Sans objectif fixe

Je vais d'emblée, sans crainte et même avec une certaine fierté, (parce que l'un était d'origine roumaine et que l'autre est un ami qui m'est cher) comparer la poésie de Thierry Moral à celle de Ghérasim Luca. Cette comparaison a des limites, bien entendu, car dans sa simplicité apparente, Thierry Moral (il fait magistralement rimer «beauté» avec «simplicité», p. 25) en plus de requérir tous nos sens et notre attention la plus grande s'inscrit dans une sphère d'intérêt public, pour ne pas dire politique. Pour lui résistance résonne avec résilience (p. 16).
Ce livre est «une ballade en rubato» (p. 21) qui réussit à « raviv[er] la révolution».
Le recueil débute avec un autoportrait du poète simple et saisissant («Je ne suis pas») dont je retiens notamment l'idée de précarité de la condition d'artiste: «Je ne suis pas chômeur à plein temps, vu que je suis intermittent/ Je ne suis pas salarié régulièrement pour autant».
Le ton est juste dès le début et le «Bâton de parole» bien guidé (avec talent) et point «guindé».
J'adore ce que fait Thierry Moral et cette fois-ci encore il m'a mise KO. Il y a une sorte de crescendo, dans le rythme et les sujets. «L'homme cherch[ant] la bonne chute» (sic!)
Je connaissais le poème «Taire heure» (pp. 27-29) qu'il a lui-même mis en scène dans une vidéo, mais je découvre ici du sang neuf, des rimes sublimes dans leur simplicité sonnante et trébuchante.
Venez vous aussi «errer doucement et tranquillement/ […] Droit devant/ Là où la marche nous amène/ Puisqu'il faut bien guérir un peu»(p. 12)! Non, ne mourrez plus, ni un peu ni beaucoup, venez «découvrir l'inattendu/ de l'émotion suspendue» (p. 14). Soyons nombreux à exiger une bonne dératisation de la vie publique, car «les dents de la politique ne se cassent sur rien. L'estomac du pouvoir en place digère absolument tout»(p. 46), sauf, sauf… peut-être la poésie!
Thierry Moral, use, mais n'abuse pas des répétitions, jongle avec les maux et nous décille les yeux en nous narrant ses rencontres (pp. 24-25), dont notamment trois que je relève: celle avec «l'indifférence/ Scrutant les arcanes de la finance», celle avec «la douleur/ Elle m'a dit de fuir à toute vapeur » et celle avec «un poète/ enfermé dans sa propre tête».
Merci de tout coeur pour ce partage cicatrisant!

Mugaie :
"Sans objectif fixe" et pourtant l'objectif est fixe et nous fixe. Nous ! Les Humains ! D'un zoom scrutant nos failles, nos entrailles, nos déses"poires" et espoirs. Sans clichés, ni retouches, ces photos nous renvoient un effet miroir parfois glaçant de nous-mêmes. Colorées d'orange sanguine où surgit un arc-en-ciel irisant les facettes de l'Être, d'impressions, de sensations qui chavirent nos coeurs. Ce recueil nous dépeint le monde tel un kaléidoscope déformé aux combinaisons non finies et aux motifs pas toujours symétriques. L'auteur est fidèle à ses textes, coupé, "calé", décalé mais jamais recalé ! Satirique mais jamais méchant, il a les crocs mais ne mord pas ou avec délicatesse. Il est juste placé au bon endroit, se dévoile sans se voiler la face, conscient du présent, des présents et des cadeaux empoisonnés qu'offre la vie. Mise à nu pudique, "je" de mots implacables et justes. Les "cris-tures" sauvent les maux ! Les métaphores pleuvent et pleurent... de la séparation du couple avec "L'arbre coupé" à celle du suicide dans "Vertige haineux". Rythme élancé, style enlevé, cadencé, piquant, épicé à souhait. Politiquement incorrect enfin surtout non aligné à la "bien- pensance". Évocation subtile de l' IA et du transhumanisme, la forme joue des tréfonds poétiques, clin "deuil" à notre système de surconsommation et de contrôle. Bravo pour ce recueil de bon sens, sans perdre le sens de l'orientation, il nous oriente et désoriente dans nos doutes et certitudes. "Sans objectif fixe" est un petit régal à déguster à volonté et à offrir sans modération.

"Sans objectif fixe" : le titre intrigue, alors on ouvre ce recueil comme une pochette surprise, et d'entrée on comprend que l'on va parler de l'être humain sous tous ses aspects.
L'accent mis sur les mots choisis, qui se dévoilent au fil des poèmes, avec du rythme, des rimes ou pas, révèle toute son importance. On retrouve la voix du comédien derrière la plume du poète, et l'on a envie de lire à voix haute, ça claque, ça chante, ça crie, ça chuchote parfois, dans le tout, dans le presque rien car tout est précis au final.
On voyage à travers des coups de gueule, des rêves d'un monde meilleur, qui passerait par le coeur et dans lequel chacun puisse juste être ce qu'il est.
La poésie est là comme les battements de coeur des vers, qui défilent de page en page tantôt en questionnements, en partages de ressentis, et d'impressions, cherchant la lumière dans la moindre parcelle de la vie, jusqu'à parler des ombres, de nos ombres qui rendent l'homme ondoyant.
Une écriture poétique originale traverse ce recueil, avec une touche de philosophie, des jeux de mots mis en scène par Thierry Moral avec pour musique de fond les notes de l'espoir. Comme me l'a écrit Thierry " ce recueil n'a qu'un seul but en réalité, ouvrir des portes." Alors merci pour cette ouverture dans laquelle j'ai apprécié me glisser sans objectif fixe.

Cath LEFEBVRE

J'aime bien ce que fait Thierry en général; ici, je suis un peu décontenancée, je n'ai pas tout compris.
J'y reviens dès que possible; j'ai vu ce livre chez un ami poète mais il y avait beaucoup de monde et je ne lui ai pas posé de questions.

Il faut en rajouter mais comme je n'ai pas le livre sous la main, je préfère m'abstenir. En attendant une relecture attentive.

Surprenants poèmes qui ne s'en racontent pas mais nous font voyager au fil des rencontres de mots qui touchent en plein coeur, pour nous émouvoir, nous dire vrai, nous faire plonger dans nos recoins sombres puis, d'un coup, nous prendre par les mots pour pointer la lumière. L'objectif est finalement atteint. Brillant ! A lire, relire et savourer sans modération !