhèrent pas à leurs idées. Puisqu'elles se murent dans cette attitude, les pédantes deviennent sociopathes, ce qui explique pourquoi elles sont incapables d'envisager l'amour qu'elles pensent pouvoir contrôler. Ce qui explique pourquoi Bélise se montre, de toute évidence, atteinte d'érotomanie dans les scènes où elles dialogue avec Clitandre. Une pièce qui ne vieillit pas et prête toujours au rire, surtout lorsque j'entends les Trissotin qui ânonnent bêtement leurs laïus à la radio. Si
Molière était témoins de ce que deviennent les pédants de nos jours, et du succès que leur accordent les médias, gageons que sa plume n'en finirait de démontrer leurs travers ! Voyez-vous, on ne sait plus rire au pays de
Molière : on ricane bêtement, à la radio, sur les plateaux de télévision, de jeux de mots puérils, de situations aberrantes. Voilà pourquoi il ne serait pas inutile de se replonger dans les pièces que nous a laissées ce dramaturge si injustement ignoré de nos jours, afin de nous imprégner de l'esthétique du rire et du ridicule qu'elles abritent. « Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant ».