On commence à bien connaître
Alex Nikolavitch : scénariste et traducteur de très nombreuses bandes dessinées, il est également essayiste concernant notamment le genre super-héroïque en comics et, plus récemment, il a publié plusieurs romans de fantastique et de science-fiction (
Eschatôn, L'Île de Peter,
Trois coracles cinglaient vers le couchant,
Les Canaux du Mitan, tous chez Les Moutons électriques) ;
le Dossier Arkham est donc son cinquième roman, cette fois chez les éditions Leha.
Le mystère de la Chambre de Cthulhu
Dans la ville d'Arkham, aux États-Unis, durant l'année 1941, est retrouvé par la police un corps en bien piteux état, ce
lui de Mike Danjer, alors engagé comme détective privé sur une disparition. Son cadavre est lacéré, abandonné au milieu d'un grand tas de papiers, de découpes de journaux, et enfermé dans une chambre sans issue. Forcément, le mystère est entier et sa résolution demande aux enquêteurs « d'enquêter sur l'enquête ». À leur suite, le lecteur fouille donc dans le vaste « dossier Arkham » amassé par Mike Danjer pour essayer de comprendre comment il en a arrivé à finir éviscéré dans cette chambre : d'une simple disparition d'un jeune homme, il semble en être venu à collecter récits, coupures de journaux et témoignages particulièrement divers. Comme le
lui a fait remarquer son propre commanditaire, ce détective va sûrement trop loin dans sa réflexion. Il retrace les élucubrations d'un universitaire parti en randonnée en Nouvelle-Angleterre, il suit de loin un professeur étrange qui multiplie les disciples et fait des liens avec le monde de la musique du premier XXe siècle.
Faire du
Lovecraft
S'insérer dans
le mythe de Cthulhu est à la fois simple et difficile. Simple parce que certaines références sont évidentes à utiliser, nous y reviendrons, mais particulièrement difficile parce que décrire «
l'indicible » (comme c'est souvent lourdement indiqué) est un jeu subtil et compliqué. Ici,
Alex Nikolavitch reste plutôt dans du grand classique : le cadavre de départ donne le ton, l'ambiance onirique est bien présente ensuite, mais « palper »
l'indicible est déjà moins évident. On ressent bien le côté pulp de certaines aventures, mais sans pour autant être terrorisé par ce qu'on s'attend à voir poindre à l'horizon (un peu comme dans le récent
Celle qui n'avait pas peur de Cthulhu, de
Karim Berrouka). Par contre, il nous fait bien voyager : d'abord la Nouvelle-Angleterre, très classiquement pour ce type de récits, mais ensuite au-delà, voire très loin jusqu'au fin fond de l'Asie, du Moyen-Orient. À l'image de l'entrelacement de tous ces points de vue, l'intrigue se perd franchement quand les personnages s'enchaînent avec des liens parfois très ténus (en tout cas au départ). La multiplicité des supports n'aide pas non plus, puisqu'on alterne des extraits de magazines, des récits plus classiques de plusieurs pages et quelques petits articles imprimés pour montrer que ce sont des coupures de journaux. Ce choix mixte est intéressant, mais dessert sûrement la lecture alors qu'il devait avoir pour but d'améliorer l'immersion comme un jeu de rôle sous forme de roman. En somme, l'ensemble est très intéressant, mais un brin opaque.
Objet très référencé
S'il y a quelque chose qu'on ne peut pas enlever à
Alex Nikolavitch, c'est son érudition, sa large connaissance littéraire, notamment de l'univers lovecraftien. Si on fouille minutieusement les différents récits enchâssés dans ce roman, on trouvera moult détails sur
les contrées du rêve, sur certaines entités comme
Dagon, sur des récits de H. P.
Lovecraftlui-même comme «
La couleur tombée du ciel » et son météorite détruisant une ferme à petit feu ; « bref », la liste pourrait être très longue et, à coup sûr, j'en ai loupé une grande partie. Puis, il y a un certain esprit joueur dans ce roman : il multiplie les jeux de mots et les références non seulement à l'univers de H. P.
Lovecraft mais à d'autres univers littéraires populaires (quelques liens avec des comics super-héroïques, la mention d'une entité « Aggartha Cristi », etc.), allant même jusqu'à lorgner du côté des Indiana Jones quand surgissent des nazis au détour d'un site archéologique… Tout un programme !
Le Dossier Arkham est donc un roman assez court, déjà touffu et plaisant, mais qui aurait eu besoin d'une intrigue un peu plus structurée pour ne pas apparaître trop « fourre-tout ».