Partir ? Il suffit de jeter un peu de pain et une poignée de thé dans un sac et d'enjamber la barrière" aimait à répéter l'auteur de ce fabuleux classique.
Voici la bible de tous les randonneurs, de ceux qui aiment une nature vierge et sauvage, et de ceux qui rêvent encore à la liberté. Ecrit par un Ecossais fou d'Amérique, un aimable vagabond pour qui la vie en société représentait un lourd fardeau, ce merveilleux récit est une ode à la nature, aux montagnes, aux bêtes, aux fleurs, et à tout ce qui vit et respire sur cette planète, loin des hommes. Sous la plume respectueuse, émerveillée et passionnée de Muir, nous partons, le 3 juin 1869, à la découverte de Yosemite et de ses sublimes paysages, qui deviendra grâce à lui le premier parc national américain. Loin d'être un récit d'exploration banal, c'est un véritable poème, un chant d'amour dédié à ces imenses espaces qu'on ne semble trouver qu'en Amérique, et une découverte de soi également. Muir, bien que né en Ecosse, affirmait volontiers que sa renaissance avait eu lieu dans la Yosemite Valley, où la beauté du monde lui fut révélée et lui inspira parmi les plus belles lignes jamais écrites par un écrivain. Autre miracle là encore, lorsqu'on sait que Muir débarqua à l'université de Wisconsin, à 22 ans, presque totalement inculte ! Et cependant, il devint un naturaliste fort célèbre, et prisé par la classe intellectuelle de son époque, possédant un savoir étendu en botanique, en entomologie, en zoologie...
Commenter  J’apprécie         130
De bonne heure, par un beau matin du milieu de l’été indien, alors que les prairies glaciaires craquetaient encore de cristaux de givre, je partis du pied du mont Lyell pour la vallée de Yosemite, afin de reconstituer mes réserves de pain et de thé. J’avais passé l’été, comme bien des précédents, à explorer les glaciers qui sont à la source des fleuves San Joaquin, Tuolumne, Merced et Owens, à mesurer et étudier leur direction, leurs mouvements, leurs crevasses, moraines, etc., et le rôle qu’ils avaient joué, au cours de la période de leur plus grande extension, depuis la création et le développement des paysages alpins de ce merveilleux pays. L’époque propice à ce genre de travail était presque achevée pour cette année-là et je me régalais d’avance de l’hiver qui venait avec ses prodigieux orages, où je serais bloqué bien au chaud par la neige dans ma cabane de Yosemite, avec une bonne provision de pain et de livres; une pointe de regret me vint pourtant lorsque je me dis que, peut-être, je ne reverrais plus avant l’été prochain cette région bien-aimée, hormis de loin, des hauteurs proches des murailles de Yosemite.
Pour les artistes, peu d’endroits de la Grande Sierra sont, strictement parlant, pittoresques. L’ensemble de la chaîne forme un seul grand tableau, qu’il est difficile de diviser en panneaux plus petits – bien différente, de ce point de vue, des montagnes plus anciennes et, pourrait-on dire, plus matures de la chaîne côtière. Tous les paysages de la Grande Sierra, nous l’avons vu, ont connu une nouvelle naissance et ont été remodelés de la base au sommet par les déferlements de glace du dernier âge glaciaire. Mais tous ces nouveaux paysages n’ont pas vu le jour simultanément : certains des plus élevés, où la glace a duré plus longtemps, ont des dizaines de siècle de moins que ceux des régions inférieures, plus chaudes. En général, plus les paysages de montagne sont jeunes – par rapport à l’époque où ils ont émergés des glaces de l’ère glaciaire j’entends –, moins on peut les décomposer en éléments artistiques capables de donner des tableaux chaleureux, aimables et sympathiques, et renfermant une humanité respectable.
Ici pourtant, sur le haut bassin du Tuolumne, se trouve un groupe de pics sauvages, sur lesquels un géologue pourrait dire que le soleil vient à peine de commencer à briller, mais qui est néanmoins hautement pittoresque, et, dans ses grandes lignes, si régulier, si bien équilibré, qu’il en apparaît presque conventionnel – un groupe de pitons noirs couverts de neige, avec, parquant sa base, des mamelons de granit gris bordés de pins, le tout dressé librement vers le ciel, au fond d’une vallée superbes, dont les imposantes murailles s’avancent en biseau des deux côtés pour embrasser l’ensemble sans renfermer le moindre élément étranger. L’avant-plan flamboyait des couleurs de l’automne, marron, violet et or, enrichies encore par le clair soleil, contrastant violemment avec le bleu profond du ciel comme avec le noir, le gris, le blanc pur, spirituel, des roches et des glaciers. Vers le bas, à travers la brume, on pouvait voir le jeune Tuolumne jaillir de ses fontaines cristallines, tantôt étalé en calmes vitreux comme s’il retournait à l’état de glace, tantôt bondissant en blanches cascades pour se changer en neige; se glisser à droite et à gauche entre des éminences de granite, puis traverser le fond plat et herbeux de la vallée en divaguant rêveusement d’un côté à l’autre avec des mouvements calmes et solennels, près des saules et des laîches qui s’y baigner les pieds et autour de bosquets de pins effilés. Et tout au long de ce cours si varié, parfois rapide et parfois lent, on l’entendait chanter à pleine ou à mi-voix, remplissant constamment le paysage d’une animation spirituelle et manifestant constamment à travers chacun de ses mouvements, chacune de ses intonations, la grandeur de ses origines.
Poursuivant mon chemin solitaire vers le bas de la vallée je me retournais constamment pour contempler ce somptueux tableau, en élevant les bras afin de l’enfermer comme dans un cadre. Après des siècles de développement dans le noir, sous les glaciers, après avoir connu le grand soleil et les tempêtes, il semblait être prêt et attendre l’artiste élu, comme le blé mûr attend le moissonneur. Que j’aurais aimé pouvoir emporter couleur et pinceaux durant mes voyages et apprendre à peindre ! En attendant, il me fallait me contenter de photographies dans ma tête et de croquis dans mon carnet. Lorsque j’eus contourné un promontoire à pic formant saillie sur la muraille occidentale de la vallée, les sommets disparurent et je pressai le pas à travers les prairies gelées, le long de la ligne de partage entre les eaux de la Merced et du Tuolumne, puis au sein des forêts qui recouvrent les pentes de Cloud’s Rest, arrivant au Yosemite au bon moment – car pour moi, c’est toujours le moment. Curieusement, parmi les premières personnes que j’y rencontrai, se trouvaient deux artistes, qui, munis de lettres de recommandation, attendaient mon retour. Ils me demandèrent si, au cours de mes explorations dans les montagnes environnantes, je n’avais pas trouvé un paysage qui se prêtât à une peinture de grande dimension – sur quoi je me mis à décrire celui qui venait justement de susciter mon admiration. Au fur et à mesure que je donnais plus de détails, je vis leur visage s’illuminer, si bien que je m’offris pour les guider et qu’ils me dirent que, près ou loin, ils me suivraient avec joie si je pouvais prendre le temps de les conduire.
Comme des orages pouvaient à tout instant venir à éclater dans le beau temps, ensevelissant les couleurs sous la neige et coupant la retraite des artistes, je leur conseillai de se préparer séance tenante.
.
Nous sommes dans la montagne,
et la montagne est en nous,
dans chacun de nos nerfs,
pénétrant par chacun de nos pores
et alors ,
notre corps devient transparent comme du verre à la beauté qui l'environne,
comme s'il en était devenu une partie,
vibrant avec l'air et les arbres,
les courants et les rochers,
dans les vagues du soleil.
Une partie de la nature.
[...] immortelle [...]
un autre moi .
Ah, ces journées de montagne, amples, calmes, infinies, qui vous incitent en même temps au travail et au repos! Des journées à la lumière desquelles tout paraît également divin, ouvrant un millier de fenêtres pour nous laisser voir Dieu. Si las soit-il, jamais plus celui qui a joui des bienfaits d'une journée de montagne ne devrait faiblir en chemin; quel que soit son sort, qu'il connaisse une vie longue ou brève, agitée ou paisible, il est riche à tout jamais.
Le vent nocturne raconte les merveilles des hautes montagnes, leurs fontaines et leurs jardins enneigés, leurs forêts et leurs bosquets ; leur topographie elle-même est inscrite dans leurs accents .
Aussi longtemps que je vivrai, j’entendrai les chutes d’eau, le chant des oiseaux et du vent, j’apprendrai le langage des roches, le grondement des orages et des avalanches et je resterai aussi près que possible du cœur du monde.
Et qu’importe la faim, le froid, les travaux difficiles, la pauvreté !
Pour lui, un homme sans contact avec la nature, n'est rien du tout. Tout au long de sa vie, le scientifique et aventurier John Muir s'attachera à préserver les parcs nationaux américains. Il réussira même à convaincre le président Theodore Roosevelt de le soutenir dans son engagement.
Culture Prime, l'offre culturelle 100% vidéo, 100% sociale de l'audiovisuel public, à retrouver sur :
Facebook : https://facebook.com/cultureprime
Twitter : https://twitter.com/culture_prime
La newsletter hebdo : https://www.cultureprime.fr
Abonnez-vous pour retrouver toutes les vidéos France Culture : https://www.youtube.com/channel/UCd5DKToXYTKAQ6khzewww2g/?sub_confirmation=1
Et retrouvez-nous sur...
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
+ Lire la suite