On suit assez bien l'itinéraire de
Molière tout au long de de sa vie. Ses débuts ratés à Paris, ses années en province avec la troupe, l'atmosphère familiale de la troupe, la charge de tapissier du roi et les devoirs qui en découlaient, la protection de Conti, plus tard de Monsieur et, surtout, du roi, la réussite sociale de
Molière, sa richesse, sa volonté de plaire au roi et au public, les scandales générés par certaines de ses pièces, ses rivalités avec Racine et Lully, son obsession à continuer à jouer malgré la maladie : on ressort de cette lecture avec un schéma clair. le plus intéressant m'a semblé qu'on y (re)découvrait d'abord que le répertoire joué par la troupe de
Molière puisait aussi bien dans le tragique que dans le comique, que ce répertoire était d'abord issu d'autres auteurs, dont de nombreux contemporains, contemporains que
Molière joua toute sa vie, y compris lorsqu'il devint un auteur prolifique. Tout en accompagnant
Molière dans son parcours personnel et professionnel, on apprend pas mal de choses sur les contingences et les nécessités liées à la pratique du théâtre au XVIIème siècle. Autres données qui ont leur importance : le nombre de pièces écrites par
Molière, qui s'étend bien au-delà des plus connues, ainsi que le médiocre talent de sa troupe pour le tragique, pourtant passage obligé à l'époque, et l'attention toute particulière qu'elle porta, de tout temps, aux décors et aux costumes.
Le premier souci, cependant, c'est que tout ceci m'a paru fade, monotone. L'auteur cherche à donner vie à son ouvrage avec un ton qui se rapproche de la verve de
Molière, mais c'est rarement réussi, le style reste assez morne, et les faits ennuyeux. du moins jusqu'à la moitié du livre, à peu près. Et puis, est-il bien besoin pour
Christophe Mory d'accuser le petit personnel de la troupe de L'Illustre-Théâtre, non payé, ou encore les fournisseurs, d'avoir tort de réclamer leur argent juste pour "faire son
Molière". Voici ce qu'on peut lire p.61 : "Pire que les fournisseurs, le petit personnel se rebiffe. Sur scène, cela se réglerait par des coups de bâton parce qu'on ne peut pas raisonner ces gens-là. «Mes gages, mes gages !» Ce pauvre Pommier n'a que cette revendication à la bouche. "Ce pauvre Pommier", c'était le portier du théâtre qui, comme tout un chacun et comme
Molière lui-même, j'imagine, ne pouvait guère se permettre de travailler pour rien ni de vivre d'amour et d'eau fraîche. Or,
Christophe Mory nous laisse entendre que les revendications de Pommier sont plus qu'importunes. Voilà quelques lignes qui se veulent amusantes et que je trouve plus que déplacées.
Christophe Mory serait-il de la famille de
Pierre Gattaz ? Il y a là de quoi s'interroger... Si c'est le cas, je ne vois guère où est l'intérêt de le faire savoir dans une bio sur
Molière (si ce n'est dégoûter des lecteurs tels que moi).
Et donc, voilà qu'on en arrive au point essentiel qui mine tout le livre : les citations. L'auteur ne cesse de se servir des textes des pièces de
Molière pour appuyer les faits qu'il présente.
Molière est jaloux dans la vie ? Et hop, une petite tirade de L'École des femmes. Il est arrivé ceci ou cela à
Molière ? C'est parti pour une autre tirade.
Christophe Mory fait appel à des extraits de textes dramatiques comme s'ils étaient des extraits d'un journal ou d'une autobiographie. La méthode laisse énormément à désirer, car il détourne les pièces de
Molière pour les transformer des témoignages. C'est amené de manière un peu sournoise, sans annoncer la couleur, et cela s'avère donc, d'une part, intellectuellement assez malhonnête et peu rationnel. Ce qui a pour conséquence, d'autre part, de confondre constamment l'oeuvre et la vie de
Molière, ce que nous assène d'ailleurs
Christophe Mory à longueur de temps. Toute ligne aurait donc été écrite par
Molière pour ne parler que de lui-même, exclusivement. Voilà bien un jugement qui porte à caution, alors que rien n'atteste cette thèse facile, et ce d'autant qu'on est tout de même assez peu documenté sur la vie dudit
Molière.
Ce qui m'amène à un autre problème :
Christophe Mory brode. Lorsqu'il est dans le flou sur la question biographique, il remplit les pages avec des falbalas. Il va même jusqu'à nous infliger des paragraphes sur l'amour-libre, justifiant la conduite de
Molière avec les femmes - comme si nous allions être choqués parce qu'il couchait à droite à gauche et qu'il était nécessaire de nous expliquer qu'il avait de bonnes raisons pour ça ! Ainsi nous avons droit à de petites perles du genre, comme à la page 79. : "On se parle tant des yeux, que le coeur appelle les étreintes. Et pourquoi s'attarder ? Pourquoi ne pas tolérer d'autres façons d'aimer, comme le concubinage ? Si l'amour est singulier, ne peut-il s'inventer différemment ?" Je vous laisse méditer sur ce morceau de poésie. Quant à moi, j'avoue franchement que j'espérais lire autre chose que ce genre de fadaises en ouvrant ce livre...